Magazine Le Mensuel

Nº 2857 du vendredi 10 août 2012

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Camp international. LeBAM démocratise la musique

Du 28 juillet au 5 août dernier, le petit village de Baskinta au Metn a accueilli le troisième camp international de musique de chambre, organisé par l’Association libanaise pour la Promotion de la musique orchestrale (LeBAM). Une très belle initiative, unique en son genre dans toute la région.

Une quarantaine de kilomètres séparent Beyrouth du paradis des musiciens, le temps d’un camp d’été, perché dans les hauteurs du Metn, dans le petit village de Baskinta.
Sur les escaliers de l’école des Frères, des clarinettistes prennent une pause. Le chant des grillons a laissé place à la tessiture des cuivres qui se fait entendre au loin. A l’entrée, des femmes discutent, ce sont les nounous du centre, des mères de famille bénévoles qui s’occupent de bichonner quelque 190 musiciens en herbe ou même bel et bien confirmés, de huit à vingt deux ans.
Cette fourmilière de talents est le fruit du travail de l’Association libanaise pour la Promotion de la musique orchestrale (LeBAM), créée en 2008 par Ghassan Tuéni, Walid Gholmié et Ghassan Moukheiber. «Notre objectif est de démocratiser la musique, affirme Moukheiber, contacté par Magazine. Nous voulons que des orchestres harmoniques se créent un peu partout dans le pays. Nous avons actuellement trois centres: à Jdeidé, Baskinta et Beit Mery où la formation est gratuite et les instruments mis à la disposition des enfants. L’important c’est qu’ils jouent ensemble, ajoute l’ancien hautboïste. La musique est ludique et, en même temps, une formation à la citoyenneté. On y apprend la collaboration, le respect de la différence et la précision, la musique ne permet pas de demi-mesure».
Comme un aboutissement, le troisième camp international de musique de chambre se tient pour la seconde fois, à Baskinta, durant une petite semaine.
Dans la salle des profs où, dans l’armoire principale, sont gardés des stocks de hanches et autres becs de rechanges, le directeur du camp, Gene Aitken, reprend son souffle entre deux workshops. Il mène d’une main de maître l’initiative depuis ses débuts. «Nous sommes partis de zéro et aujourd’hui, nous comptons, toute l’année dans nos cours, pas moins de 300 élèves, souligne-t-il. Dans le camp, certains viennent de Jordanie ou d’Irak. J’espère que cette tendance va s’accélérer et que nous pourrons accueillir d’autres musiciens du monde arabe. La musique devrait être accessible à tous, mais c’est loin d’être le cas, poursuit-il. Au Liban, rien ne ressemble de loin ou de près à cette initiative. Ce camp, premier du genre dans toute la région, est d’autre part gratuit pour n’exclure personne, c’est une exceptionnelle opportunité». La méthode choisie est originaire des Etats-Unis, tout comme le maestro Aitken. Elle consiste à travailler en groupe et le site du camp semble être idéal pour la mener à bien. «Baskinta… c’est un endroit rêvé, reprend-t-il. Ce petit village est unique. L’air est frais, l’école des frères est très vaste, ce qui permet aux différents groupes de se retrouver par étage». Et effectivement, dans une atmosphère champêtre, une mélodie se dégage de chaque recoin de l’école. Au rez-de-chaussée, les percussions s’entraînent assidûment. Dans une salle à côté, sorte de dépôts où sont alignées des boîtes d’instruments par dizaines, Sami, musicien de la fanfare de l’armée, s’occupe à réparer un cor. «Je suis venu ici pour apprendre à enseigner aux débutants», explique-t-il. C’est que le camp a plus d’un tour dans son sac et dispense également des cours d’apprentissage pour les professeurs et des ateliers de chef d’orchestre. Comme le précise Gene Aitken: «pour former la nouvelle génération de musiciens libanais, nous avons besoin de professeurs qui savent enseigner aux élèves». Et Sami se réjouit de ce nouveau projet. «Cela permet d’acquérir de l’expérience, relève-t-il, et ça se passe très bien. C’est plus intéressant de travailler avec les petits. Ils apprennent avec plaisir et les résultats sont rapidement visibles. On blague tous ensemble, et dès qu’il s’agit de travailler, on s’y met sérieusement».
