Réunis les 26 et 27 mars pour leur 5e sommet en Afrique du Sud à Durban, les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont signé plusieurs documents dans l’optique de renforcer leur coopération. Malgré certaines divisions, ils souhaitent travailler à la mise en place d’un système international monétaire et financier plus équilibré. A Durban, ils ont misé sur l’Afrique.
Le 5e sommet des Brics a permis de mettre en relief le volontarisme économique et politique des grands pays émergents. Le reste du monde prend conscience que le Sud s’autonomise.
Dans le communiqué final, les Brics ont fait preuve d’une belle unanimité politique au sujet de l’Iran et de la Syrie, se disant «inquiets des risques d’action militaire et de sanctions unilatérales» et «opposés à toute militarisation supplémentaire du conflit», précisant qu’«il n’y a pas d’alternative à une solution négociée». En matière de politique internationale, le quintette des pays émergents partage le respect de la souveraineté et de la non-ingérence. S’ils affichent une totale unité sur ces deux points, le bloc des Brics n’est pourtant pas homogène.
D’un côté, la Chine et la Russie sont des Etats «dirigistes», qui privilégient les avancées économiques aux avancées démocratiques. La Russie n’est pas un pays émergent, elle n’aurait donc théoriquement strictement rien à faire dans les Brics, mais la Chine représente cette alternative au mode de gouvernance occidentale – américain – qu’elle combat. Et la Chine a besoin de la Russie pour faire du poids face à l’Afrique du Sud, au Brésil et à l’Inde. Ces trois pays sont traditionnellement considérés comme des démocraties, ce qui n’est pas forcément le cas de la Russie ni a fortiori de la Chine. Sur des questions telles que le libre-échange et les droits civiques, ils rejoignent pleinement Washington. Dans ce contexte, s’ils ont décidé de construire une alternative à la construction actuelle du monde en suivant la Chine et la Russie, cela en dit long sur l’échec du monde occidental à imposer ses valeurs. Son système de valeurs manque incontestablement d’ouverture et les schémas qu’il suggère ne sont pas toujours adaptés à la réalité du terrain.
L’Afrique convoitée
Témoignage de la place centrale du continent noir dans la géopolitique des Brics, le sommet de Durban s’intitulait Les Brics et l’Afrique: un partenariat pour le développement, l’intégration et l’industrialisation. Il ne faut cependant pas y voir ici un néocolonialisme rapace, qui n’aurait d’autres objectifs que de conquérir un marché et des ressources naturelles. Alors que la consommation européenne et américaine s’essouffle, le marché africain pourrait constituer une variable d’ajustement intéressante, mais l’Afrique ne représentera à l’horizon 2050 que 7% de la classe moyenne mondiale, tandis que l’Asie en constituera les deux tiers. Il ne faut donc pas surestimer cette donnée.
En ce qui concerne les ressources naturelles, s’il est évident que la Chine et l’Inde en ont un besoin vital pour nourrir leur croissance, le Brésil et la Russie peuvent très bien s’en passer. Pour les Brics, l’Afrique va en réalité jouer le rôle crucial de témoin. En 2011, si c’est l’Afrique du Sud qui a rejoint les Brics et pas la Corée du Sud, le Mexique ou l’Indonésie, qui ont des économies plus importantes, ce n’est certainement pas un hasard. Et l’Afrique a compris qu’en mettant en concurrence l’Occident et les Brics sur son propre territoire, elle aurait les moyens d’y faire valoir son intérêt. Le continent noir, conscient de son nouveau rôle-clé dans la mise en place de cet ensemble, pourrait bien être le grand gagnant.
Des différences de vues
Au-delà de l’unité de façade, le sommet de Durban n’a pas tout à fait eu les conclusions espérées. En clôture du sommet, c’est l’entame des négociations officielles et non l’ouverture de la banque que le président sud-africain Jacob Zuma a annoncé. La création attendue d’une banque de développement a donc été reportée au prochain sommet. Et a mis en exergue les différences de vues qui divisent encore les Brics. La banque de développement devait leur permettre de se passer des services de la Banque mondiale et des réserves de change du Fonds monétaire international (FMI). Leur incapacité à s’entendre sur son siège et sur son financement illustre les difficultés qui leur restent à résoudre pour fonder des institutions communes.
La plus grosse interrogation concerne, selon le ministre russe des Finances, Anton Silaunov, le montant que chacun est prêt à apporter au capital et la répartition des voix. A l’origine, le capital de départ devait être de cinquante milliards de dollars, soit de dix milliards chacun, mais Russes et Africains ont freiné des quatre fers. Pour les Sud-Africains, cette somme correspond à 2, 5% de leur PIB, ils ne peuvent envisager de la mettre à disposition sur un claquement de doigts. D’autres questions subsistent quant au fonctionnement de cette banque. Qui demandera des crédits? La Chine et le Brésil en particulier regorgent de liquidités, alors pas eux. Qui contrôlera l’usage des fonds en Russie, où les créances n’ont que peu de valeurs?
