Magazine Le Mensuel

Nº 2893 du vendredi 19 avril 2013

Affaire Déclassée

Vendetta zghortiote. Tuerie dans l’église de Miziara

Ce 16 juin 1957, rien ne laissait prévoir la tuerie de Miziara qui endeuillera toute la région. Pourtant, les vendettas entre les familles zghortiotes étaient légendaires.

Une messe était célébrée à la mémoire de Salim Abed, en présence de six évêques et de plusieurs personnalités politiques parmi lesquelles Hamid et Sleiman Frangié, ainsi que le père Semaan Doueihy. Les fidèles avaient commencé à pénétrer dans l’église quand on entendit des coups de feu. Ils se bousculèrent pour entrer mais ce leur fut fatal, un homme armé d’une mitraillette est à l’intérieur. Il tire dans tous les sens pendant près de dix minutes avant d’être abattu. Le bilan est lourd: vingt-trois personnes trouvent la mort et cinquante autres sont blessées. Dix des victimes appartiennent au clan Doueihy, cinq au clan Frangié et huit autres fidèles.

L’armée encercle l’église et investit la région. Le carnage a créé une très vive tension. Les clans Doueihy et Frangié sortent les armes. L’armée s’interpose et arrête plus de 80 suspects.

Les versions divergent sur les raisons qui ont provoqué ce massacre. Certains témoins racontent que deux hommes, appartenant l’un au clan Doueihy et l’autre au clan Frangié s’étaient disputés sur le perron de l’église déclenchant les tirs entendus dans l’église avant l’entrée de l’homme, auteur du carnage.

Cependant, Hamid Frangié tient quelques heures plus tard une conférence de presse au cours de laquelle il déclare que le drame a commencé lorsqu’un jeune du clan Doueihy a abattu un sergent de la gendarmerie devant l’église.

La tension régnait à Zghorta depuis que le père Semaan Doueihy a annoncé sa candidature aux élections législatives déclarant bénéficier de l’appui du gouvernement. Il n’en fallait pas plus pour que la situation, déjà explosive, se traduise par le massacre de Miziara

Quatre jours plus tard, le père Doueihy réfute les accusations de Frangié et accuse ses partisans d’avoir tendu un piège aux Doueihy. Il souligne que les victimes du clan à l’intérieur de l’église ont toutes été touchées au dos et n’ont pas eu le temps d’utiliser leurs armes. Pour lui, ce qui s’est passé à Miziara est une tentative d’assassinat dont il était l’objet après la déclaration de sa candidature aux législatives qui ne plaisait pas à ses adversaires politiques.

Le 13 juillet, des mandats d’arrêt sont émis à l’encontre de 34 inculpés. 150 gendarmes sont chargés d’exécuter ces mandats. Parmi les inculpés, Sleiman Frangié, René Moawad et le père Semaan Doueihy.

Le 2 août, l’affaire se corse. Les habitants d’Ehden s’opposent aux gendarmes. Bilan: quatre tués dont un lieutenant. Ce dernier, Antoine Obeid, est tué alors qu’il tentait d’arrêter Victor Karam, recherché dans la fusillade de Miziara. Les forces de l’ordre ont pu arrêter Karam, le père Doueihy et une trentaine de personnes.

Le 19 septembre, l’acte d’accusation fait assumer la responsabilité aux deux clans Frangié et Moawad, sur fond d’opposition à la candidature du père Doueihy. Selon l’acte, la fusillade est déclenchée par Maurice Kehdo, partisan des Frangié. Les hommes de ces derniers et ceux de Moawad auraient tiré sur le père Doueihy à l’intérieur de l’église le blessant légèrement. Sayed Frangié et Joud Moawad étaient soupçonnés d’avoir tiré sur les fidèles.

Le 13 novembre, la Cour de justice donne un délai de dix jours aux personnes recherchées dans le massacre de Miziara pour se livrer. Vingt-sept personnes recherchées, dont Sleiman Frangié et René Moawad, se réfugient en Syrie.

Le 20 février 1958, les clans Frangié-Moawad prennent le contrôle de Zghorta et l’armée encercle la localité. Après de longues négociations, un compromis est trouvé. Frangié et Moawad livrent sept suspects et obtiennent que l’enquête sur Miziara soit révisée. 

Le 29 novembre 1958, la Cour de justice récuse l’acte d’accusation. Vingt-quatre accusations sont portées contre des personnes et les peines varient entre travaux forcés à perpétuité et quelques mois de prison. Sleiman Frangié est condamné à six mois de prison pour port prohibé d’armes, et René Moawad est acquitté. Arlette Kassas

 

Les informations citées dans cet article sont tirées du Mémorial du Liban: le mandat Camille Chamoun, et Mémorial du Liban: le mandat Fouad Chéhab, de Joseph Chami.

Condamnation de Victor Karam
La Cour de justice condamne à mort Victor Karam, assassin du lieutenant Antoine Obeid à Ehden. La peine est commuée en travaux forcés. Dépité par le verdict, le commandant Massoud Letayef, chargé de l’ordre à Zghorta, refuse d’exécuter les mandats d’arrêt émis par la justice.

 

 

 

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