Magazine Le Mensuel

Nº 2858 du vendredi 17 août 2012

LES GENS

Selwa Roosevelt. Du Liban-Nord à la Maison-Blanche

Selwa Showker Roosevelt, nommée récemment femme de l’année par ACCESS, la plus grande organisation œuvrant pour les Arabes aux Etats-Unis, est une femme comblée. Quelques mois avant cette consécration, le président Barack Obama lui a remis une mention élogieuse pour son Administration publique et pour son travail au sein de la Maison-Blanche. Retour sur la carrière réussie d’une fille de migrants libanais modestes.

Pauline Mouhanna, Washington D.C.
Pour certains, elle est Selwa «the lucky» ou «la chanceuse». Pour d’autres, elle est «Madame l’ ambassadeur». Ses proches, eux, la perçoivent toujours comme cette femme druze originaire du Nord du Liban, et précisément de Hasroun. Au fond, Selwa est tout cela à la fois. A 83 ans, elle surprend par sa lucidité, sa sagesse et son franc-parler. Dynamique, elle continue ses nombreuses activités et assume ses responsabilités professionnelles sans broncher, et ce, depuis plus de 40 ans.
 
Chef de protocole
Tout commence lorsque Selwa, journaliste, épouse en 1950 le petit-fils du président américain, Theodore Roosevelt. Son mari, Archibald Bulloch Roosevelt Junior, est alors chef des renseignements (voir encadré). Grâce à lui, elle entre dans le cercle très fermé de la diplomatie américaine. Séduits par son talent, les responsables de la Maison-Blanche la nomment chef du protocole des Etats-Unis. Pour cette jeune femme dynamique, qui a travaillé pour The Washington Post, Family Circle et d’autres médias, c’est le début d’une nouvelle longue carrière. «Je suis restée chef du protocole des Etats-Unis de 1982 à 1989. Auparavant, personne n’a jamais tenu autant dans ce poste». Ce qui lui a permis de perdurer autant c’est sans doute le fait qu’elle parle plusieurs langues et sa ténacité à travailler sans compter les heures. Mais pour elle, les raisons sont à chercher ailleurs. «J’avais des chefs exceptionnels. Le président Ronald Reagan n’était pas autoritaire et me laissait la liberté d’agir». Ce président américain lui faisait tellement confiance qu’il n’a pas hésité à la nommer sa représentante au sein du Corps diplomatique résidant à Washington. Elle est alors promue au rang d’ambassadeur. Durant sa carrière, Selwa Roosevelt a reçu plus de 1000 dirigeants originaires de plusieurs pays. «C’était la période de rapprochement avec la Russie. Je me rappelle très bien de la visite du président Gorbatchev aux Etats-Unis. Par la suite, j’ai accompagné le président Reagan à Moscou». Outre le dernier dirigeant soviétique, Selwa Roosevelt avait l’habitude de recevoir chaque année la dame de fer, Margaret Thatcher. «Lorsque vous rencontrez de telles personnalités, vous savez qu’elles vous marqueront à vie». Le fils d’Indira Gandhi, Rajiv Gandhi, avait aussi ses habitudes à la Maison-Blanche. Quant au président François Mitterrand, il a effectué plusieurs visites aux Etats-Unis. Idem pour des responsables libanais et arabes et des présidents Sud-Américains. «Durant ces années, rares sont les dirigeants qui ne sont pas venus aux Etats-Unis. La Maison-Blanche organisait alors chaque mois des dîners pour eux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui». Il faut dire que Selwa Roosevelt est bien placée pour juger de la situation actuelle, puisqu’au fil des années, elle a gardé des liens avec les chefs du protocole qui lui ont succédé. Elle a également assumé la responsabilité de la restauration du «Blair House Project». Un projet étalé sur 6 ans, dédié à la rénovation de 110 chambres présidentielles pour un coût de 9 millions de dollars de fonds publics et 5 millions de dollars de fonds privés. Une fois de plus, son talent lui donnera la possibilité de conforter son rang au sein de la diplomatie américaine. Elle devient présidente de ce projet, un titre qu’elle garde jusqu’ à aujourd’hui.

