Magazine Le Mensuel

Nº 2887 du vendredi 8 mars 2013

Affaire Déclassée

Place de l’étoile, 1944. L’inattendue émeute sanglante

Un an après l’indépendance du Liban, l’ombre du mandat français continuait à planer sur le pays. Les autorités locales s’appliquaient à faire régner l’ordre. Mais une attaque inattendue contre le Parlement provoque un lourd bilan: 5 tués et 21 blessés. Retour sur les faits.

Le 27 avril 1944, Place de l’étoile, rien ne laisse prévoir ce qui allait arriver. Le député du Liban-Nord, Youssef Karam, accompagné d’un cortège de partisans, arrive à la Chambre où une séance parlementaire était prévue deux heures plus tard.
En partant de Zghorta, le fief du député, son cortège ne montrait rien de spécial. Mais tout le long du parcours, de nombreuses voitures l’ont rejoint, si bien qu’à son arrivée devant le Parlement, une manifestation en bonne et due forme a lieu Place de l’étoile. Les partisans de Karam scandaient des slogans contre le régime.
L’affaire ne s’arrête pas là. Les manifestants tentent de remplacer le drapeau libanais de l’indépendance par le drapeau français de l’époque du mandat. La situation dégénère. Des parlementaires refusent ce qui vient de se passer. Le député Naïm Moghabghab lance une grenade qui provoque une émeute. Moghabghab et 17 gendarmes sont blessés alors que cinq civils sont tués.
La Chambre se réunit malgré tout et le Premier ministre de l’époque, Riad Solh, promet d’appliquer aux responsables les sanctions qu’ils méritent. Kazem el-Khalil accuse les Français d’être les instigateurs des troubles. Karam dénonce l’émeute et parle de «pêcheurs en eau trouble». Solh profite de cet incident et demande un vote de confiance. La Chambre le lui accorde à l’unanimité.

Couvre-feu nocturne
Pour faire face à la situation, le gouvernement décrète un couvre-feu nocturne et des arrestations sont faites. Les forces de sécurité ont obtenu pleins pouvoirs pour remettre l’ordre et faire usage de leurs armes si nécessaire. Les différents partis proclament leur soutien au gouvernement et aux mesures de sécurité prises.
Le 29 avril, les Français réagissent contre les propos qui ont été prononcés contre eux au cours de la séance parlementaire. Le gouvernement libanais ne fait aucun état de ces protestations. Les Français ne renoncent pas et condamnent Moghabghab par contumace à une peine de prison.
Le 2 mai, la délégation française, présidée par le général Beynet, publie un communiqué dans lequel les autorités françaises protestent contre l’ampleur de l’affaire et dénoncent le fait qu’elles en aient été tenues responsables, alors que l’enquête n’a pas suivi son cours normal.
La délégation française proteste aussi contre les articles de presse qui ont rapporté l’affaire et annonce l’ouverture d’une enquête diligentée par les autorités françaises en collaboration avec les autorités britanniques. Le communiqué parle «d’accusations sans nul fondement portées contre la France et certains journaux de Beyrouth ont engagé une outrageante campagne de calomnies».

La thèse du complot
Le 17 juin, l’acte d’accusation, établi par le procureur général Abdel- Aziz Chéhab et transmis à la Cour de justice, accuse de complot les factions qui travaillent pour la déstabilisation de la situation. Celles-ci auraient profité de l’arrivée du député Karam pour semer le désordre.
L’acte d’accusation porte sur Georges Yazbeck de Hadeth, Abdallah et Youssef Farhat de Hammana, Najib Bahout de Baabda et Philippe Moukheiber de Beit Mery lesquels, venant chacun de sa région, se seraient rassemblés pour manifester devant le Parlement. Place de l’étoile, Saadallah Yacoub, un fugitif, les a rejoints et a accroché le drapeau français sur l’édifice du Parlement. Des coups de feu s’en suivirent provoquant l’émeute qui a fait un certain nombre de tués et de blessés, dont plusieurs agents de l’ordre.
Soulignant la gravité du complot, l’acte d’accusation parle de coups de feu tirés en direction du chef du gouvernement, qui se trouvait devant l’hémicycle, mais sans l’atteindre. Une affaire qui a porté préjudice aux relations entre le Liban et la France, mais qui n’a pas eu d’autres répercussions.

Arlette Kassas

Les informations utilisées dans cet article sont tirées du Mémorial du Liban: mandat de Béchara el-Khoury de Joseph Chami.

Communiqué du gouvernement
Au lendemain des émeutes, le gouvernement publie un communiqué dans lequel il explique aux Libanais la nature des troubles qui se sont déroulés devant le Parlement. Le communiqué assure que les autorités prendront toutes les mesures nécessaires pour maintenir l’ordre et empêcher ses perturbateurs d’agir à leur guise.

 

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