Dans le hall en marbre poli du Dubaï Mall, des femmes en abayas et des touristes émerveillés se promènent le long de l’aquarium géant entouré de boutiques de luxe. A quelques milliers de kilomètres de là, l’ambiance est plus morose dans le centre-ville de Beyrouth dont les allées luxueuses sont parcourues par quelques rares clients. Dubaï supplante désormais Beyrouth dans les domaines de l’économie, des finances, du tourisme et des médias.
Quatre ans après la crise financière, ayant précipité la ville de Dubaï au bord de la faillite, le petit émirat a renoué avec une croissance sans faille oscillant entre 4,5% et 5 % en 2012. Un taux soutenu par une progression de 6% dans le secteur du tourisme. Crises politiques régionales et locales, activité économique dépressive, rationnement de l’électricité, kidnappings et altercations intempestives en série ont contribué à une croissance plus que timide au Liban de 1,5%.
Le Pays du Cèdre, qualifié dans les années soixante de Suisse du Moyen-Orient, a perdu son lustre au profit de Dubaï. Cette mégalopole est devenue, en quelques années, un centre régional irremplaçable ayant surpassé le Liban à presque tous les niveaux…
Boom touristique
C’est côté tourisme que le Liban et Dubaï se situent aux antipodes l’un de l’autre. Dubaï continue d’afficher une performance impressionnante. En 2012, l’occupation des hôtels dépassait les 80%. L’Aéroport international de Dubaï, classé quatrième aéroport au monde en termes de trafic international, a accueilli 52,3 millions de voyageurs au cours des onze premiers mois de 2012, en hausse de 13,1% par rapport à 2011. «L’expansion de l’aéroport va permettre d’accueillir plus de soixante millions de passagers», assure l’économiste Ghazi Wazni. Le nombre de voyageurs devrait atteindre 98 millions en 2020.
Le nombre de touristes a augmenté, lui, de 10% avec neuf millions de personnes ayant visité Dubaï l’année passée. Une vraie manne pour les tour-opérateurs, comme le libanais Wild Discovery. Cette agence affiliée au groupe Johnny R. Saadé Holdings, est présente à Dubaï depuis 2005. «Le lancement de notre agence à Dubaï est partie intégrante d’une expansion planifiée dans les pays du Golfe, des marchés dynamiques dont nous étions absents», souligne Johnny Medawar, directeur en marketing de Wild Discovery.
Les flux constants de visiteurs et l’adoption d’un plan d’action fondé sur des pôles touristiques comme les mega-malls et les parcs d’attractions ont boosté le marché touristique en hausse de 16%, en 2012. La crise de 2009 n’a toutefois pas minimisé la folie des grandeurs immobilières de Dubaï avec un nouvel hôtel qui va s’ouvrir sous la mer!
Le Liban à la traîne
Une situation très différente se profile dans la capitale libanaise. «Le gouvernement libanais n’a pas prévu de plan d’action pour le secteur touristique en difficulté, également éprouvé par la crise syrienne et l’instabilité politique et sécuritaire», met en exergue Ghazi Wazni. Cette passivité se traduit par une chute de 18% du nombre de touristes, estimé en 2012 à 1 320 000 visiteurs et une occupation hôtelière de 57%. Cela malgré une baisse de 50% des tarifs d’hôtels par rapport aux années précédentes. «L’instabilité politique n’aide pas notre métier. Le voyage n’est pas aujourd’hui un produit de première nécessité et donc, dès qu’un incident survient, cela a des répercussions directes sur la décision de voyager des clients», ajoute Johnny Medawar. L’appel des cinq monarchies arabes (l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Qatar et le Koweït) à leurs ressortissants de quitter le Liban, en raison de possibles retombées du conflit syrien, n’a pas arrangé les choses.
L’immobilier se redresse
Sur le plan immobilier, ce secteur qui reste le point noir de Dubaï semble sortir de sa torpeur. Le géant immobilier Emaar a ainsi annoncé la construction prochaine d’un musée d’art moderne et d’un opéra dans le quartier de Burj Khalifa. Son concurrent Nakheel va démarrer la construction d’une centaine de villas sur l’île de Palm Jumeirah. Les loyers, et l’immobilier en général, remontent la pente après une chute de 60%. Le prix des villas a également augmenté de 20% en septembre 2012. Les ressortissants arabes auraient acquis des propriétés pour une valeur de 4,88 milliards de dirhams (1,3 milliard de dollars) à Dubaï en 2012, parmi lesquels les Libanais occuperaient la première place. Les ressortissants libanais sont donc les principaux investisseurs arabes à Dubaï avec 270 millions de dollars, suivis des Jordaniens avec 259 millions de dollars.
Le Liban nage à contre-courant de cette tendance. «Le nombre de transactions immobilières a chuté de 12%, un phénomène qui s’est manifesté par l’essoufflement des demandes de permis qui déclinent de 11%», explique Wazni. Les prix des appartements d’une surface de plus de 180 m2 sont tombés de 15%.
C’est au niveau des secteurs financier et bancaire que le bilan est beaucoup plus mitigé et en faveur du Liban pour ce qui est du dernier secteur.
