Magazine Le Mensuel

Nº 3100 du vendredi 5 avril 2019

Spectacle

Hashem Adnan et Samuel Beckett. Dans les ruines d’un texte en perpétuelle renaissance

Du 2 au 5 mai, dans un lieu abandonné de Zarif ou de Zoqaq el-Blat, Hashem Adnan s’essaie à l’exercice initiatique de performer Samuel Beckett. À partir de cinq textes traduits en dialecte libanais, et entouré d’une riche équipe d’artistes, OH, to END propose de nouvelles façons de concevoir le théâtre, l’espace scénique mais aussi les textes bien connus de Not I ou Ohio Impromptu.

Il est difficile de contester la valeur poétique de certains textes de théâtre, et parmi eux ceux du grand dramaturge irlandais Samuel Beckett. Ces textes sont joués dans le monde entier alors que la poésie se prétend pourtant intraduisible. La complexité d’une transcription littéraire interculturelle est d’autant plus problématique lorsqu’elle s’attache justement à un texte de théâtre, écrit pour être incorporé, ressenti, vécu. Ce défi, Hashem Adnan et l’ensemble de sa troupe ont su le relever avec OH, to END qui sera performé dans les ruines d’un immeuble des quartiers de Zarif ou de Zoqaq el-Blat à Beyrouth du 2 au 5 mai prochains.

PLURIDISCIPLINAIRE
Hashem Adnan est un dramaturge libanais diplômé depuis 2006 de l’iniversité libanaise. Après avoir participé à quelques projets cinématographiques et théâtraux qui lui ont permis d’expérimenter la relation de la vidéo au théâtre, il rejoint Zoukak de 2009 à 2017. Il travaille aujourd’hui sur ses propres spectacles, où son identité d’artiste s’impose dans une approche multidisciplinaire au texte. Aux jeux de Carole Abboud et de Sassine Kawazali s’associent ainsi dans son dernier spectacle OH, to END, le travail de cinéaste de Rami Sabbagh, celui de l’artiste visuel et photographique Constanze Flame, enrichissant les travaux que l’on attend habituellement au théâtre de la costumière Larissa von Planta, de la directrice artistique Jana Traboulsi et des scénographes David Habshi et Hussein Nakhal. Ensemble, ils cherchent à créer un nouvel univers spatial, visuel et auditif destiné à faire résonner différemment le texte – atemporel, anhistorique et atopique – de Samuel Beckett.
Ce vaste travail n’a d’autre objectif que de faire respirer le texte de Samuel Beckett dans une nouvelle atmosphère, celle de Beyrouth. En résidence à Hammana, Hashem Adnan et son équipe ont travaillé deux semaines durant avec Marwan Bizri, qui a traduit en langue vernaculaire libanaise le texte anglais de Rockaby, That Time, Not I, Ohio Impromptu et Stirrings Still et qui a travaillé aux côtés de Sara Sihnawi à la dramaturgie de l’ensemble du projet. Assisté par Mohamed Itani, Hashem Adnan a ainsi tenté de penser Beckett dans l’environnement qui lui était familier – Beyrouth, sa ville –, et la dimension absurde que la marche de l’Histoire lui a conférée. «Les textes de Beckett m’intéressent pour les questions qu’ils posent sur les concepts de vie et de mort», explique l’artiste. «La mort nous entoure partout, et dans notre région du monde, elle est présente en masse: il est important de s’interroger à son sujet, de comprendre comment nos sociétés ont pu en arriver à ces massacres, au Yémen, en Syrie. L’écriture de Beckett offre une discussion très symbolique qui permet de réfléchir à ce système de discrimination qui isole les individus par la glorification exacerbée d’une culture néolibérale excluante et dangereuse».

L’AUTHENTICITé des textes
Le texte de Beckett est une respiration, un temps qu’il faut saisir pour réapprendre le deuil, pour reprendre conscience de la présence de l’autre et rétablir un dialogue, seul capable d’enrayer la machine capitaliste et son extrême violence. En situant ses performances dans des espaces abandonnés, Hashem Adnan souhaite connecter le texte de Beckett à de nouveaux publics, en proposant aux spectateurs de nouvelles manières d’être audience.
Les cinq textes – en dialectal libanais – sont disponibles aux éditions Snoubar Bayrout. Le travail réalisé a toutefois dépassé le simple travail d’interprétation du texte écrit. Il s’est agi de donner aux mots performés une certaine authenticité. Il importait à Adnan, comme il l’écrit lui-même dans le texte présentant son travail, de mettre en avant l’expression d’une langue qui est celle «par laquelle il semble normal aux Libanais de crier, maudire, se confier, se recueillir ou consoler».
Le théâtre est un art dit «vivant». Grands classiques de la littérature théâtrale, les textes de Samuel Beckett ne cessent de renaître en résonance avec les problématiques toujours plus angoissées du monde contemporain. Il est ainsi facile de parier sur le succès de l’ambition d’Hashem Adnan. La genèse de toute sa démarche se pose dans une prise de risque essentielle à l’émergence de l’art – un risque que les puristes pourront critiquer, s’ils ne comprennent pas que la réappropriation des textes classiques est essentielle pour leur redonner sens et vie.

MATHILDE ROUXEL

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