Au moment où les dirigeants libanais se réunissaient à Baabda pour participer au dialogue organisé par le président de la République, des citoyens libanais se faisaient prendre en otages au Akkar, pendant que les services de sécurité de l’Etat répondaient encore une fois absents.
La triste histoire a commencé dans la nuit du 9 juin quand une rencontre banale entre deux trafiquants de la région de Wadi Khaled a tourné au drame. Les deux hommes, Mohammad Sleiman el-Ahmad, âgé de 37 ans, mieux connu sous le nom d’Abou al-Rouss, et Bilal Kibbo, mieux connu sous le nom d’Abou Khodr, sont des vieilles connaissances. Le hasard a voulu que les deux trafiquants soient de confessions différentes: le premier est sunnite et le second alaouite, bien que ce détail n’ait jamais affecté leur coopération par le passé.
Cette nuit-là, les heures passent et la famille d’el-Ahmad s’inquiète du sort de son fils qui ne répondait plus à son téléphone. Ces craintes sont confirmées quand la famille apprend qu’il avait été emmené de force par Abou Khodr en Syrie et livré aux services de renseignements syriens. Fous de rage, des dizaines de citoyens sunnites de la région bloquent les routes tôt le dimanche et décident de prendre les choses en main en érigeant des dizaines de barrages dont le but était de capturer le plus grand nombre d’otages alaouites pour les échanger avec le régime syrien. Résultat du butin: trois Syriens et six Libanais sont ainsi kidnappés, dont Mohammad el-Chamali, originaire de Jabal Moshen, qui était accompagné de son fils Mahmoud, âgé de onze ans. Les deux malheureux venaient de passer le poste frontalier de Jissr Qamar. Le troisième, Hikmat Youssef Khalil, un berger, fut libéré le lendemain et invité à prendre son déjeuner avec ses ravisseurs, avant de pouvoir rejoindre sa famille. Les trois Syriens ont aussi été relâchés quelques heures plus tard. Mais le plus surprenant dans toute cette affaire est que ces actions, qui rappellent les heures les plus sombres de la guerre libanaise, ont été menées avec l’encouragement d’un député du Parlement libanais. Khaled Daher a en effet rejoint les protestataires le dimanche 7 juin, non pour libérer les otages innocents, mais pour apporter son soutien aux habitants de Wadi Khaled qui sont, selon lui, «les victimes du régime assassin de Bachar el-Assad». Pour rendre les choses encore plus confuses, il s’est avéré qu’Abou Khodr, responsable de l’enlèvement d’Aboul-Rouss, était le garde du corps personnel du député du Courant du futur, Khodr Habib. Occasion en or pour le Parti arabe démocrate, présidé par Rifaat Ali Eid, qui a sitôt accusé le mouvement du 14 mars d’être derrière toute cette histoire.
Les médiateurs en rang
Les autorités syriennes, quant à elles, n’ont pas réagi officiellement, laissant filtrer à travers les médias du 8 mars qu’Ahmad avait reconnu son implication dans le trafic d’armes au profit des groupes rebelles armés syriens. Le Hezbollah a aussi pointé du doigt le mouvement du 14 mars.
La chaîne al-Manar a indiqué que le kidnapping avait été mené par des membres armés du Courant du futur et non par les habitants de Wadi Khaled. Entre-temps, l’ancien député alaouite du Akkar, Moustafa Ali Hussein, ancien membre du 14 mars, mais qui avait changé de camp en 2008, se rend en Syrie pour ramener avec lui le citoyen libanais, au moment même où une autre personnalité de la région de Minié, proche du régime syrien, Kamal el-Kheir, tentait de profiter de la situation et d’user de ses contacts pour raccompagner en personne Ahmad à Wadi Khaled. Mais en fin de compte, c’est le président du Conseil supérieur libano-syrien, Nasri Khoury, qui a été chargé de finaliser l’accord avec Damas. Et c’est lui qui a annoncé, tard dans la nuit du lundi 11 juin, qu’el-Ahmad sera libéré le lendemain et livré à l’Armée libanaise, ce qui a été fait. Quelques heures plus tard, les otages alaouites étaient eux aussi libérés et remis à l’Armée libanaise. Au milieu de toute cette mascarade, le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, n’a pas trouvé mieux à dire que: «Dans toute cette histoire, il est clair que l’Etat libanais est l’acteur le plus faible». Un aveu, ou plutôt un désaveu, du ministre censé être responsable de la sécurité et du bien-être des citoyens. D’ailleurs, le gouvernement dans son ensemble, et non seulement le ministre de l’Intérieur, ne semblait nullement concerné par cette histoire ni par le fait qu’une vaste région du Liban-Nord, le Akkar, soit désormais hors de portée des forces de sécurité, et que ses rues soient occupées par des hommes armés à la chasse des alaouites. Pire encore, les noms des ravisseurs et les lieux de détention des otages à Wadi Khaled sont connus des services de sécurité libanais qui se tiennent les bras croisés.
