Magazine Le Mensuel

Nº 2874 du vendredi 7 décembre 2012

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Alexander Zasypkin. Témoin d’une époque

On peut, sans se tromper, dire qu’il est véritablement témoin de l’histoire de la Russie moderne et qu’il fait partie de ceux qui ont vécu les différentes transformations qu’a connues l’Union soviétique. Dans ses yeux bleus qui pétillent de malice, toute la passion qu’il porte pour ce Moyen-Orient qu’il connaît depuis plus de trente ans. Portrait de l’ambassadeur de Russie au Liban, Alexander Zasypkin.

Derrière de hauts murs gris, surmontés de barbelés, entre la rue Mar Elias et Corniche Mazraa, se cache dans un écrin de verdure l’ambassade de Russie, une bâtisse surprenante qui ressemble plus à une église orthodoxe qu’à un «siège du KGB». Un portail en fer, un garde tenant en laisse un chien à l’allure inquiétante, tout cela est vite effacé avec l’arrivée de l’ambassadeur tout sourire.
Dans un salon, sirotant un café, Alexander Zasypkin nous raconte son parcours et évoque ses souvenirs. Il est né en 1951, deux ans avant la mort de Staline. Son enfance fut marquée par la déstalinisation. «A l’école, dans les années 60, régnait un esprit de liberté et de démocratie mais dans le cadre du socialisme soviétique», se souvient Zasypkin. Pour son choix universitaire, il hésite entre les sciences naturelles et les relations internationales, avant de se décider pour ces dernières car, dit-il tout simplement, c’est ce que j’aimais. Dès sa première année d’études, il apprend la langue arabe qu’il maîtrise parfaitement, ainsi que le français et l’anglais. «Depuis cette époque, je me suis intéressé au monde arabe», confie l’ambassadeur. Son diplôme en poche, on lui propose un poste au ministère des Affaires étrangères, où il débute sa carrière diplomatique en 1973. Depuis, il vit entre Moscou et les pays arabes, en Syrie particulièrement, où il a effectué plus de trois missions. «J’ai vécu longtemps en Syrie. J’ai suivi de près une longue partie de l’Histoire moderne de ce pays et je connais bien le peuple. J’ai été aussi premier chargé d’affaires en Arabie saoudite, ambassadeur au Yémen et, depuis deux ans, je suis au Liban, un pays que j’ai visité plusieurs fois durant mes missions en Syrie», raconte le diplomate.
Vivre en voyageant d’un pays à un autre est un mode de vie auquel Alexander Zasypkin s’est habitué et qu’il affectionne particulièrement. «Il y a beaucoup de choses que j’aime dans ce style de vie. Je suis fasciné par la découverte de nouveaux endroits, la connaissance de peuples différents. C’est quelque chose d’unique», explique-t-il. La seule stabilité dans sa vie lui a été apportée par son épouse. Ils se sont rencontrés en Syrie, il y a plus de trente ans, alors qu’il était en mission et qu’elle travaillait sur le développement des terrains. Ils se sont mariés à Alep et l’ambassadeur se souvient avec nostalgie des balades dans les rues de la ville. «Là où je vais mon épouse m’accompagne. Je n’imagine pas ma vie sans elle», dit le diplomate. Ils ont un fils de trente ans qui, à l’instar de son père, travaille au ministère des Affaires étrangères mais qui, lui, est par contre spécialisé dans les affaires européennes. «Actuellement, il vit en Russie mais il a passé une grande partie de sa vie avec nous. Il a été à l’école russe en Syrie et au Yémen», raconte Zasypkin.
Le Liban, une «vieille connaissance»
«Je suis en poste depuis deux ans à Beyrouth mais je connais le pays depuis 1970», précise Alexander Zasypkin. Pour l’ambassadeur de Russie, le Liban est un pays agréable où il fait bon vivre. «Tout est beau, la nature, la mer, la montagne. Les gens sont chaleureux et hospitaliers. L’histoire y est particulièrement riche. Même celle de la communauté orthodoxe à laquelle j’appartiens y est intéressante et j’aime beaucoup visiter les sites historiques et les églises orthodoxes. J’ai été à Baalbeck, à Tyr, au Akkar et dans la Békaa», déclare-t-il. Selon le diplomate, sur le plan politique, le Liban est un pays très actif. «La vie politique est intense et il s’y passe quelque chose chaque jour. Mon travail est très sérieux et les rencontres que je fais sont importantes car nous traversons une période critique sur le plan régional», souligne Alexander Zasypkin. Il est convaincu de certaines réalités libanaises et, pour lui, le plus important demeure l’équilibre entre les communautés et les différentes forces politiques. «Au Liban, aucune partie ne peut vaincre l’autre. Il faut toujours trouver un dénominateur commun qui renforce la coexistence», pour le diplomate. Il apprécie également la gastronomie libanaise et considère que, de nature, les Russes aiment la cuisine orientale. «Au début, je connaissais la cuisine syrienne, alépine en particulier et, par la suite, j’ai découvert la cuisine libanaise que j’aime beaucoup. Elle est variée, riche en mezzés. Elle est différente de la cuisine russe et c’est ce qui la rend savoureuse», estime le diplomate.
Malgré ses nombreuses occupations, il trouve du temps pour ses loisirs, la natation qu’il pratique régulièrement. «En plein hiver, je nage dans la mer. Pour nous Russes, il ne fait jamais froid au Liban. La température de l’eau à 16 degrés est très agréable», dit-il en souriant. Il joue également au tennis, fait du sport en salle et de la culture physique. Actif sur le plan du social Networking, il possède une page sur Facebook et participe à plusieurs forums de discussion portant sur le dialogue des religions, l’histoire de la Russie, les relations entre les peuples… «Je suis intéressé par la relation entre science et religion. Je partage mes idées dans ces forums auxquels participent des Russes vivant partout dans le monde. Nous avons également une page qui réunit tous les amis de promotion. C’est un moyen de rester en contact avec les amis de jeunesse. Au début, nous étions cinq ou six, alors que maintenant nous sommes nombreux», déclare l’ambassadeur. Il fait partie de ceux qui croient que chaque personne doit faire son devoir même si ce qui doit arriver arrivera. «Je me contente d’accomplir mon devoir, le reste ne m’intéresse pas», dit-il.
Nostalgique, il se souvient de son enfance dans les années 60, une époque où l’on pensait que le plus important, c’étaient les exploits humains, les grandes découvertes scientifiques, la conquête de l’espace.
«Après expérience, il est apparu que les problèmes sociaux et politiques étaient toujours là et ils ont influé sur la situation. L’évolution des événements était plus difficile que prévu. Nous avons vécu des instants pénibles à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique. C’était une catastrophe pour le peuple mais il fallait que ce changement intervienne. On s’est retrouvé dans une période nouvelle et, pratiquement, nous construisons une nouvelle société», reconnaît l’ambassadeur.
Pour lui, les réalisations de l’Union soviétique furent prodigieuses mais en même temps il y avait des carences qui devaient être comblées. «Le danger de la guerre a pu être évité mais la population a subi de lourdes charges. Nous avons vécu une période transitoire durant les années 90 et depuis douze ans nous sommes rentrés dans une phase de stabilité».