Prix et récompenses
«The Blair House project» lui a permis d’être décorée récemment par le président Barack Obama. «Ce fut un moment très exceptionnel pour moi, non seulement parce que j’ai beaucoup d’admiration et de respect pour lui, mais pour l’importance de cette décoration. Grâce à ce projet, nous avons rendu ces chambres présidentielles tellement plus agréables. Cela est important car c’est la première chose que les visiteurs de la Maison-Blanche voient». Outre cette décoration présidentielle, le club Républicain féminin de New York lui a remis un prix pour sa gestion du service public. Et le département de la Défense lui a octroyé une médaille exceptionnelle de service civil. Les dirigeants européens ont tenu également à lui rendre hommage. Le gouvernement italien l’a nommée Officier de l’Ordre du Mérite de la République italienne. Mais un prix spécial lui tient particulièrement à cœur. C’est celui d’ACCESS, la plus grande organisation américano-arabe. Cette dernière l’a désignée récemment femme de l’année durant une cérémonie à laquelle ont participé des centaines de personnalités arabo-américaines. Une consécration qui l’émeut parce qu’elle lui rappelle ses origines, ses racines.
Lorsque son père, Salim Showker, est arrivé aux Etats-Unis lors de la Première Guerre mondiale, il a laissé derrière lui son village Hasroun et ses parents. Ses frères avaient déjà émigré avant lui. «La vie était si difficile. Sa mère, Najla, arrivée à l’âge de 17 ans, sera confrontée aux mêmes difficultés». Elle a dû s’adapter à sa nouvelle vie. Juste après la mort de son père, elle a effectué des études et a obtenu un doctorat. «C’est à ma mère que je dédie ce prix. Elle a toujours été si fière de ses origines arabes et libanaises». Les parents de Selwa étaient très attachés à leur langue d’origine. «Ils voulaient qu’on apprenne l’arabe, ma sœur et moi. C’est pour cette raison qu’ils ont tenu à retourner au Liban lors de notre jeunesse». Mais une fois que la famille revient en Amérique, la jeune Selwa résiste et ne veut pas se distinguer de ses amis de classe. «Je refusais de parler l’arabe. C’était l’âge où je ne voulais pas être différente». Au fil des ans, pourtant, elle comprend que c’est cette différence qui va l’enrichir, lui permettre de devenir première de sa promotion au lycée et ensuite à l’Université. «Cette richesse culturelle m’a poussée à travailler plus sur moi-même». Après la fin de sa carrière à la Maison-Blanche, elle publie un livre Keeper of the Gate. Recommandé par les bibliothèques publiques américaines, il permet aux lecteurs de comprendre le travail d’un chef du protocole et les liens entre la diplomatie et le Protocole. Selwa Roosevelt a aussi tenu à retravailler dans le journalisme. Actuellement, elle est rédactrice en chef de la revue trimestrielle Méditerranée. Elle est également membre du Comité exécutif de l’Opéra national de Washington. A 83 ans, Selwa Showker Roosevelt n’aura pas fini de nous étonner. P.M.  

Ce qu’elle en pense
-De la culture libanaise: Rien ne remplace notre hospitalité. Les Libanais sont ouverts d’esprit, accueillants, aimants. Quant à la cuisine libanaise, elle est la meilleure. C’est ce qui m’a sans doute permis d’avoir une si longue vie. Ma mère, qui cuisinait pour nous a vécu jusqu’ à l’âge de 98 ans!
-Des valeurs familiales qu’elle a reçues: C’est ce qui m’a probablement permis de réussir mon parcours. Ma mère surtout m’a tant inspiré. Une femme qui était à la base illettrée est devenue professeur de collège. Ce que je retiens d’elle, c’est son amour pour sa famille et pour son travail.
-De ses nombreux voyages au Moyen-Orient: Avec mon mari, nous avons vécu dans plusieurs pays, notamment en Turquie, au Liban. C’était la plus belle période de notre vie. Mon mari parlait parfaitement l’arabe et on était bien adapté au rythme méditerranéen.  

Archibald Bulloch Roosevelt Jr
Archibald Bulloch Roosevelt Junior, (né en 1918-décédé en 1990), petit-fils du président américain qui, en 1950, a épousé Selwa Showker est un officier qui a servi durant la Seconde Guerre mondiale en Irak et en Iran. Il a par la suite travaillé en tant que chef de station de la CIA à Istanbul, Madrid et Londres. Polyglotte, il parlait plus d’une vingtaine de langues, dont l’arabe, le français, l’espagnol, le russe, l’hébreu, le swahili et l’ouzbek.

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