Alors que la violence sur le terrain est encore montée d’un cran, la Russie campe sur ses positions, refusant plus que jamais d’autoriser une intervention militaire sous couvert de l’Onu. Dans le même temps, l’activité diplomatique s’intensifie, Moscou réclamant la participation de l’Iran à la conférence internationale sur la Syrie.
Plus que jamais, ces dernières semaines et encore plus ces derniers jours, la Russie s’affiche comme l’acteur incontournable pour la résolution de la crise syrienne. Alors que la communauté internationale dit redouter une «guerre civile totale», Moscou prend l’initiative, en proposant d’organiser une conférence internationale sur la Syrie. Jusque-là, tout pourrait aller bien. Mais là où la pilule a du mal à passer auprès des Occidentaux, c’est que les Russes souhaitent la présence de l’Iran, autre acteur incontournable dans la région. «Nous convoquons une conférence sur la Syrie pour mettre en œuvre le plan Annan», a ainsi déclaré le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. Sont conviés donc, les pays membres du Conseil de sécurité – Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Chine, Russie –, les membres de la Ligue arabe, mais aussi les pays voisins de la Syrie, y compris l’Iran. A ceux, comme les Etats-Unis, qui ne souhaitent en aucun cas la présence iranienne, Lavrov a rétorqué que «l’Iran est l’un des pays qui a une influence sur le gouvernement syrien. Et dire que l’Iran n’y a pas sa place parce qu’il est une partie du problème est pour le moins irréfléchi».
Quelques jours auparavant, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis avaient refusé, de concert, la présence de l’Iran à une telle conférence, à l’issue d’une réunion sur la Syrie organisée à Istanbul. Laurent Fabius, le nouveau ministre des Affaires étrangères français, avait estimé que la présence de Téhéran n’était souhaitable «en aucun cas, car tout d’abord ce serait contradictoire avec l’objectif de pression forte sur la Syrie, et cela aurait une interaction sur les discussions sur le nucléaire iranien». Un point de vue partagé par William Hague, son homologue britannique, qui a jugé que «le fait d’inclure l’Iran dans un quelconque de ces groupes le rendrait probablement inopérant. C’est un pays qui soutient certaines des violences inacceptables et qui appuie le régime syrien dans ce qu’il fait au peuple syrien et cela provoquerait une grande difficulté». Même son de cloche du côté d’Hillary Clinton, qui avait déclaré plus tôt qu’il était «un peu difficile d’imaginer inviter un pays qui orchestre l’assaut du régime d’Assad contre son peuple».
Lors d’une rencontre organisée à Moscou le 8 juin dernier, les vice-ministres des Affaires étrangères russes, Guennadi Gatilov et Mikhaïl Bogdanov ont présenté leur projet à l’émissaire américain Fred Hof. Comptant sur l’appui de Kofi Annan, qui désespère de voir son plan appliqué sur le terrain, Bogdanov a insisté sur le fait que «le facteur temps est très important». Et d’ajouter que «sans un certain niveau
d’arrangement avec l’Iran, il ne pourra pas y avoir de solution» à la crise syrienne. Au sortir de la réunion, Fred Hof est resté quant à lui silencieux, selon le journaliste du Figaro Georges Malbrunot. Quant à la prochaine conférence des «Amis de la Syrie», prévue le 6 juillet à Paris, Bogdanov la juge «inutile», car «elle réunit seulement une partie de l’opposition syrienne, et ce genre de conférence ne fait que durcir les positions de cette opposition contre le gouvernement de Damas».
Annan favorable à l’Iran
Cette levée de boucliers occidentale à l’encontre de l’initiative russe n’a pas pour autant dissuadé Moscou. Sergueï Lavrov, en visite le 13 juin à Téhéran, a évoqué à cette occasion l’organisation d’une conférence internationale sur la Syrie. Au préalable, un communiqué de la diplomatie russe avait donné le ton. «Sans la participation iranienne, le potentiel d’une action internationale constructive sur le volet syrien ne serait pas pleinement utilisé», pouvait-on lire.
