Magazine Le Mensuel

Nº 2953 du vendredi 13 juin 2014

Semaine politique

Geagea et Joumblatt contre Aoun. Mouvements dans le vide

Prêt à se désister pour d’autres prétendants, Samir Geagea prend acte des tergiversations des négociations entre Michel Aoun et Saad Hariri. Comme le subodore – et l’espère – Walid Joumblatt, le temps des deux candidats forts est-il en train de prendre fin?
 

Trois semaines après l’installation du vide au palais de Baabda, l’opposition à l’accession de Michel Aoun à la présidence de la République se fait de plus en plus pressante. Ses deux opposants les plus virulents ne s’en cachent plus. Samir Geagea et Walid Joumblatt ont adopté la même stratégie, décrédibiliser la candidature «consensuelle» du leader du CPL et parasiter les discussions avec le Courant du futur. En clair, enrayer la dynamique du général, aujourd’hui encore favori numéro un à la succession de Michel Sleiman. A Rabié, Aoun affiche une sérénité glaciale. Les confidences semées dans la presse par les snipers du Courant du futur, et du 14 mars en général, ne l’atteignent plus. Tout juste a-t-il souri en lisant les propos du secrétaire général du Courant du futur Ahmad Hariri, rapportés par le quotidien panarabe al-Quds al-Arabi: «Notre intérêt, c’est la présence d’un président chrétien fort comme le général Aoun». Propos catégoriquement démentis par le parti. Qu’importe. L’important pour Aoun, ce sont les discussions entre Gebran Bassil et les conseillers politiques de Saad Hariri.
Entre les deux parties, la question présidentielle aurait été entérinée et dépassée. Entérinée car le CPL attend désormais que Hariri convainque Riyad de le suivre sur l’option Aoun. Dépassée parce que d’autres dossiers sont étudiés. L’atmosphère est constructive, dit-on. Les deux parties seraient en train de s’entendre sur les grands sujets liés à la gouvernance politique, économique et sécuritaire du pays. Mais sur le champ présidentiel, rien de nouveau. Aoun a fixé une date limite et lors des dernières rencontres, il a été question du calendrier électoral. La possibilité que les législatives aient lieu avant les présidentielles a été évoquée. Qu’attend donc Riyad pour trancher? Sans aucun doute, l’évolution des rapports de force dans la région qui naîtra des discussions qui s’ouvrent entre le royaume et l’Iran. La consolidation du pouvoir de Bachar el-Assad en Syrie sera également une donnée importante. La période du vide durera aussi longtemps que la réflexion de l’Arabie saoudite.
Ces tergiversations ouvrent un espace aux opposants à la candidature du leader du CPL. Les hésitations de Hariri ont offert à Samir Geagea l’opportunité de se placer en obstacle. Tout sauf Aoun. Après avoir placé sa candidature sous la bannière des choix stratégiques du 14 mars, le leader des Forces libanaises semble avoir adopté une autre posture. Lors de son dernier entretien télévisé, il s’est dit prêt à se désister pour un autre candidat du 14 mars – Amine Gemayel et Boutros Harb – voire pour un candidat de la liste dite «de Bkerké», dont Bkerké a nié l’existence – Demianos Kattar, Ziad Baroud et Roger Dib ont été cités. Mieux, Geagea a même proposé à Aoun que les deux hommes se retirent pour laisser la place à deux autres candidats. La volonté est d’afficher une ouverture et, ainsi, de jeter l’anathème sur le 8 mars et le CPL qui n’ont pas participé à la dernière séance élective. La septième est prévue pour le 18 juin. «Le système s’effondre en raison de l’attitude de certains députés. Cette situation est anormale», a déclaré Samir Geagea, à l’annonce du report de la séance parlementaire. «Les Libanais doivent demander des comptes aux députés qu’ils ont élus et qui ne remplissent pas leurs devoirs».
Les députés du bloc dirigé par le leader du PSP ne se sont même pas déplacés. Ces derniers jours, Walid Joumblatt fait entendre sa voix. «J’informerai l’ancien Premier ministre et chef du Courant du futur, Saad Hariri, que nous ne voterons ni pour Aoun ni pour Geagea», a-t-il affirmé à la chaîne télévisée al-Arabiya. «Notre soutien à notre candidat Henri Hélou à la course à la présidence est en faveur de la modération». A Rabié, c’est d’abord au leader druze que l’on s’en prend. Ses dernières déclarations viennent confirmer la stratégie de la chaise vide adoptée par le CPL. Si le 8 mars venait à assurer le quorum, le 14 mars, pour empêcher Michel Aoun d’accéder au pouvoir, se tournerait vers Henri Hélou. Une embuscade quoi!
Mais en s’opposant farouchement à Aoun, Joumblatt protège le pouvoir politique qu’il s’est forgé au sein des institutions. Machiavel pourrait rajouter que la position centrale qu’il s’est accordée vient exclusivement de l’antagonisme entre les sunnites et les chiites. Le projet national de Michel Aoun en est le reflet inversé. Il conteste clairement à Joumblatt le rôle de faiseur de majorité. Un triptyque fort composé du Hezbollah, du Courant du futur et du CPL, soutenu par les grandes puissances qui aspirent avant tout à la stabilité de la région, rendrait totalement inutile le rôle de médiateur que joue aujourd’hui le leader druze.
L’argument est dévastateur. L’accession d’un président chrétien fort mettrait donc en péril l’accord de Taëf qui sacralise la parité islamo-chrétienne. Toutes les périodes de vide présidentiel, sans exception, qui se sont ouvertes, ont remis cette question sur le tapis. Nabih Berry et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ont eu beau solennellement affirmer qu’il n’était pas question de modifier la structure politique du pays, le poison est instillé.  

