Usé jusqu’à la corde par le conflit permanent qu’il aura opposé durant tout son mandat aux forces du 8 mars, fatigué par les pressions et les «conseils» des Occidentaux, Najib Mikati a fini par faire tomber le gouvernement. Une décision qu’il veut salvatrice mais qui porte le sceau de Riyad et de Washington qui ont sanctionné l’incapacité du gouvernement à organiser les élections et l’emprise du Hezbollah sur la scène libanaise dont le régime syrien tire avantage.
La troisième fois aura été la dernière. En novembre 2011, Najib Mikati menace, une première fois, de démissionner si la majorité venait à s’opposer au financement du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). A l’époque, le Premier ministre avait débloqué l’argent en contournant le gouvernement, mais avec l’accord tacite du Hezbollah et de ses alliés. Le marchandage était déjà la norme. Mais pour la coalition du 8 mars à ce moment-là, le maintien du gouvernement est une priorité. Onze mois plus tard, Mikati brandit à nouveau la menace. Le 19 octobre dernier, le chef des services de renseignements des FSI, Wissam el-Hassan est assassiné en plein cœur de Beyrouth. La rue sunnite est en ébullition et des casseurs tentent de forcer les barrages autour du Grand sérail. Cette fois-ci, ce sont les ambassadeurs des grands pays qui demandent au Premier ministre de rester en place afin d’éviter le vide institutionnel. Mais en ce 22 mars, les deux piliers sur lesquels repose le mandat de Najib Mikati tombent.
Chronique d’une explosion annoncée
Depuis plusieurs semaines, les relations entre la coalition du 8 mars et le couple exécutif se sont dangereusement envenimées. Le capital confiance entre les deux camps s’est largement réduit. La méthode des contreparties a longtemps contribué à sauvegarder un minimum de concertations. Le trio composé de Gebran Bassil et des deux Khalil se réunissait régulièrement avec le Premier ministre. Mais pour les deux camps, le grand écart devenait intenable. Najib Mikati devait donner des gages à l’électorat sunnite de Tripoli qui désigne le Hezbollah comme l’ennemi à abattre et le CPL supportait de plus en plus mal l’opposition systématique de Mikati et de Michel Sleiman.
Depuis plusieurs semaines, Nabih Berry était devenu le seul à tisser des canaux de communication entre eux. Oui, les jours de ce gouvernement, qui a pris ses fonctions le 13 mai 2011, étaient comptés.
Le conseil-marathon du 21 mars, qui s’est achevé par l’adoption de la grille des salaires, apparaît avec le recul comme un cadeau d’adieu. La séance du lendemain s’annonçait explosive. Avec l’accord des ministres du PSP, le président de la République et le Premier ministre ont prévenu. Si le gouvernement venait à refuser la formation du comité de supervision des élections, Michel Sleiman ne présiderait plus aucun Conseil des ministres. Et si le gouvernement venait à refuser la prorogation du mandat du directeur général des Forces de Sécurité intérieure (FSI), le général Achraf Rifi, Najib Mikati ne tiendrait plus aucun Conseil des ministres, voire pire.
Pendant 24 heures, les contacts se multiplient. Le matin du vendredi 22 mars, le Premier ministre reçoit, tour à tour, l’ambassadeur d’Arabie saoudite Ali Assiri et l’ambassadeur de France Patrice Paoli. Il sait déjà que le 8 mars ne votera ni en faveur de la formation du comité, ni pour la prorogation du mandat de Rifi. Lorsqu’il rencontre Nabih Berry, quelques heures avant la séance fatidique, Mikati fait part de son intention de démissionner si le mandat de Rifi n’était pas prorogé. En entrant à Baabda, tous les ministres sont prêts à toutes les éventualités. La confrontation annoncée va bien avoir lieu.
