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Nº 2852 du vendredi 6 juillet 2012

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Sandrine Bonnaire présente J’enrage de son absence. L’être face à son destin tragique

Sandrine Bonnaire est venue au Liban présenter son film J’enrage de son absence, dans le cadre de la Semaine de la Critique, qui se poursuit jusqu’au 11 juillet au cinéma Métropolis. Un poignant premier film de fiction réalisé par l’actrice française, après son documentaire Elle s’appelle Sabineen 2007. Interview.

Qu’est-ce qui vous a poussée à vouloir passer derrière la caméra?
Je crois que c’est le documentaire sur ma sœur qui m’a donné envie de continuer. Mais pour Elle s’appelle Sabine, l’idée au départ était de dénoncer le drame qu’elle a vécu (ndlr. Souffrant d’autisme). C’était un acte politique plutôt qu’une envie de réalisatrice. Mais du coup, je me suis sentie tellement utile et nourrie de tout ce que j’avais fait que j’ai eu envie de recommencer. Je me suis demandé si je suis capable de faire une fiction. Donc c’est à la fois une forme de défi et une logique de la continuité dans mon travail.

Dans J’enrage de son absence, vous ne prenez pas parti pour tel ou tel personnage. Est-ce un parti pris de votre part?
Oui, il n’y a pas de jugement. Ce qui m’intéresse dans ce film, et dans la vie aussi, est de se demander comment on s’en sort quand on a un destin tragique. Qu’est-ce qu’on fait de sa vie quand il arrive un coup dur. Certaines personnes arrivent à remonter, à trouver l’énergie. D’autres non. C’est comme les pays en guerre, un pays comme le vôtre par exemple, où on se dit allez, on repart, on recommence… Ce qui m’intéresse en général est de voir comment on est face à la dureté de la vie. D’où le fait de ne pas juger les personnages du film. Le personnage de Jacques ne se remet pas du deuil, et il n’y arrivera jamais. Mado essaie. Le personnage de Stephan, lui, vit avec une femme qui a un passé très lourd. Que fait-il alors face à ce destin, face à cette femme ? Pour l’enfant c’est pareil. C’est ce qui m’intéressait. Pour moi, tout le monde est légitime. Chacun des personnages a ses propres raisons de se comporter de cette manière.

Comment avez-vous dirigé vos acteurs?
Le personnage interprété par William Hurt impose le dépouillement, le renoncement. Il ne se passe plus rien en lui, tout est vide. Pour moi, c’est le personnage de William qui a porté l’enfant, c’est presque lui la mère. Il a un énorme trou dans le ventre. Il n’arrive pas à s’en remettre. Donc je lui disais de ne rien faire, d’être abattu, sans énergie… Je voyais un personnage très immobile, très lent. Pour Alexandra Lamy, c’est le contraire. Mado a décidé de reconstruire sa vie, même si je trouve qu’elle n’est pas réellement plus en forme que Jacques, car elle cache beaucoup de choses. Mais c’est sa manière d’avancer. Je voulais un personnage très en mouvement. Pour cette raison d’ailleurs je l’ai fait travailler dans cet entrepôt avec des hommes où elle marche beaucoup, où elle est dynamique. Elle a besoin d’avancer, c’est sa survie. C’est de cette manière que je les ai dirigés, avec ces petites indications qui s’inscrivent davantage dans le corps. Parce que pour moi la psychologie des personnages se travaille dans la narration, dans l’écriture du scénario. Après, quand on a le scénario et qu’on l’a compris, on n’a pas besoin de rejouer ce qui est écrit.

Et en ce qui concerne le jeune Jalil Mehenni, est-ce que c’était dur de diriger un enfant?
Non, il est tellement intelligent. Quand je l’ai choisi, je lui ai raconté l’histoire du film. Il était très en empathie par rapport au personnage. Il me posait beaucoup de questions. D’ailleurs, j’ai rajouté beaucoup des dialogues qu’il m’avait dits pendant le casting. J’ai senti en lui un enfant très solide, réaliste, concret dans sa démarche. Du coup, il a fait le film en ayant la compréhension des choses, en sachant qu’il s’agit de cinéma, que cette histoire n’existe pas. Donc, ça n’a pas du tout influé sur sa vie.