 

Le faux-nez du tripartisme
Face aux nuages qui s’amoncellent,  Michel Aoun, enfermé depuis plusieurs jours dans un mutisme d’attente, s’est rendu la semaine dernière à Aïn el-Tiné pour rencontrer Nabih Berry. L’entrevue était devenue nécessaire après les signes d’agacement montrés par le président du Parlement. Les choses ont été quelque peu clarifiées. Le leader du CPL aurait même demandé à celui du mouvement Amal d’intercéder auprès de son ami Joumblatt. Le but affiché de la rencontre était le mécanisme de fonctionnement des institutions en l’absence de chef d’Etat.  
Pour le Parlement, l’idée de la formation d’une commission de députés issus de l’ensemble des blocs parlementaires, chargée de se substituer au collège parlementaire, a été évoquée. Une sorte de mini-Parlement qui viendrait légiférer sur les sujets les plus sensibles. L’idée est-elle transposable au Grand sérail? A l’étude, la création d’une commission ministérielle chargée de fixer l’ordre du jour des séances du gouvernement afin de ne pas laisser le Premier ministre sunnite exercer seul les prérogatives du président chrétien de la République. Tammam Salam ne semble pas y être favorable.
La façon dont les représentants politiques chrétiens dramatisent l’absence d’un président rejoint fondamentalement les positions exprimées par le patriarche Béchara Raï depuis des semaines. Le débat lancinant sur la sacro-sainte formule libanaise intervient d’ailleurs en ce sens. Il s’agit même d’une véritable préoccupation pour le royaume d’Arabie saoudite, parrain de l’accord de Taëf, qui prend le temps d’évaluer les conséquences de l’accession au pouvoir de Michel Aoun. Gesticulations encore mineures, insuffisantes pour détourner le pays embarqué sur la route du vide.

Julien Abi Ramia

Assad soutient Aoun
Dans un entretien accordé au quotidien al-Akhbar, le président syrien Bachar el-Assad a indiqué qu’il «accueillerait favorablement» une élection de Michel Aoun à la présidence de la République. «Son élection serait d’abord dans l’intérêt du Liban, mais aussi dans celui des relations fraternelles entre nos deux pays. Nous savons que Michel Aoun est un patriote, qu’il n’est pas confessionnel et croit en la Résistance et l’arabité. C’est un homme intègre et honnête qui s’est battu avec dignité, s’est réconcilié avec dignité et qui est resté fidèle à ses prises de position envers la Syrie, en dépit des tempêtes et des tentations».

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