Le dernier Conseil
Le premier sujet à avoir été mis sur la table est celui de la prorogation d’Achraf Rifi (voir encadré). Le ministre du Travail, Salim Jreissati, explique qu’utiliser la voie du décret gouvernemental est anticonstitutionnel. Le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, entre alors dans la danse en déclarant son opposition au point de vue de Jreissati. Il poursuit en expliquant qu’il est urgent que le mandat de Rifi soit prorogé pour des raisons sécuritaires et non politiques. Mohammad Fneich, pour le Hezbollah, coupe court à la discussion en affirmant que les ministres de la majorité ne voteraient pas cette disposition. Najib Mikati quitte alors la séance quelques minutes pour une pièce adjacente où sont déjà présents les ministres Waël Abou Faour pour le PSP, Ali Hassan Khalil pour Amal et Hussein Hajj Hassan pour le Hezbollah. Lorsque Khalil lui demande ce qu’il compte faire si aucune des deux dispositions n’était votée, Mikati lui répond que c’est la suite de la réunion qui en décidera.
L’affaire du comité de supervision des élections est donc arrivée après. Son examen a débuté par une rapide présentation de l’avis consultatif du Haut-comité chargé de la supervision des élections par le ministre de la Justice, Chakib Cortbaoui. Mais les ministres aounistes et leurs alliés sont catégoriques, ils refusent que ledit comité soit formé. Le président, le Premier ministre et les ministres du PSP rétorquent alors que sa mise en place est une obligation. Le président Sleiman demande un vote sur la question. Les ministres de la majorité refusent d’y participer. Le chef de l’Etat rappelle ses prérogatives mais ses opposants persistent. Il demande alors au ministre Charbel de soumettre de nouveaux noms au cours de la prochaine séance, en affirmant qu’il refuserait de présider une séance du gouvernement qui ne mettrait pas cette question à l’ordre du jour. Najib Mikati va alors dans son sens, expliquant qu’il ne tiendrait pas d’autre séance sans cette condition. Le Premier ministre remet alors sur la table le dossier Rifi. Nouveau refus des ministres qui s’opposent à sa prorogation. Il lève alors la séance en concluant par un laconique «Je vais voir ce que je vais faire». Il est le premier à quitter les lieux.
Les injonctions extérieures
Par le biais d’un interlocuteur, il envoie un dernier message au secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah. «Dites-lui que je présenterai ma démission à 19h30 si le mandat de Rifi n’était pas prorogé». La réponse ne s’est pas fait attendre. «Il vous dit d’agir comme bon vous semble». La suite, on la connaît. Dans son discours de démission, Najib Mikati explique avoir pris sa décision pour ouvrir de nouvelles opportunités.
La décision du Premier ministre surprend sans surprendre. Du côté de la majorité, on relie cette initiative précipitée au discours plus musclé des chancelleries étrangères.
Le 5 mars dernier, le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe, Abdel Latif Zayani, remet une lettre au président Sleiman dans laquelle l’organisme, qui regroupe l’ensemble des pays du Golfe, s’inquiète de l’incapacité des autorités libanaises à appliquer leur politique de distanciation, en écho à la présence du Hezbollah sur le front syrien. Un discours repris par Maura Connelly, l’ambassadeur des Etats-Unis qui, sur la base des accusations de terrorisme et d’espionnage en Bulgarie et à Chypre, explique depuis plusieurs jours à ses interlocuteurs qu’il était temps que le Hezbollah quitte le gouvernement. Il faut y ajouter les déclarations pressantes de l’ambassadeur sur la nécessité d’organiser des élections à temps.
Si la démission de Mikati signe l’échec de l’équipe gouvernementale, elle permet aussi et surtout de rebattre les cartes et de reconfigurer le bouclier politique à la lumière de la situation en Syrie, pour laquelle l’Occident a décidé à la vitesse supérieure.
Julien Abi Ramia
Le cas administratif de Rifi
Comme le commandant en chef de l’armée, Jean Kahwaji, le directeur général des FSI atteindra le 1er avril l’âge fatidique de la retraite. Pour le remplacer, deux noms ont circulé ces derniers jours. Le général Ali Hajj, le plus haut gradé du corps sécuritaire et surtout l’un des quatre généraux à avoir été emprisonné dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri. Il est à un an de la retraite. Le deuxième est celui de vice-directeur des FSI, le commandant Roger Salem, grec-catholique, qui atteindra l’âge de la retraite dans quelques semaines.