Faute d’alternative, Edward Snowden s’est finalement décidé à demander l’asile à la Russie. Cette requête constitue un défi pour Vladimir Poutine qui était parvenu jusqu’à présent à s’offrir le beau rôle, améliorant ainsi son image, sans pour autant prendre le risque d’une détérioration des relations bilatérales avec les Etats-Unis.
Vendredi 12 juillet, au cours d’une réunion à huis clos avec des défenseurs des droits de l’homme et des personnalités politiques dans la zone de transit de l’aéroport international de Cheremetièvo, l’analyste de la NSA, Edward Snowden, a présenté officiellement une demande d’asile à la Russie, après avoir affirmé haut et fort qu’il acceptait les conditions imposées par le président russe. Ce dernier, interrogé par des journalistes lors d’une conférence de presse à Helsinki, après avoir avoué «qu’il aurait préféré ne pas avoir à s’occuper de cette affaire», a expliqué que la Russie pourrait héberger le lanceur d’alerte à condition qu’il renonce à partager des informations secrètes susceptibles de nuire aux Etats-Unis, «un pays ami de la Russie».
Comme on pouvait s’en douter, cette nouvelle n’a pas été appréciée par la Maison-Blanche. Au cours d’un entretien téléphonique avec Poutine dans la nuit de vendredi à samedi, le président Barack Obama, après avoir évoqué les questions bilatérales et la lutte contre le terrorisme, a exprimé son inquiétude de voir Moscou offrir une tribune de propagande à l’homme que les Américains considèrent comme un traître.
Sous le coup de trois chefs d’accusation −transfert illégal d’informations relevant de la sécurité nationale, transfert prémédité de renseignements secrets, détournement de patrimoine public −, Edward Snowden risque au mieux trente ans de prison et au pire la mort.
Arrivé le 23 juillet à Moscou en provenance de Hong-Kong, où il s’était réfugié après ses premières révélations aux journaux The Guardian et Washington Post sur la surveillance des communications effectuée par la NSA en Amérique et partout dans le monde, y compris dans les pays alliés des Etats-Unis, il a appris que les autorités américaines avaient annulé son passeport. Coincé depuis lors dans la zone de transit de l’aéroport, il a présenté des demandes d’asile à une vingtaine de pays y compris des pays européens, qui ont refusé. Pour le moment, seuls deux pays se sont dits prêts à l’héberger: le Venezuela et le Nicaragua. Reste que victime d’une véritable chasse à l’homme orchestrée par la Maison-Blanche, il ne peut pas prendre le risque de voyager sans document. C’est dans ce contexte qu’il a fini par accepter les conditions de Vladimir Poutine qu’il avait auparavant rejetées.
Le revirement de Snowden met le président Poutine au pied du mur. D’un côté, le Kremlin n’est pas mécontent de voir ce renversement des rôles, qui fait de la Russie un havre de liberté face à une Amérique qui s’avère dans la pratique pas vraiment respectueuse des droits de l’homme. D’un autre côté, Moscou n’a pas du tout envie de se fâcher sérieusement et durablement avec Washington pour défendre Snowden… En effet, la liste Magnitski (liste de personnalités russes considérées comme non grata jusqu’à présent aux Etats-Unis) pourrait alors s’allonger avec des noms de proches du président qui ont des biens et de l’argent outre-Atlantique.
Vladimir Poutine doit compter avec son opinion publique qui accepterait mal qu’il se couche devant les Américains.
Les Russes ont une attitude ambivalente vis-à-vis des Etats-Unis. D’un côté, ils les envient, rêvent de l’American way of life qu’ils tentent tant bien que mal de copier, mais de l’autre, ils ne les aiment pas. Ce sentiment est entretenu par la presse gouvernementale qui ne manque pas une occasion de leur reprocher leurs liens avec les principaux dirigeants de l’opposition, les accusant de financer des mouvements dont le seul but serait de porter atteinte à la souveraineté du pays. Les critiques du département d’Etat après le vote par la Douma de la loi sur les homosexuels, et surtout la loi sur les ONG qui contraint ces dernières à se déclarer «agents de l’étranger», ont été fort mal perçues par les Russes, qui y ont vu une façon à peine voilée de se mêler de leurs affaires. Cette position est partagée par une partie de l’élite, y compris parmi les proches du président et les représentants des structures de force.