L’initiative russe d’inclure l’Iran aux négociations a en tout cas trouvé un écho favorable auprès de Kofi Annan. Alors qu’il s’exprimait devant le Conseil de sécurité réuni à huis clos le 7 juin dernier, l’émissaire de l’Onu et la Ligue arabe a formulé une nouvelle initiative de paix pour la Syrie. Selon Ria Novosti, l’agence de presse russe qui relate l’information, il s’agirait de «créer un groupe de contacts comprenant des pays disposant de leviers d’influence efficaces sur la situation en Syrie et qui pourraient influencer les deux parties en conflit, à savoir le gouvernement syrien et l’opposition. Kofi Annan estime que l’Iran pourrait être coopté par ce groupe car il est à même d’apporter une contribution au règlement du conflit syrien». Le principal concerné, l’Iran, «n’est pas hostile à cette initiative», selon les propos de Mohammad Khazee, ambassadeur iranien auprès des Nations unies.
Autre pomme de discorde entre les Occidentaux et la Russie, le devenir de Bachar el-Assad. La feuille de route de Kofi Annan prévoit toujours l’instauration d’un dialogue entre le régime en place et les différentes factions de l’opposition. Là où les Occidentaux souhaitent un départ immédiat de Bachar el-Assad, les Russes rétorquent que c’est «aux Syriens eux-mêmes d’en décider».
Sur ce point, Moscou a tout de même lâché du lest. Sergueï Lavrov a en effet déclaré, samedi 9 juin: «Si les Syriens s’entendent entre eux (sur le départ d’Assad), nous serons heureux de soutenir une telle solution». Avant d’avertir, tout de même, que la Russie juge «inacceptable d’imposer de l’étranger les conditions d’un tel dialogue». Le chef de la diplomatie russe s’est aussi déclaré favorable à un scénario à la yéménite, où la transition du pouvoir s’était faite sans intervention de l’étranger. Ce qui ne signifie pas pour autant que la Russie serait prête à lâcher le régime syrien à lui-même, selon Khattar Abou Diab, professeur à l’Université Paris-Sud, qui s’exprimait sur la chaîne France 24.
Dans le même temps, la Russie a accusé l’opposition syrienne de saper la mission de l’Onu. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe, Alexandre Loukachevitch, a estimé que le refus de l’opposition syrienne de respecter le plan Annan était considéré comme «une tentative pour saper les efforts internationaux appelés à mettre fin à la confrontation et à passer aux moyens politiques, notamment pour saper les activités de la Misnus». «Nous espérons que les puissances mondiales comprennent le danger et le caractère immoral des efforts visant à préparer une nouvelle effusion de sang en Syrie, à y lancer une guerre civile capable de déborder en dehors des frontières syriennes et de noyer le Proche-Orient dans le sang», a-t-il conclu, en déplorant également l’annonce de la création d’une autre faction armée, l’Armée des rebelles de Syrie, le 4 juin dernier, une «tendance dangereuse».
Recrudescence des violences
Les prochains jours seront en tout cas l’objet de toutes les attentions. La Turquie organise en effet ce vendredi 15 et samedi 16 juin un «groupe de coordination», avec pour objectif d’aider les opposants syriens à s’organiser. Le 18 juin, une autre réunion, organisée cette fois en marge du G20 au Mexique, devrait porter également sur la Syrie, peut-être comme préalable à la création du fameux «groupe de contact» souhaité par Kofi Annan. La question de «l’après-Assad» devrait être aussi évoquée.
Sur le terrain, en tout cas, ce ballet diplomatique – aussi intense soit-il – n’a aucun effet tangible sur les violences. Bien au contraire, puisque celles-ci s’intensifient, chaque jour apportant son nouveau lot de victimes civiles. Après les massacres perpétrés à Houla et à Mazraat el-Koubair, l’inquiétude dominait du côté de l’Onu et de la Ligue arabe. Mardi, Kofi Annan craignait qu’un nouveau bain de sang se produise, dans la localité de Haffé, dans la province de Lattaquié. Selon des militants de l’opposition, la ville subirait le pilonnage de l’armée syrienne depuis plusieurs jours. Le pouvoir, lui, a accusé l’opposition d’avoir enlevé quelque 80 civils «pour les liquider et crier au massacre».
Une recrudescence de la violence qui inquiète le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon. Les violences empirent en Syrie sous les effets conjugués d’offensives lancées par l’armée contre des zones civiles et d’attaques coordonnées menées par les insurgés contre les forces gouvernementales, a-t-il fait savoir lundi dans un communiqué. Lundi, le conflit a encore causé 106 victimes.
