Magazine Le Mensuel

Nº 2899 du vendredi 31 mai 2013

ACTUALITIÉS

A la veille de Genève 2. Les acteurs abattent leurs cartes

Dans la ville, ô combien stratégique de Qoussair, la victoire de l’armée syrienne et de ses alliés semble se dessiner. De manière générale sur le terrain, le régime prend l’ascendant. Dans le même temps à Washington, à Paris, à Bruxelles, à Londres et à Istanbul, la conférence Genève II se prépare dans un brouillard épais. De leur côté, les médias secouent avec une énergie croissante le nouveau marronnier des armes chimiques. 
 

Qoussair. La ville qui était devenue un des bastions des milices anti-régime, est à présent le théâtre d’un déchaînement de violence. Il faut dire que l’enjeu est considérable. Situé sur l’axe Damas-Homs et Damas-Tartous, à proximité de la frontière libanaise, Qoussair est un point véritablement stratégique. Tellement stratégique que le Hezbollah a jugé indispensable d’y envoyer près de 2000 hommes. Tellement stratégique que Georges Sabra, leader trotskiste par intérim de l’Armée syrienne libre (ASL) depuis la démission de Moaz el-Khatib, a appelé d’urgence toutes les unités se réclamant de l’opposition à envoyer des hommes «sauver» Qoussair.
Inter-L’armée progresseAu prix de pertes considérables, – le Hezbollah dénombrait dans ses rangs près d’une centaine de morts en une semaine – les troupes syriennes et alliés de soutien libanais ont gagné du terrain. Après avoir perdu les villages de banlieue, les rebelles se sont trouvés encerclés dans la ville, où ils n’occuperaient plus ce mercredi (ndlr: le 29 mai) qu’une petite partie nord. En tenant la route de Homs au nord, l’armée rend impossible tout ravitaillement en armes, nourritures et équipements. A quelques kilomètres, sous le feu nourri de l’aviation, des combats ont encore lieu dans l’aéroport de Dabaa.
A la veille de la grand-messe diplomatique à Genève, Bachar el-Assad marque des points. En reprenant Qoussair, le régime syrien et ses alliés feraient d’une pierre quatre coups. Premièrement, ils maintiendraient ouverts les axes Damas-Homs et Damas-Tartous et sécuriseraient un vaste territoire dans le centre de la Syrie, protégé qui plus est par le Hezbollah sur le flanc ouest. Dans l’optique d’une reconquête de la ville d’Homs, toujours en partie contrôlée par les rebelles, ils prendraient alors un avantage certain. Deuxièmement, ils couperaient le système de ravitaillement des rebelles à partir du Liban. Troisièmement, ils mettraient pour de bon un terme au plan de partition de la Syrie. A l’exception éventuelle d’une zone kurde. Enfin, ils se positionneraient eux-mêmes et leurs soutiens diplomatiques russes dans une situation de force avant les tractations qui s’annoncent.  S’il est encore beaucoup trop tôt pour acter de la définitive victoire du régime, on apprend dans un article du très sérieux Spiegel que les services secrets extérieurs allemands pronostiquent un triomphe du régime pour de bon avant la fin 2013. La seule chose certaine à l’heure actuelle, c’est que la Syrie n’est pas au bout de sa guerre. Surtout que les flux d’armes ne semblent pas près de cesser.Mercredi dernier, la commission des Affaires étrangères du Sénat américain décidait d’approuver la livraison d’armes létales aux rebelles syriens, une façon de faire monter la pression avant Genève.

 

