Il fait partie des rares jeunes députés qui siègent à l'Assemblée. Originaire de Batroun, il est pourtant député de Tripoli, pour des considérations politiques. Il est le fils de l’ancien ministre et député Georges Saadé. Samer Saadé incarne la nouvelle génération Kataëb.
Né au début de la guerre, en 1976, Samer Saadé est l’aîné d’une famille composée de trois enfants. Il a une sœur et un frère plus jeunes que lui, Mira et Rami. Malgré les fonctions de son père, il a eu une enfance protégée, loin des projecteurs. «Mon père avait peur qu’on nous utilise et il a tout fait pour nous tenir à l’écart. C’est la raison pour laquelle, malgré la présence des gardes du corps, j’ai eu une enfance presque normale. A l’école et à l’université, pratiquement personne ne savait le fils de qui j’étais», se souvient Samer Saadé. De son père, il a hérité son côté modeste et proche des gens. «Ma mère est de la famille Khazen et possède un côté plutôt bourgeois. Elle est très à cheval sur les principes, alors que mon père, fils d’un cavalier de l’armée française, a grandi dans un village et a été à l’école publique», raconte Saadé. Il se souvient encore, à l’âge de 16 ans, d’une invitation à déjeuner dans un restaurant très select, où les termes sophistiqués utilisés dans le menu étaient tout à fait incompréhensibles pour lui. Il appelle le maître d’hôtel et lui demande des explications. En quittant le restaurant, sa mère offusquée lui lance «tu es insortable!». Son père intervient rétorquant: «Ne lui fais aucun reproche, si le maître d’hôtel ne nous avait pas expliqué moi non plus je n’aurai rien compris». De son père disparu, il garde l’image d’un homme d’une grande simplicité, dans la politique comme dans la vie. «Quoiqu’il soit souvent absent, on ressentait toujours sa présence à la maison. Mais c’était lui qui nous réveillait tous les matins. Je m’entends très bien avec ma mère, mais je ressemble davantage à mon père», dit Samer Saadé.
Diplômé de l'Esa
Le député de Tripoli est un ingénieur civil et détient un MBA de l’ESA (Ecole supérieure des affaires). Avant d’être député, il a travaillé dans une société d’ingénieurs et a même été chargé de nettoyer les égouts de Beyrouth, raconte-t-il avec humour. «Je prends les choses très au sérieux et je suis descendu dans les égouts». Parallèlement, il faisait de la politique, ce qui justifiait ses absences, mais il bénéficiait de la compréhension de son patron.
Après le décès de son père, Samer Saadé regarde la réalité en face. Autour de lui, les gens commencent à dévoiler leur vrai visage. «Soudain une opposition farouche est apparue contre nous. Le parti Kataëb a refusé de prendre ma mère sur sa liste pour les élections législatives de 2000. Elle a dû alors se présenter seule, en tant qu’indépendante», se souvient le député de Tripoli. «En politique, il n’y a pas d’amitié. Tout est question d’intérêt. A l’époque, j’avais 24 ans, je ne pouvais pas me présenter, mais j’ai fait toute la campagne électorale», dit-il.
A partir de 2005, il prend la relève et commence à s’occuper des obligations sociales. Il affirme avec fierté être le seul député à avoir accompli son service militaire. Il raconte aussi comment sa mère avait appelé le président de la République, Michel Sleiman, qui était à l’époque commandant en chef de l’armée, pour lui demander d’affecter son fils dans la plus proche session de service militaire, afin qu’il ait le temps de finir avant de se consacrer à sa campagne. Le président en fut tout étonné, reconnaissant que c’est la première fois qu’on lui adresse une requête pareille. Généralement, les gens intercédaient pour échapper au service militaire. Pourtant, il ne se présente pas aux élections de 2005, faute d’avoir une place sur les listes. «Les Forces libanaises avaient Antoine Zahra comme candidat à Batroun et au Nord, il y avait Elias Atallah sur les listes du 14 mars. Donc je n’ai pu figurer sur aucune liste», explique Saadé. «A cette époque les Kataëb était encore divisés. Je me suis lié d’amitié avec Pierre Gemayel. Au début, cette relation était timide à cause du clash entre les Gemayel et Georges Saadé, puis celle-ci s’est développée petit à petit, surtout après 2005», raconte Samer Saadé.
