Dimanche, sur la Place des martyrs à Beyrouth, les funérailles du général Wissam el-Hassan se sont transformées en manifestation politique violente. Devant le Sérail, des heurts ont opposé manifestants et forces de l’ordre avant que le calme ne revienne. Au moins provisoirement.
Quarante-huit heures après l’attentat d’Achrafié, l’enterrement du chef des renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI) a eu lieu à la mosquée Al-Amine, en présence d’une foule importante venue des quatre coins du Liban. La famille de Wissam el-Hassan, son épouse et ses deux fils, qui avaient été mis en sécurité à Paris étaient là, très affectés. A l’issue des prières célébrées à l’intention du général et de son garde du corps, Ahmad Sahyouni, le rassemblement a pris l’allure d’un mouvement de foule en direction du Grand sérail. Formée à l’appel du 14 mars autour des cercueils des deux défunts, la grande cérémonie s’est rapidement muée en bruyante manifestation politique, où les drapeaux partisans et ceux de l’opposition syrienne, étaient plus nombreux que les couleurs du Liban.
Spontanéité organisée
A la tribune, cheikh Malek el-Chaar, mufti de Tripoli, tient un discours modéré et calme. Le principal orateur s’en est remis «à Dieu pour obtenir vengeance». Oussama Rifaï, Fouad Siniora et Nadim Koteich se sont occupés de faire monter la température. Tout est allé crescendo. Dans un discours anti-syrien et anti-Hezbollah, le premier, mufti limogé du Akkar, a incité les jeunes «à agir au lieu de pleurnicher comme des femmes». L’ancien Premier ministre, s’adressant aux «masses d’Hariri» et citant Bachir et Pierre Gemayel, Kamal Joumblatt, Camille Chamoun ou encore Gebran Tuéni, est allé encore plus loin. Il a annoncé d’entrée de jeu, qu’il refuserait tout dialogue «sur le sang des martyrs». Expliquant que «les assassins avaient bénéficié d’une aide depuis l’aéroport de Beyrouth jusqu’à Achrafié», ce qui revient implicitement à accuser le Hezbollah, il a demandé très clairement le départ du gouvernement, lui reprochant de couvrir ces crimes. «Ce gouvernement est responsable, ton maintien à ce poste n’est plus acceptable, si tu restes, ça veut dire que tu es d’accord avec ce qui se passe et ce qui se passera», a-t-il lancé directement à Najib Mikati. Clou du spectacle, Nadim Koteich, un journaliste de la chaîne Future, la télévision de Saad Hariri, qui n’était a priori pas prévu sur la liste des intervenants, pas plus que cheikh Rifaï d’ailleurs, a presque arraché le microphone pour appeler les jeunes à prendre d’assaut les bureaux du Premier ministre. Un panel de partisans aussi large qu’impensable allant des islamistes au Parti national libéral, en passant par les Kataëb, les Forces libanaises, le Mustaqbal et des opposants syriens, s’est alors dirigé au pas de course vers les bureaux du Premier ministre, situés 500 mètres plus loin. On a du mal à croire à une «réaction spontanée», comme l’a justifié lundi le quotidien al-Mustaqbal. Dans la matinée, certaines sources non-confirmées avaient révélé le possible retour de Saad Hariri à Beyrouth à l’occasion des funérailles. Une autre manière de mobiliser les foules.
L’assaut est repoussé
Chauffés à blanc par des discours offensifs, les quelques deux cents manifestants ont provoqué les forces de l’ordre à coups de bâtons, de bouteilles de verre, de barres de fer et de chaînes. Ils ont réussi à forcer un premier barrage avant d’être définitivement stoppés à quelques mètres de l’édifice ministériel, repoussés par l’armée, ses tirs en l’air et ses gaz lacrymogènes. Les unités d’élite envoyées en renfort ont assis le contrôle des forces de l’ordre. Un message de Saad Hariri diffusé par les télévisions a demandé le retour au calme. L’ancien Premier ministre, qui réside depuis un an et demi entre Paris et Jeddah, a en effet enjoint à ses troupes de ne pas recourir à la violence. Il a précisé qu’il dépêcherait sa garde personnelle, s’il le faut, pour protéger «ce haut lieu de la légalité libanaise». Fouad Siniora en a fait de même. A l’appel de leurs leaders, les partisans de la coalition anti-syrienne du 14 mars se sont dispersés en fin d’après-midi.
La presse divisée
Lundi matin, la presse libanaise était clivée. D’un côté les condamnations, de l’autre les justifications. As-Safir (proche de la majorité) note un «suicide politique pour l’opposition». Estimant que le «martyr Wissam el-Hassan méritait un adieu digne de ses réalisations et de ses exploits nationaux», le journal accuse le 14 mars d’«un péché prémédité», ajoutant même que l’hommage militaire aurait pu suffire. Al-Akhbar, quant à lui, n’a pas hésité à qualifier les heurts de la veille de «coup d’Etat raté». Il tient pour responsable de cet échec l’Occident et les muftis du Nord et de la République qui veulent à tout prix le maintien de la stabilité au Liban.
Sans surprise, les quotidiens plus proches du 14 mars, tiennent un discours tout autre. An-Nahar reste neutre, en soulignant que le massacre a été évité de justesse. Le quotidien remarque également la présence d’un nombre grandissant de salafistes au sein des militants anti-syriens. «Il suffit de comparer le nombre de drapeaux noirs et ceux de la révolution syrienne avec celui des drapeaux du Courant du futur ou des autres partis du 14 mars, pour réaliser que les forces islamistes prennent le dessus dans la rue sunnite», relève-t-il. Citant le refus de laisser comparaître les quatre membres du Hezbollah impliqués dans l’assassinat de Rafic Hariri et les yeux fermés du gouvernement sur l’action de certains de ses membres aux côtés du régime syrien. L’Orient- Le jour juge lui que la colère de l’opposition contre Nagib Mikati a «quelque chose de bien compréhensible» et dénonce son «insupportable ambivalence». Enfin le quotidien al-Mustaqbal, organe du Courant du futur, souligne que le journaliste Nadim Koteich – celui qui a pris le microphone pour inciter les manifestants à se rendre devant le Grand sérail- n’est qu’un «activiste de la société civile», ajoutant qu’il n’est pas membre du courant de Saad Hariri. Concernant les heurts en tant que tels, le journal estime qu’ils n’auraient pas eu lieu si les forces de l’ordre n’avaient pas lancé de grenades lacrymogènes vers les manifestants.
Antoine Wénisch
Les réactions
-Samir Geagea, chef des Forces libanaises:«Le 14 mars doit poursuivre le chemin de l’indépendance afin de surmonter cette série d’enterrements et de martyrs. La majorité est responsable directement et indirectement du chaos sécuritaire dans le pays. Le gouvernement doit démissionner immédiatement. Il ne nous reste plus qu’à former un véritable gouvernement national souverain afin de paver la voie à un nouvel épisode de reconnaissance politique et sécuritaire».
-Cheikh Mohammad Kabbani, grand Mufti de la République:
«Les tentatives de faire chuter le gouvernement dans la rue sont inacceptables. Ceux qui tentent de faire chuter le gouvernement de cette façon se font des illusions. Le gouvernement n’est pas un poste réservé à un parti ou à un autre. Nous nous étions opposés dans le passé à ce genre d’agissement et nous nous y opposerons aujourd’hui et demain».