Joëlle Seif
 

Ce qu’il en pense
Le Printemps arabe: «C’est un phénomène global, populaire qui mène à de grandes transformations dans la région. Ces développements interviennent rapidement et sont marqués par beaucoup de contradictions. Toutes les parties y participent, chacune dans un but différent. On n’en connaît pas encore précisément les résultats. C’est pourquoi j’estime que la position officielle russe, en tant que partie étrangère, doit reposer sur un objectif précis: que les peuples vivent cette période transitoire avec le moins de dégâts possibles pour qu’ils arrivent en définitive à un régime meilleur. Pratiquement, ces pays-là parlent de réformes mais celles-ci se heurtent aux contradictions internes de chaque pays. Malheureusement, les parties étrangères n’aident pas toujours à assainir la situation, bien au contraire, elles encouragent les désaccords. Durant la crise syrienne nous avons déployé beaucoup d’efforts en vue de trouver une solution politique pacifique au conflit et arriver à un accord sur les réformes et les élections et pourtant celui-ci persiste».
Risque de guerre régionale: «Les craintes existent toujours et nous sommes certains que le choix de la guerre serait une erreur monumentale qui ne peut mener qu’à des conséquences dramatiques. Nous faisons de notre mieux pour écarter cette menace».
Crainte pour les chrétiens: «La protection des minorités, et des chrétiens en particulier, est la priorité de la politique russe dans la région. Nous insistons sur le fait que tout compromis politique en Syrie doit garantir les droits des minorités. Nous savons parfaitement qu’il existe de nombreuses raisons qui poussent les chrétiens vers l’émigration. C’est pour cela que nous voulons, non seulement une solution politique, mais aussi les garanties nécessaires qui permettraient aux chrétiens de rester dans leurs pays respectifs».

 

Les «restes» de l’Union soviétique
Avec beaucoup d’humour, l’ambassadeur russe raconte que, lorsqu’il était en poste au Yémen, le Premier ministre, Abdel-Kader Bajamal, membre important du Parti socialiste, lui a demandé s’il faisait partie des nouveaux Russes ou des «restes» de l’Union soviétique. «Je lui ai répondu que ma génération a beaucoup de chance, car nous avons vécu la moitié de notre vie dans l’Union soviétique et maintenant nous avons l’opportunité de vivre une deuxième époque», dit-il en souriant.

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