C’est au cours d’un voyage en Arabie saoudite, où il distribuait le livre écrit par son père et paru après sa mort, que Samer Saadé fait la connaissance de Rafic Hariri chez l’héritier du trône (le roi actuel) Abdallah. Celui-ci demande à Hariri s’il connaissait le jeune homme. A la réponse de Hariri «c’est le fils de Georges Saadé», le roi Abdallah répond: «C’est le fils de mon frère». Selon le député de Tripoli, Georges Saadé était opposé à Hariri, mais après 1997, leurs relations ont changé. «Rafic Hariri s’est toujours tenu à nos côtés et prenait souvent de nos nouvelles après la mort de mon père. D’ailleurs, c’est sur sa recommandation que j’ai été admis à l’ESA et je devais figurer sur ses listes dans les élections législatives de 2005, mais son assassinat a tout changé», confie Saadé. Ce n’est qu’en 2009 qu’il sera finalement élu député de Tripoli. Pour les élections de 2013, sa candidature est tributaire de la décision du parti. «Ce n’est pas un objectif d’être député, l’essentiel est l’intérêt du projet sur lequel on travaille», dit-il.
Son expérience parlementaire lui laisse beaucoup de désillusions. «J’ai grandi à l’ombre des grands hommes du Parlement de 1972. Je croyais pénétrer dans cette ambiance et apprendre de ceux qui sont plus âgés que moi et qui ont une grande expérience, mais je suis très déçu. La vie parlementaire est faite de compromis et d’arrangements. Je n’aime pas les compromis. On ne comprend jamais rien, pourquoi soudain tout s’arrange ou tout se bloque», confie le député. Pourtant, ceci ne l’empêche pas de se lier d’amitié avec quelques députés et de jouer des tours aux autres. On se souvient encore de celui joué à Gilberte Zouein, appuyant sur un bouton l’affichant sur grand écran prenant un petit somme. «Depuis, je prends soin de l’éviter», dit-il en souriant. C’est à lui aussi que revient le «mérite» d’avoir déclenché l’altercation entre Khaled Daher et Assem Kanso, ce qui lui a valu un «Que Dieu pardonne, ou au fond qu’il ne pardonne pas, à celui qui fut la cause de cet incident» de la part du président de la chambre Nabih Berry. Il raconte aussi comment il a pris l’un des députés pour le garçon qui sert le café, lui demandant alors qu’ils sont dans l’hémicycle «deux cafés s’il vous plaît» et s’étonnant de le voir toujours assis parmi les rangs des députés.
Samer Saadé a grandi dans un foyer où la foi chrétienne était au centre de toute éducation. «Mon père récitait toujours son chapelet et ma mère allait à la messe régulièrement. Il nous arrivait même de faire célébrer la messe à la maison quand mon père ne pouvait pas sortir pour des raisons de sécurité». Il confie ne pas avoir de craintes pour l’avenir des chrétiens. Pour lui, c’est la providence à elle seule qui explique notre présence dans cet Orient où les chrétiens ont toujours été une minorité. «C’est notre pays. Je ne fais pas de distinction entre le fait d’être chrétien et libanais. Ceci va de pair pour moi. Notre présence dans ce pays relève du miracle et je pense que nous sommes là pour être témoins de la parole de Dieu, dans cet endroit qui est le berceau même de la chrétienté. Toutefois, ceci ne veut pas dire que nous ne sommes pas ouverts aux autres. Nous devons tous vivre ensemble dans ce pays. Je crois à la démocratie et à la liberté absolue de chacun», affirme-t-il.
Le député de Tripoli est toujours célibataire. Son train de vie et la présence de gardes du corps l’empêchent de conserver une certaine intimité et d’avoir une vie privée. «Il m’arrivait de prendre la fuite de la maison et de leur échapper, mais depuis, ils ont installé des caméras de surveillance et le chef de la sécurité a menacé de présenter sa démission. Mais il fait partie de la famille et je ne voudrais pas le perdre». Ses relations avec les femmes sont difficiles à cause de la protection dont il est l’objet et beaucoup se plaignent de cette situation. Mais il finira sûrement par trouver la personne qui s’adaptera à son train de vie. Joëlle Seif
Ce qu’il en pense
-Facebook: «Je suis un adepte de Facebook qui est un grand moyen de communication et j’ai quelques 10000 amis. Je gère personnellement mon compte, surtout entre 2 heures et 4 heures du matin, car je suis un grand insomniaque.»
-Ses loisirs: «Je fais du sport comme le ski, la natation et le taekwondo et mes lectures sont essentiellement politiques.»
-Sa devise: «Carpe Diem… Je profite du moment présent. L’avenir ne me fait pas peur. Je vis l’instant pour mieux construire le futur. J’ai tiré les leçons du passé et je ne suis pas rancunier.»
Trois jours de prison
Avec humour, Samer Saadé raconte avoir fait trois jours de prison durant son service militaire. «Avec quelques amis, on en a eu marre de la nourriture servie dans la caserne et on a décidé d’aller veiller un soir à la rue Monot. C’était la fête de la musique. On a pris la fuite de Fiyadié, en sautant les murs de la caserne Chucri Ghanem. En atterrissant sur la route, on a été aperçus par un général qui passait par là. On a été à Monot et on a profité de la soirée. Tant que nous étions pris de toute façon, nous avons décidé de rentrer par la grande porte». Résultat? Trois jours de prison.