Cette première réalisation vous encourage-t-elle à poursuivre la réalisation?
Oui, j’ai très envie de continuer. J’ai déjà une idée pour le prochain film. Mais ça ne va pas m’empêcher de jouer, je vais alterner. Ces deux mondes ne sont pas tellement différents. C’est le même principe, les mêmes codes. Sauf que j’ai juste l’impression d’avoir la tête à l’envers. Je connais très bien le métier du côté de l’actrice. Donc il y a juste une petite gymnastique à faire sur le changement de position. Mais tout le reste est pareil, les aspects techniques, la volonté, l’énergie sont les mêmes.

Est-ce que le fait d’avoir travaillé avec de grands réalisateurs comme Pialat, Chabrol, Varda… vous a aidée?
Au niveau de la mise en scène, je ne me suis inspirée de personne. Mais au niveau de la direction d’acteurs, j’ai un peu une nostalgie de la première partie de ma carrière où les metteurs en scène étaient près de la caméra, regardaient leurs acteurs. J’ai fait ce travail: je regardais le moins possible le retour vidéo sur la caméra, je tournais les scènes en entier pour que les acteurs aient le temps de s’en imprégner, de s’imprégner de leur personnage…

Qu’est-ce qui vous a décidée à raconter l’histoire de cet homme que vous avez connu?
La dernière rencontre a été assez tragique. Il a complètement basculé dans la dépression, il est devenu clochard. Il ne s’est jamais remis de l’amour pour ma mère. Ça m’a bousculé, car c’est un homme que j’ai connu quand j’étais enfant, et je me demandais comment peut-on basculer à ce point-là. Des années plus tard, je suis devenue maman et j’ai pensé à cet homme. Je me suis dit que je ne pourrai pas faire le deuil d’un enfant que j’ai perdu, mais l’amour d’un homme, je pense que je m’en remettrais. Je suis partie de son histoire en me demandant encore une fois ce qu’on fait de son destin. Lui, son destin est devenu tragique et il l’a rendu tragique. Il a décidé qu’il n’allait pas aimer la vie. C’est toujours perturbant, surtout quand il s’agit de quelqu’un qu’on a connu.

Jusqu'à quel point peut-on être objectif dans la réalisation d’un film quand on est impliqué affectivement?
Il y a quand même une distance qui se crée. L’implication personnelle est surtout au moment de l’écriture. Après, ça devient un film. Tout fait qu’on prend de la distance, car il y a une grande équipe, une caméra à mettre en place, des acteurs à qui parler… On fabrique un film. Il ne revient plus à moi de donner de l’émotion, mais aux autres. J’ai donné toutes les cartes. Après, je vois si l’émotion est là; sinon, je refais un petit aiguillage.

Comment s’est passée la projection du film au Liban?
C’était très fort. Je suis émue d’être là. C’est d’autant plus fort que c’est la première présentation à l’étranger. Et le fait que ce soit au Liban, ça correspond un peu à mon film. C’est un pays qui est cassé, brisé. Une ville qui a été détruite, qui se reconstruit. Je trouve qu’il y a quelque chose de symbolique avec le personnage de Jacques. Avec tous les personnages aussi. Des gens qui ont été brisés par une tragédie et qui essaient de faire avec ce qu’ils ont.

Propos recueillis par N.R.

J’enrage de son absence
Après dix ans d’absence, Jacques ressurgit dans la vie de Mado, aujourd’hui mariée à Stephan et mère de Paul, 7 ans. Alors que Mado a refait sa vie, Jacques en paraît incapable. Et lorsqu’il rencontre Paul, c’est un choc. La complicité marquée entre les deux finit par déranger Mado qui leur interdit de se revoir. Mais Jacques ne compte pas en rester là… Dès la première scène, Sandrine Bonnaire installe un climat de tension qui s’en va croissant à mesure que l’histoire déroule ses rebondissements. Le film tient la tension de bout en bout, toujours plus poignante, toujours plus bouleversante, sans jamais plonger dans le pathos ou le larmoiement. Le silence semble à chaque seconde imprégné de mille et une émotions, de mille et une sensations. Et le spectateur se laisse happer, envoûter par cette histoire, changeant tour à tour de point de vue, se glissant à chaque fois au cœur de la sensibilité des personnages. Jacques, Mado, Stephan, Paul. Des personnages entiers, grâce notamment à un magnifique jeu d’acteurs: William Hurt majestueux dans le vide bouleversant de son regard, Alexandra Lamay dans la détresse du masque qu’elle se force à porter, Augustin Legrand dans la crudité de son impuissance et Jalil Mehenni dans l’innocence du lourd secret qu’il porte. Vous en sortez tellement bouleversé!

 

 

 

 

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