Nabil De Freige ne cache pas son inquiétude. «Les accrochages se déplacent d’un camp à l’autre, d’une région à l’autre. Si le pourrissement finit par toucher l’économie, le quotidien des gens et les emplois… il n’y aura plus de 14 ni de 8 mars, tous les gens seront dans la rue», prévient le député de Beyrouth,
Dans quelle mesure la tension sécuritaire affecte-t-elle l’économie?
Elle l’affecte, certainement. Voyez toutes ces recommandations des pays du Golfe appelant leurs ressortissants à ne pas venir au Liban. Le secteur hôtelier a livré des chiffres effrayants. L’activité hôtelière à Beyrouth était acceptable jusqu’au mois dernier. Des entreprises qui avaient l’habitude d’organiser leur congrès annuel dans certains pays arabes l’ont tenu à Beyrouth. Mais à l’heure actuelle, le taux d’occupation est à la baisse et nous sommes à la veille du Ramadan. Quant aux institutions hôtelières hors de Beyrouth, elles poussent les hauts cris. Lorsque nous avons demandé au président du syndicat des hôteliers, Pierre Achkar, comment pouvait-on l’aider, il a répondu: «Nous ne voulons pas de l’aide. Donnez-nous juste douze heures de courant électrique». Nous allons inviter le ministre Gebran Bassil à se présenter devant la commission de l’Economie, l’électricité est une ressource importante pour le pays, mais également le ministre des Télécommunications … pour savoir ce qui se passe.
Avant la coupure générale du courant, le ministre Bassil avait prévenu que le rationnement serait de 15 heures en moyenne, il semble que l’affaire des journaliers ait affecté les relations entre le CPL et ses deux alliés, le Hezbollah et Amal. Comment évaluez-vous la situation?
Je crois qu’aujourd’hui on rebat les cartes. Je ne suis pas de ceux qui passent à l’attaque, mais je vais avancer des faits. Vous avez sans doute remarqué qu’avant l’adoption du projet des bateaux-générateurs, les coupures étaient nombreuses. Avec l’accord conclu et la décision prise en Conseil des ministres, le rationnement a été allégé, comme s’il avait été utilisé pour faire pression en vue de l’adoption du projet. Maintenant que le projet des bateaux semble entravé, le rationnement s’est étrangement intensifié à nouveau.
Votre avis sur une nouvelle liste d’assassinats politiques incluant Fouad Siniora…
Pas de fumée sans feu. Ce sont des informations effrayantes publiées de façon quasi officielle…
On parle de 8 personnalités visées…
Il est clair que l’objectif est de provoquer une grande fitna pour que le Liban replonge dans la guerre civile. C’est pourquoi, il faut que tout le monde prenne ses précautions.
Au cœur de cette conjoncture, ne pensez-vous pas que le dialogue initié par le président Michel Sleiman soit nécessaire?
Au 14 mars et, en particulier, nous autres les disciples du regretté Rafic Hariri, nous n’avons foi que dans le dialogue. Mais nous souhaitons qu’il soit sérieux.
Allez-vous soulever, à la session du 25 juin, la question des armes du Hezbollah?
Il est naturel d’évoquer ce dossier. Je vais vous raconter une anecdote qui circule dans le pays: comme les principaux ministres du CPL ont échoué dans leur mission, décidons, par le dialogue, de remettre les armes du Hezbollah au courant aouniste! (rires) Les choses sont devenues insupportables. Nous avons réussi à éviter la fitna jusque-là, mais voyez comment les accrochages se déplacent d’un camp à l’autre, d’une région à l’autre. Si le pourrissement finit par toucher l’économie, le quotidien des gens et les emplois… il n’y aura plus de 14 ni de 8 mars, tout le monde sera dans la rue.
Vous avez parlé des incidents ambulants dans les camps, du blocage des routes. Quel est l’impact de tout cela sur l’image du pays?
Très mauvais. Nous évoquions, à la commission de l’Economie le problème des quatre pays -Bahreïn, Qatar, Emirats arabes unis et Koweït- qui ont invité leurs ressortissants à éviter le Liban. Le ministre du Tourisme dit qu’ils représentaient 7% du nombre total de touristes. Si le chiffre de 7% est correct, leurs dépenses pendant leur séjour représentent 25% du total des recettes du secteur, s’il faut y ajouter celles des Saoudiens, le chiffre atteint les 45%. Si 45% des dépenses proviennent du Golfe, comment voulez-vous que l’économie assume toutes ces pertes? Pour ce qui est des restaurants, le président du syndicat, Paul Ariss, dit que 5000 à 6000 restaurants sont dans une piteuse situation. Vous savez combien de jeunes travaillent dans ces restaurants pour assurer leur frais de scolarité…
Vous dites, pas d’élection à l’ombre des armes…
Personnellement, je pense qu’il faut faire l’impossible pour que les élections se déroulent. A l’ombre des armes, elles seront certes quelque peu falsifiées. Mais, il faut qu’elles soient organisées.
Propos recueillis par Saad Elias