Négociations pré-Genève II
La première conférence de Genève le 30 juin 2012 avait échoué parce que le sort du président syrien n’avait pas été tranché. Qu’est-ce qui permet d’espérer qu’il en soit autrement cette fois-ci?
En réalité pas grand-chose. Le régime et l’opposition refusent toute concession au sujet de la place de Bachar el-Assad. «Le sort du président ne peut être décidé que par les urnes», a répété le ministre de l’Information, Omran el-Zohbi. Toutefois dimanche, Damas a donné son accord de principe pour cette conférence et devrait donc y assister. Reste à savoir qui le représentera.
Au sein de l’opposition, la division règne. Si la radicalisation avait permis aux groupes extrémistes, plus efficaces sur le terrain, de gagner en influence sur les technocrates de la CNS, la diffusion des exactions des jihadistes sur la toile et un renversement médiatique peu favorable aux extrémistes auraient pu favoriser un retour en grâce de la CNS. Il n’en fut rien. Ghassan Hitto, le «Premier ministre par intérim», désigné au mois de mars dernier, est porté disparu; son incapacité absolue à mettre en place un gouvernement transitoire susceptible d’administrer les zones tenues par les rebelles est parfaitement révélatrice.
Rassemblée à Istanbul depuis le mercredi 22 mai, la CNS devait voter lundi dernier un élargissement de son instance dirigeante afin d’accroître sa représentativité. Après une série de pourparlers compliqués, seuls 8 sur 22 prétendants ont effectivement rejoint la direction de la Coalition. Selon un opposant, les rivalités qui minent la CNS sont directement liées aux luttes d’influence qui opposent les Turcs et les Qataris d’un côté et les Saoudiens et les Emiratis de l’autre. Les Frères musulmans parrainés par les premiers ont imposé leurs choix et restent largement majoritaires au sein de la CNS. La figure emblématique du libéral Michel Kilo fait partie des personnalités rejetées par la Coalition; il a claqué la porte.
Au moment de débattre sur son éventuelle participation à ladite conférence, la Coalition nationale syrienne a estimé par l’intermédiaire de son porte-parole Louay el-Safi: «Au début, nous avons accueilli favorablement cette initiative. Nous avons toutefois appris samedi que les représentants du régime se rendraient à Genève pour dialoguer avec nous. Mais nous ne sommes pas dans un dialogue avec le régime et n’accepterons aucun accord ne mentionnant pas le départ de Bachar el-Assad». Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, en déplacement en Jordanie, aurait menacé la CNS de lui couper définitivement les vivres, si elle venait à refuser l’invitation suisse.
En Europe, le paysage diplomatique n’est pas beaucoup plus clair. L’Union européenne devait trouver un accord pour renégocier l’embargo sur la Syrie et ainsi ouvrir la porte à la livraison d’armes aux rebelles. Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, arguait «travailler à un compromis afin de sauver l’Union européenne». Afin de sauver l’Union européenne, pas la Syrie. On connaît donc leurs ambitions.
A l’arrachée, dans la nuit et alors qu’aucun pays ne partage la même vision sauf la Grande-Bretagne et la France, un accord a minima a finalement été trouvé. L’embargo est levé, mais les Etats ne livreront pas d’armes avant la conférence de Genève pour ne pas entraver le processus de négociation. Une autre condition: que les armes ne risquent pas de tomber entre de mauvaises mains. Ce n’est même pas qu’elles risquent, c’est qu’elles ont absolument toutes les chances d’atterrir là où on ne le voudrait pas.
Au milieu de ce théâtre européen, la moralité, c’est que le grand rôle revient toujours aux grands acteurs, les Etats-Unis et la Russie.
Fabius recevait toutefois Kerry et Lavrov, à dîner à Paris, avec comme plat de résistance la planification de la logistique genevoise. Pour l’heure, rien n’a filtré.

Encore les armes chimiques…
Après les révélations de différents médias et de la juriste Carla del Ponte les semaines passées, sur l’utilisation ou non d’armes chimiques par les rebelles et/ou le régime, c’est autour du journal français Le Monde d’avancer ses éléments d’enquête, grâce aux pièces à conviction d’un photographe «neutre» qui a passé deux mois avec l’ASL. Le nouveau concept de la ligne rouge a été théorisé pendant ce conflit syrien. Avant il y avait l’ultimatum, maintenant il y a la ligne rouge. Celle-ci est plus facilement adaptable et on peut s’arranger avec ses engagements plus facilement sans perdre de crédibilité. C’est la raison pour laquelle les chancelleries et gouvernements s’abstiennent de tout commentaire définitif à ce sujet. Ils se contentent «de supplément d’enquête» et «d’analyses complémentaires». Le calendrier de ces «buzz» médiatiques est tout sauf anodin, à la veille d’une grande négociation, chacun abat ses cartes et se cherche le maximum d’issues de secours.
En tout cas, il semble que malgré le désengagement amorcé sur le dossier syrien, les Américains cherchent à maintenir la pression pour arriver face aux discussions de Genève dans la meilleure position possible. Dans ces revirements, l’Amérique perd de sa crédibilité au profit de la Russie qui devrait s’imposer quelle que soit l’issue de la crise comme une alternative au gendarme atlantique du Moyen-Orient et en protecteur des chrétiens de la région.

Antoine Wénisch
 

Une journaliste syrienne tuée
A seulement 26 ans, la jeune journaliste syrienne Yara Abbas est tombée sous les balles d’un tireur embusqué à l’aéroport de Dabaa. Originaire de Homs, celle qui était la correspondante pour la télévision al-Ikhbariya savait selon le ministre de l’information Omran el-Zohbi, «qu’elle mourrait en martyre et qu’elle verserait son sang pour la Syrie». Ce même ministre lui a rendu hommage par ces mots: «Mourir en martyre n’est pas un simple incident, c’est un nouveau sacrifice de la presse syrienne afin que la Syrie reste et redevienne mieux qu’avant». Les membres de son équipe de télévision ont été blessés.
Avant le décès de Yara Abbas, 24 journalistes avaient, selon Reporters sans Frontières, déjà perdu la vie en couvrant le conflit syrien.

McCain en Syrie
Lundi 27 mai, le sénateur républicain de l’Arizona et ancien candidat à l’élection présidentielle américaine, John McCain, s’est rendu depuis la Turquie en territoire syrien. L’information a été confirmée par son porte-parole. Au cours de cette incursion de quelques heures, celui qui est un des plus farouches opposants à la politique d’Obama en Syrie, a rencontré plusieurs gradés de l’ASL, dont le général Salim Idriss, le chef de l’état-major de l’organisation. Formé aux Etats-Unis, à l’instar de Mohammad Morsi et Nouri el-Maliki, l’ancien général de l’armée syrienne, est considéré par les Américains comme un des interlocuteurs les plus fiables. La liste des doléances rebelles? Des armes lourdes, un espace d’exclusion aérienne et des frappes.

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