A Dubaï, la Bourse a gagné plus de 22% depuis le début de l’année. Les rendements du sukuk du gouvernement de Dubaï arrivant à maturité en novembre 2014 sont tombés à 3,7%, leur plus bas niveau depuis le 28 octobre 2009. L’émirat, endetté de 100 milliards de dollars, a été sauvé de la faillite en 2009 par un prêt d’Abou Dhabi. Dubaï a donc profité de la manne pétrolière de ses voisins pour se redresser lentement. Mais son secteur bancaire reste vulnérable en raison notamment des retombées de la crise de 2009. «On avait alors assisté au retrait d’un grand nombre de banques étrangères. Les sanctions économiques imposées à l’Iran pour lequel Dubaï était un point de passage important sont un autre désavantage», estime Wazni. Le bilan des banques s’est également détérioré entre 2009 et 2012 avec un taux de créances douteuses d’environ 8% des prêts, alors que de grandes entreprises sont en situation d’insolvabilité, ce qui affecte les taux de profitabilité.
Sur ce plan-là, le Liban reste un primus inter pares, son secteur bancaire ayant démontré une grande résilience face aux événements régionaux et mondiaux, ajoute l’économiste. Le bilan consolidé des banques commerciales, établies au Liban, s’est élevé à 152 milliards de dollars fin décembre 2012, en hausse de 8% depuis fin 2011. Les crédits octroyés au secteur privé ont progressé de 10,6% sur un an à 37,9 milliards de dollars.
Le Liban demeure toutefois le grand perdant du Printemps arabe alors que Dubaï a su en profiter. Les Saoudiens boudent ainsi les rives de la mer Rouge, en Egypte, ou les week-ends festifs de Beyrouth ou de Bahreïn. C’est aux Emirats qu’ils claquent des fortunes pour leurs loisirs et plaisirs. La principauté est parvenue également à attirer les riches hommes d’affaires fuyant la Syrie, l’Egypte ou le Yémen. Mis à part le facteur de stabilité, Dubaï jouit d’une vision gouvernementale claire pour les années à venir, mettant en avant la diversification économique comme objectif stratégique. Au Liban, les principaux secteurs de l’économie libanaise comme le tourisme, l’immobilier, la vente au détail, ainsi que l’investissement ralentissent avec en toile de fond une escalade de la violence. Le Pays du Cèdre est également handicapé par la corruption et la lenteur administrative, une réglementation trop lourde et une infrastructure défaillante. Le Liban, une destination à éviter pour les compagnies désirant brasser des affaires.
Mona Alami
Dubaï nouveau centre multimédia
Selon Nisreen Sadek, consultante et directrice générale de la société libyenne Mediapro, l’émirat de Dubaï est devenu un «hub» pour les médias au Moyen-Orient et dans les pays du Golfe. «En créant Media City, Dubaï a créé un environnement favorable et stable pour toutes les compagnies de médias, comme cela a été le cas pour le groupe MBC. Conçu dans une zone franche, ce nouveau centre est doté d’une culture tolérante, d’une zone d’affaires sûre incitant ainsi les investisseurs et les professionnels à s’y installer et les compagnies spécialisées à s’y étendre. C’est le cas du Dubaï Studio City IMPZ et des grandes chaînes comme la BBC, CNN en arabe, CNBC et Alaan TV. De nombreuses stars de cinéma ont aussi choisi d’y tourner leurs films à l’instar de Tom Cruise. Il existe d’autres centres dans le monde arabe comme la Jordanie et l’Egypte qui sont, il est vrai moins chers, mais n’offrent pas les mêmes garanties de sécurité. Pour ce qui est de la production cinématographique, Dubaï est désavantagé par des coûts élevés par rapport à d’autres pays comme le Liban, l’Egypte et le Maroc», assure la consultante.
L’hôtellerie en difficulté
Pierre Achkar, président du syndicat des hôteliers libanais, a évoqué dans la presse, en référence à l’année 2012, le «pire été» touristique depuis 1945. Ainsi, deux hôtels quatre étoiles, l’Acropolis et le Century Park Hotel dans la région de Kaslik, au nord de Beyrouth, ont fermé leurs portes au Liban après avoir subi de lourdes pertes financières en 2012. Par ailleurs, le groupe al-Habtoor envisagerait de vendre ses deux hôtels cinq étoiles au Liban, ainsi que le centre commercial Le Mall de Sin el-Fil. Selon le P.-D.G. du groupe, plusieurs investisseurs régionaux seraient intéressés par les deux hôtels. Le Hilton Beirut Habtoor Grand compte 195 chambres, tandis que le Hilton Beirut Metropolitan Palace en compte 183 pour des investissements estimés à 150 millions de dollars et 100 millions de dollars respectivement. En octobre 2011, Hilton avait signé un accord avec le groupe al-Habtoor pour la gestion des deux hôtels de Beyrouth.
Quelques chiffres
Dubaï
Population: 7,1 millions en 2011.
Non-nationaux: 87%.
PIB (2011): 357 Mds $ (Abou Dhabi: environ 60% du PIB fédéral; Dubaï: environ 23%).
-PIB par habitant – PPA (2011): 56320 dollars.
-Taux de croissance en volume: (2011) 3,3%, (2010):+1,4%, (2009) -1,6%.
-Taux de chômage (2009): 12,7 % chez les Emiratis et 2,6 % chez les expatriés.
-Taux d’inflation: 0,9 %, (2010), 0,9 %, (2009) +1,6% (2008) 12%.
Liban
-Population: 4,2 millions (auxquels il faut ajouter un million de réfugiés syriens et palestiniens).
-PIB: 41 milliards dollars.
-PIB par habitant:15900 dollars.
-Le taux de chômage s’est établi à 8,8% en 2010 au Liban avec un pourcentage de 10,2% de femmes et de 8,3% d’hommes, selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT). Par ailleurs, le taux de chômage chez les jeunes Libanais a été de 23,2% en 2010 avec un taux de 23,4% pour les hommes et de 22,7% pour les femmes.
-La croissance, elle, devrait varier en 2013 entre 1,5 % et 2,5%.