Le cheikh Omar Bakri, l’une des figures emblématiques du mouvement salafiste au Liban-Nord, s’est même vanté que les sunnites avaient réussi à créer une banlieue nord, pour rivaliser avec la banlieue sud sous contrôle du Hezbollah. «Qu’on le veuille ou pas, nous avons réussi à installer une banlieue nord sunnite hors de la portée de l’Etat libanais», a-t-il dit.
Il est clair que les événements survenus à Tripoli ou au Akkar sont étroitement liés à la crise syrienne, et ce que les amis du Liban à travers le monde craignaient de voir s’exporter au Liban a bel et bien eu des répercussions graves sur notre pays. Le fait que l’Armée libanaise et les Forces de sécurité intérieure n’aient rien pu faire face aux milices armées de Wadi Kahled, Sahl Akkar, Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané, ne rassure guère. L’été libanais sera très chaud… surtout au nord.
Walid Raad
Enfin une vidéo des pèlerins-otages
Six semaines après leur enlèvement, les onze pèlerins libanais sont toujours en vie. En effet, la chaîne qatarie al-Jazeera a diffusé une vidéo de quelques minutes montrant les otages en bonne santé, et même souriants. Si ces images ont rassuré les familles qui craignaient le pire et réussi à calmer leurs angoisses, la vidéo a apporté plusieurs indices. Tout d’abord, les otages sont tous détenus dans la même ferme et n’ont pas été séparés comme cela a été rapporté par plusieurs médias. Ensuite, un changement est survenu dans l’identité des preneurs d’otages qui, désormais, ne s’appellent plus les révolutionnaires du Rif d’Alep, mais plutôt les révolutionnaires de toute la Syrie. Leur seule revendication: Les excuses de sayyed Hassan Narsallah. Et alors qu’ils avaient assuré que les onze Libanais ne seraient pas libérés de sitôt, mais plutôt livrés au nouvel Etat civil syrien qui devra décider de leur sort, les ravisseurs se rétractent à la fin de leur déclaration, assurant qu’ils pourraient livrer les otages à un pays voisin de la Syrie (sûrement la Turquie). L’utilisation du terme «Etat civil» est due au désir des ravisseurs de nier leur appartenance islamique radicale, comme ce fut rapporté par plusieurs sources proches du dossier. Enfin, plusieurs otages ont envoyé des messages codés. Ainsi, le chef de la campagne Badr al-Kobra, Abbas Chéaïb, a laissé filtrer au milieu de son long discours que tout ce qui avait été dit dans la vidéo par les onze pèlerins avait été extorqué sous la contrainte. Contactées à ce sujet, les familles des otages ont eu une réponse sans équivoque: «On voudrait que les médias arrêtent leurs analyses psychologiques de nos bien-aimés. Nous les avons vus, ils sont en bonne santé, et ils ont affirmé avoir parlé en leur âme et conscience. Laissons les choses telles quelles. Ce serait mieux pour tout le monde».
Le député libanais Okab Sakr, qui avait joué un rôle important au cours de la première semaine qui a suivi la prise d’otages, est de retour à Istanbul. Des sources affirment que Sakr a quitté Bruxelles pour se rendre dans la région frontalière entre la Turquie et la Syrie afin de mener des négociations avec des représentants des ravisseurs. Ce développement contredit les fuites médiatiques selon
lesquelles Saad Hariri avait jeté l’éponge et n’était plus impliqué dans les négociations visant la libération des ressortissants libanais. Autre bonne nouvelle, le nouveau président du Conseil national syrien, Abdel-Basset Sayda, a tenu des propos rassurants quelques heures seulement après son élection: «Nous faisons de notre mieux pour que nos frères libanais soient libérés au plus vite. Le CNS ne soutient pas les opérations de prise d’otages et notre but est de renverser le régime, non de faire du mal aux citoyens libanais». Des déclarations opposées à celles prononcées par son prédécesseur Burhan Ghalioun qui avait accusé les pèlerins d’être des «agents du Hezbollah» et avait refusé d’entreprendre toute médiation. Alors qu’une source proche de l’opposition syrienne à Paris a révélé au journal
as-Safir que les otages étaient détenus dans la banlieue ouest du village frontalier syrien d’Azaz et que les ravisseurs ne lâcheraient pas les pèlerins si une rançon de quatre millions de dollars ne leur était versée.