Au sous-sol, l’un des trois orchestres du camp répète déjà ses partitions sous la baguette de son chef d’orchestre, Serghei Bolun. Et étrangement, toute la famille des instruments à vent est au complet. Personne ne manque à l’appel, ni la clarinette basse ni le saxophone baryton. Pour l’anecdote, une famille entière de Baskinta fait partie des musiciens, dans ce groupe, le père et le fils sont assis coude à coude, à savoir qui aura la meilleure technique au tuba.  
Au premier, fenêtre ouverte sur la nature, un groupe de filles peaufinent leur gamme en flûte traversière. Sara, vingt ans, en fait partie. «J’aime cette expérience, affirme-t-elle. J’ai choisi la flûte parce qu’elle est romantique comme moi. Je suis encore débutante, mais la musique me procure déjà de la joie. Le fait de jouer dans un orchestre me permet de pouvoir mieux m’exprimer».
Dans les couloirs, les jeunes pousses musicales se baladent avec leurs instruments à la main. Ziad et Rami, respectivement 12 et 13 ans, observent avec attention l’atelier des cuivres. Les deux jeunes trombonistes savent d’ores et déjà qu’ils n’en feront pas leur métier, ce qui ne les empêche pas de profiter à fond de l’expérience. Plus loin, Rony s’occupe de l’orchestre des débutants-intermédiaires et ne tarit pas d’éloges sur l’initiative du BAM. «Ce camp est une grande chance pour nous tous et une excellente opportunité pour moi, dit-il. C’est la première fois que nous avons l’occasion d’apprendre à diriger». Pour lui, le fait de jouer ensemble apporte un intérêt certain aux élèves: la nécessité d’écouter l’autre. Même son de diapason chez Antoine Rayess, coordinateur du camp et responsable des élèves. «Jouer ensemble, entraîne les élèves à apprendre des uns et des autres», confirme-t-il. Présent sur le projet depuis ses prémices, il revient également sur les qualités générales de la musique. «Nous souhaitons que la société libanaise profite des bénéfices de la musique. Elle modifie les personnalités. Les musiciens s’éloignent des mauvaises directions, assure-t-il, autant que la musique les aide à réussir dans leurs études». Et l’information est confirmée par le directeur du camp. «Il a été prouvé que la pratique musicale pendant plus de trois ans permet d’obtenir de meilleurs résultats scolaires. L’enfant développe ses facultés académiques, mais également sa créativité», note Gene Aitken. Une observation partagée par Dounia Beaino, responsable des parents d’élèves, ébahie par les talents musicaux de ses deux rejetons. «Ce camp est très important pour eux, précise-t-elle. Je voulais qu’ils soient dans le chemin de la musique pour les empêcher de prendre des voies plus houleuses. Ils constatent d’ailleurs par eux-mêmes la différence dans leur entourage. La musique les aide à être patients et améliore leur concentration, notamment dans leurs études, décrit-elle avant d’ajouter, je ne savais pas qu’ils seraient aussi bons et qu’ils décideraient de continuer».
Il reste que LeBAM n’est pas près d’en rester là. Pour clôturer ce camp d’été, deux concerts ont été au programme du week-end du 4 et 5 août. D’autre part, selon Ghassan Moukheiber, LeBAM ouvrira, l’année prochaine, des centres à Tyr et au Akkar et il réfléchit déjà à un projet dans le Chouf. De beaux jours s’annoncent pour les musiciens en herbe du pays. Pourvu que ça dure.

Delphine Darmency

 

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