Dans ce contexte, l’affaire Snowden a fait irruption non seulement dans la politique étrangère du pays mais dans sa politique intérieure. Dès l’arrivée de l’analyste à l’aéroport, des voix se sont fait entendre pour demander qu’on lui accorde l’asile politique, estimant que tout bien pesé, «Snowden n’est pas un traître mais un défenseur des droits de l’homme». Cet argument a été repris par des personnalités proches de l’establishment, qui ont rencontré l’analyste à l’aéroport lors de la réunion de vendredi et ont été favorablement impressionnées par sa personnalité. «La Russie se doit d’accueillir sur son sol ce défenseur des droits de l’homme qui a mis sa sécurité en péril pour aider des millions de gens dans le monde entier», estime Sergueï Narychkine, speaker de la Chambre basse. Quant à Anatoli Koutcherina, avocat, membre de la Chambre civile et proche du Kremlin, il a pris également le parti d’Edward Snowden. «Je vais l’aider à s’orienter dans les méandres de la législation russe en matière de migration», a-t-il déclaré à la chaîne Vesti et d’ajouter: «Après l’avoir entendu, je lui fais absolument confiance, il est indigné par les violations des droits de l’homme dont se rendent coupables les Etats-Unis». Mikhaïl Fedotov, président du Conseil consultatif pour les droits de l’homme auprès de Vladimir Poutine, est moins emballé. «J’ai l’impression que Snowden ne sait pas réellement ce qu’il veut, toute cette histoire me rappelle un peu un feuilleton mexicain», a-t-il confié.
L’opposition embarrassée
Certes, on a pu lire sur Internet des commentaires sur l’attitude de Poutine dans l’affaire. «Il n’est pas facile de prendre la défense d’un pourfendeur des abus de l’Etat quand on n’a jamais fait sien le principe de l’inviolabilité de la vie privée», écrit Igor sur sa page Facebook. Reste que les responsables de l’opposition sont restés étonnement silencieux. Seul Sergueï Pakhomenko, chroniqueur à la radio L’Echo de Moscou et membre du conseil de coordination de l’opposition, a émis une hypothèse somme toute logique. «Les derniers développements de la saga Snowden donnent à penser qu’il est entré en jeu avec les services spéciaux russes. En effet, aucune personne dans une autre circonstance n’aurait pu organiser une rencontre comme celle de vendredi à Cheremetièvo, seuls les services spéciaux sont en mesure de le faire», estime-t-il.
Nathalie Ouvaroff, Moscou
Qui est Snowden?
Edward Joseph Snowden naît le 21 juin 1983 dans la ville d’Elizabeth en Caroline du Nord mais passe son enfance dans la ville de Wilmington.
En 1999, il déménage avec sa famille à Ellicot city dans le Maryland, où il étudie l’informatique.
Le 7 mai 2004, Snowden s’engage dans l’armée en tant que recrue des forces spéciales. Cependant, quatre mois plus tard, il se casse les deux jambes lors d’un accident et est contraint d’abandonner sa formation. Il est ensuite embauché par la NSA comme agent de sécurité à l’Université du Maryland, avant de rejoindre la CIA, où il travaille dans la sécurité informatique.
Mars 2007-février 2009, Snowden est envoyé par la CIA à la mission américaine des Nations unies à Genève. En 2009, il quitte la CIA pour travailler chez un prestataire privé de la NSA sur une base américaine au Japon. Il travaille ensuite pour Booz Allen Hamilton pendant trois mois en tant qu’administrateur système pour la NSA au centre régional Sigint de Kunia Camp, Hawaï à Oahu, l’une des îles de l’archipel d’Hawaï; trois mois plus tard, il dérobe des informations
ultrasecrètes à l’aide d’une clé USB puis les transporte à Hong-Kong, où il se réfugie du 20 mai 2013 au 23 juin 2013, date de son départ pour Moscou.
Big brother…
Les révélations du lanceur d’alerte sur le système de surveillance des communications, mis au point par la NSA, ont fait l’effet d’une bombe dans l’ensemble de la communauté internationale.
1- Les téléphones mobiles sous surveillance. Dans son édition du 5 juin, le Guardian britannique affirme que l’opérateur de téléphonie mobile américain Verizon avait reçu courant avril l’ordre de livrer à la NSA les médata (relevés d’appel) de plusieurs millions de ses clients.
2- les géants d’Internet sommés d’ouvrir leurs serveurs. Selon le Washington Post et le Guardian qui se fondent sur les mêmes documents, neuf géants de la Toile au nombre desquels Google, Microsoft, Facebook, Skype ont fait l’objet de réquisitions, mais nient avoir accédé aux demandes de la NSA.
3-Un robot scanne les données. Il s’agit d’un robot informatique ultra-perfectionné capable de trier les données et d’organiser la surveillance pays par pays. On apprend ainsi que des millions d’ordinateurs étaient surveillés et l’Allemagne était le pays le plus écouté de l’Union européenne.
4- Les Britanniques écoutent également Le GCHQ. Equivalent anglais de la NSA, il a écouté les membres des délégations étrangères et piraté leurs boîtes mail pendant le sommet du G20 en 2009.
5- Londres siphonne les câbles sous-marins. Selon le Guardian, le GCHQ accède directement aux
données téléphoniques et informatiques d’au moins 46 câbles sous-marins en fibre optique dont il stocke les données pendant trente jours.
6- Chinois piratés. Selon le South China Morning Post, les Américains auraient piraté la compagnie de téléphonie mobile chinoise SMJ, l’opérateur de fibres optiques Pacnet et l’université Tsinghua à Pékin.