Selon l’éditorialiste du quotidien économique sud-africain Business Day, «le plus gros problème de ce concept, c’est qu’il semble émaner au moins autant du désir de rivaliser avec la Banque mondiale que du désir d’une institution favorisant les infrastructures supportant le commerce. Et cette décision idéologique est enracinée dans une approche étatiste du développement». Avec toutes les zones d’ombre qui restent à éclaircir, la Banque mondiale n’est pas prête à être mise au repos.
Le fonds de réserve monétaire a, lui, été réellement mis en place: dans des proportions moindres que prévu. En effet, seuls 100 milliards de dollars lui seront alloués contrairement aux 200 milliards planifiés.
Plus largement, les Brics sont parcourus de grandes failles internes. La Chine n’est pas populaire en Afrique et l’Afrique du Sud le sait, les Russes ont peur de l’expansionnisme chinois, New Delhi est en rivalité stratégique avec Pékin, et les Brésiliens critiquent férocement la politique monétaire des Chinois. De plus, la Chine profite grandement du système économique actuel, elle aurait tort de chercher à le bouleverser. Tous les conflits concernent la Chine? Oui et ces craintes du renforcement de la domination chinoise sont légitimées par les révélations du Business Day selon qui: «la banque d’import-export chinoise Exim Bank accorde déjà davantage de prêts que la Banque mondiale, pour financer des projets». Mais sans elle, les Brics ne seraient plus vraiment les Brics et en tout cas plus un poids économique.
Les Brics sont une force économique mais ils sont trop divisés pour représenter un bloc stratégique.
La fin de l’eurocentrisme?
Même si les clivages sont multiples et pour certains insolubles, les initiatives des Brics ont le mérite d’entamer un rééquilibrage de la politique internationale vers le Sud.
Tous les efforts du FMI sont concentrés sur la zone euro, sans qu’on ne sache réellement si celle-ci pourra être sauvée. Mais que fera le FMI si l’Inde sombre dans une crise? Si vous êtes Dilma Roussef ou Manmohan Singh, vous ne pouvez pas vous battre pour que les choses restent en l’état. Le système de Bretton Woods et ses dérivés sont-ils réellement la meilleure façon de conduire un monde dont l’Europe n’est plus le nombril? Dans cette optique, les différents dirigeants ont bien insisté sur le fait qu’il ne cherchait pas la rivalité mais le rééquilibrage. C’est l’unilatéralisme atlantique qui est la cible des Brics, pas les Etats-Unis, ni l’Europe. A ce titre, Vladimir Poutine, le président russe a mis le doigt sur la nécessité de «renforcer les contacts des Brics avec les organisations internationales et régionales, avec l’Onu et ses organismes spécialisés».
En septembre, un point sur les avancées du sommet sera effectué à Saint-Pétersbourg en marge du G20. En 2014, le sommet des Brics se tiendra au Brésil.
Antoine Wénisch
Les Brics: fiche technique
Le terme Brics a été utilisé pour la première fois dans un rapport de l’économiste Jim O’neill, analyste chez Goldman Sachs. Sa note visait à montrer que l’économie des Brics allait rapidement se développer. Ainsi en 2040, son PIB devrait atteindre celui du G6 (Allemagne, Etats-Unis, Japon, Italie, Grande Bretagne, France). Les Brics constituent 40% de la population mondiale, près de 30% du PIB de la planète et deux tiers de la croissance internationale. Le premier sommet des Brics a eu lieu à Ekaterinbourg en Russie en 2009. L’Afrique du Sud a rejoint le groupe en 2011.
D’après la Banque mondiale et Goldman Sachs, la Chine pourrait dépasser les Etats-Unis entre 2020 et 2030, l’Inde pourrait le faire entre 2040 et 2050.
Un accord Chine/Brésil
En marge du sommet de Durban, Chinois et Brésiliens ont signé un accord portant sur trois ans et trente milliards de dollars d’échanges bilatéraux. Le but de cet accord est d’obtenir du crédit auprès d’un partenaire étranger important pour ne pas interrompre le commerce en cas de difficultés sur la scène internationale. En effet, si le marché financier venait à subir de nouveaux chocs, les crédits pourraient se raréfier dans des proportions importantes. Cet accord montre le volontarisme et la détermination des pays des Brics à faire évoluer l’architecture financière et commerciale mondiale. Malgré leurs divergences. Dilma Roussef et Xi Jinping, les présidents respectifs, ont fait part de leur satisfaction et ont simultanément appelé à un renforcement de leur coopération. Un forum d’affaires sino-brésiliennes pour promouvoir la coopération entre les entreprises des deux pays a été mis en place.