En réaction, la porte-parole du Département d’Etat américain Victoria Nuland, a souligné que les Etats-Unis ont tenu à «rappeler aux gradés syriens une des leçons apprises en Bosnie: la communauté internationale peut découvrir quelles unités sont responsables des crimes contre l’humanité et vous serez tenus responsables de vos actions». Nuland a toutefois exclu une potentielle intervention militaire en Syrie. Au contraire du chef de la diplomatie britannique William Hague, dimanche. Etrange coïncidence, celui-ci a également comparé la situation en Syrie à celle de la Bosnie dans les années 1990 et refusé d’exclure une intervention militaire. «Nous ne savons pas comment les choses vont évoluer. La Syrie est au bord d’un effondrement ou d’une guerre civile intercommunautaire et donc je ne pense pas que nous puissions exclure quoi que ce soit», a-t-il déclaré sur la chaîne Sky News. Selon lui, la Syrie «ressemble plus à la Bosnie des années 90, en étant au bord d’une guerre civile intercommunautaire où des villages voisins s’attaquent et s’entretuent». La Bosnie, où la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis étaient intervenus militairement.
De quelle façon sera résolue la crise syrienne? La question reste entière. Sergueï Lavrov y a répondu à sa manière, le 9 juin, en pointant les enjeux du doigt. «La façon dont sera réglée la crise syrienne aura un rôle extrêmement important dans l’avenir de notre monde. Il s’agira alors soit d’un monde basé sur la Charte de l’Onu, soit d’un monde où le droit du plus fort sera reconnu et respecté», a-t-il souligné.
Jenny Saleh
Sayda, nouveau chef du CNS
C’est finalement Abdel-Basset Sayda qui a été élu à la tête du Conseil national syrien (CNS), pour succéder à Burhan Ghalioune. Préféré à Georges Sabra, Sayda est un Kurde syrien originaire de Amouda, dans la province de Hassaka. Exilé en Suède depuis près de vingt ans, Sayda ne jouit pas d’une grande notoriété publique, mais il est considéré comme un homme «conciliant, honnête, indépendant» par les membres du CNS. Sayda est titulaire d’un doctorat en philosophie arabe de l’Université de Damas et spécialiste de la pensée orientale antique et de l’assyriologie. Il a beaucoup écrit sur les affaires publiques syriennes. Il occupait jusqu’à présent la fonction de président du bureau des droits de l’homme au sein du CNS. Sayda devra s’atteler à une mission difficile, celle de réformer le CNS pour en faire un interlocuteur crédible aux yeux des contestataires de l’intérieur, de l’Armée syrienne libre et de la communauté internationale.
Vaste intox de l’Otan en préparation?
Depuis quelques jours, sur le Net, circule un article du controversé Thierry Meyssan, président fondateur du Réseau Voltaire et auteur notamment de L’effroyable imposture tomes I et II. Selon ce journaliste, une vaste opération d’intoxication de l’Otan serait en préparation. En voici quelques extraits.
«Dans quelques jours, peut-être dès vendredi 15 juin à midi, les Syriens qui voudront regarder les chaînes nationales verront celles-ci remplacées sur leurs écrans par des télévisions créées par la CIA. Des images réalisées en studio montreront des massacres imputés au gouvernement, des manifestations populaires, des ministres et des généraux donnant leur démission, le président Assad prenant la fuite, les rebelles se rassemblant au cœur des grandes villes, et un nouveau gouvernement s’installant au palais présidentiel. Cette opération, directement pilotée depuis Washington par Ben Rhodes, conseiller adjoint de sécurité nationale des Etats-Unis, vise à démoraliser les Syriens et à permettre un coup d’Etat. L’Otan, qui se heurte au double veto de la Russie et de la Chine, parviendrait ainsi à conquérir la Syrie sans avoir à l’attaquer illégalement. (…) Selon nos informations plusieurs réunions internationales ont été organisées cette semaine pour coordonner l’opération d’intoxication. Les deux premières, d’ordre technique, se sont tenues à Doha (Qatar), la troisième, politique, s’est tenue à Riyad (Arabie saoudite). (…) L’opération qui était en gestation depuis des mois a été précipitée par le Conseil de sécurité national des Etats-Unis après que le président Poutine eut notifié à la Maison-Blanche que la Russie s’opposerait par la force à toute intervention militaire illégale de l’OTAN en Syrie. Cette opération comprend deux volets simultanés: d’une part, déverser de fausses informations et, d’autre part, censurer toute possibilité d’y répondre». Pour lire l’article en intégralité: http://www.voltairenet.org/L-OTAN-prepare-une-vaste-operation