Au Liban, tout le monde entend parler d’histoires concernant les employées de maison. Tantôt, ces femmes venues de loin tombent sur des employeurs qui les maltraitent et, tantôt, ce sont ces derniers qui se retrouvent au beau milieu d’histoires de vols ou de fuites. Caritas Liban a décidé de prendre sous son aile ces femmes, victimes de violences et qui ont dû prendre la fuite. Le couvent de Rayfoun est devenu leur maison provisoire, en attendant que soit réglé leur sort.
La scène est devenue quotidienne. Eliane Akiki, assistante médicosociale pour Caritas Liban au Shelter de Rayfoun depuis 2010, est au téléphone avec l’ambassade sri-lankaise afin de trouver un arrangement concernant le rapatriement de trois femmes dans leur pays. Celles-ci, au beau milieu de la discussion qu’elles ont bien du mal à comprendre, tentent de parler à leur représentant: «Mister, Mister, please». Eliane, au téléphone, demande: «Avez-vous le temps de leur parler, monsieur? Nous avons beaucoup de questions à propos de leur cas». Elle se tourne vers les trois femmes: «Il n’a pas le temps de vous parler, il va venir vous rendre visite la semaine prochaine». Le désespoir s’installe dans le regard de ces femmes. Elles veulent plus que tout retrouver l’envie de croire qu’elles vont pouvoir refouler le sol de leur terre natale. Elles s’affolent, craignent que les administrations compétentes ne tiennent pas leurs promesses.
Des dizaines de femmes venues, entre autres, du Sri Lanka, d’Ethiopie, du Bangladesh, des Philippines sont là, assises dans la cour de ce couvent refuge. Entourées pour certaines de leurs enfants, elles attendent impatiemment que leur cas soit réglé. L’association Caritas se bat pour trouver une issue décente pour ces femmes retrouvées à la rue, quand «leur rêve est devenu un cauchemar».
«Je ne dis pas que tous les Libanais sont mauvais, souligne Aurélie, Camerounaise de 34 ans. Bien au contraire, c’est pour cela que je ne souhaite pas repartir dans mon pays. Il faut juste tomber sur la bonne famille et moi, jusque-là, je n’ai malheureusement pas eu de chance». «J’ai beaucoup d’amies très contentes au Liban et qui sont vraiment tombées sur des gens biens. Ils laissent les filles aller chez le coiffeur de temps en temps et parler à leurs familles… Tout ce que nous demandons c’est d’être considérées comme des êtres humains», poursuit la jeune femme. «Il y a aussi des filles qui ont fait des choses incorrectes, avoue-t-elle. La clé du succès, je pense, est de se faire confiance et de se respecter».
Diplômée universitaire et titulaire d’un bac scientifique, Aurélie est venue au Liban quand elle s’est rendu compte que ses diplômes ne réussiraient pas à la faire vivre, elle et son enfant, au Cameroun. Multipliant les jobs qui ne lui rapportaient rien, le Liban lui est apparu comme l’eldorado qui lui permettrait d’offrir une éducation correcte à son fils. Jusque-là, elle n’a pas eu de chance. Ses garants, deux familles libanaises successives, l’ont en quelque sorte escroquée. Pendant des mois, ils l’ont à peine payée. Elle a donc décidé de partir. Au centre de Rayfoun, elle attend de pouvoir trouver une autre famille. Malheureusement, son issue sera plutôt un retour vers le Cameroun contre son gré.
Un système avec de grosses lacunes
Ici, dans ce refuge, il y a plus de 70 femmes avec des enfants pour une grande partie. Elles ont chacune leur avocat et leur assistante sociale. «La semaine dernière, nous avons reçu 60 femmes envoyées par la Sûreté générale qui doit faire face à une surpopulation dans la prison de Dora».
Les femmes sont incarcérées – pour celles qui n’ont pas commis de délits – au centre de détention sous contrôle de l’Etat libanais, leurs papiers étant illégaux. Première dérive du système de Kafala. C’est-à-dire que chaque femme doit avoir un garant à son arrivée dans le pays. Elle doit travailler chez lui. «Beaucoup de femmes ont des problèmes avec leurs employeurs et fuient la maison. Mais comme ce système, fondé sur la peur de l’employée de maison et son contrôle, donne le droit aux employeurs de prendre les papiers, les femmes se retrouvent dans une situation illégale et ne peuvent plus quitter le pays», explique l’assistante sociale.
C’est là que commence le travail de négociation de Caritas. Elle joue l’intermédiaire avec leur pays, avec l’administration et avec leurs «tuteurs». «Beaucoup de Sri-Lankaises, par exemple, explique Eliane, ont passé des années au Liban et n’ont plus de papiers. C’est très difficile de retrouver leurs familles. Nombreuses sont celles qui n’ont plus de contact. Ici commencent les démarches avec leurs ambassades pour pouvoir obtenir un laissez-passer afin qu’elles puissent voyager».
«Pas toutes les femmes passent par la prison. Elles peuvent y rester un jour comme un an, cela dépend du bon vouloir du garant, des papiers, de sa volonté de payer le billet d’avion. Le garant est obligé de se rendre à la Sûreté générale pour annuler la plainte. Ensuite, commence la procédure de rapatriement. «A chaque cas son issue, mais cela peut prendre du temps», souligne l’employée de Caritas.
Les difficultés entre les deux camps viendraient, selon l’association, majoritairement de problèmes culturels. «La langue, les traditions… Même une cuisine différente peut entraîner de nombreux conflits dans une maison, selon Nancy Chéhadé, responsable du centre. La femme asiatique parle doucement, alors qu’on a l’impression que la femme libanaise est constamment en état de querelle. Ces défauts de communication amènent à de sérieux troubles». Cela, sans dédire les abus dont elles sont parfois victimes. «On a reçu une femme du Bangladesh gravement abusée physiquement. Elle avait des traces sur son visage et son corps; on lui avait même coupé les cheveux. C’était vraiment catastrophique. Les garants ont été poursuivis par la justice et inculpés», raconte Chéhadé.
Concernant les femmes qui ne sont pas référées par la Sûreté générale et qui viennent de leur plein gré, «nous ne pouvons pas les forcer à rester ici enfermées, poursuit Chéhadé. Nous les éduquons et les divertissons. Ici, elles peuvent suivre des cours et obtenir des diplômes, mais il y a des règles strictes à respecter. Sinon, avec autant de monde, ce serait vite le chaos pour elles, pour les enfants et pour le personnel». «Nous ne pouvons pas cependant l’imposer à quelqu’un qui ne veut pas rester. Notre rôle c’est de leur expliquer ce qu’elles risquent si elles décident de partir d’ici», ajoute la responsable.
Les choses commencent toutefois à changer, du moins en termes légaux. Des campagnes de sensibilisation des citoyens et des fonctionnaires font évoluer les mœurs, selon l’association. «Il y a des familles libanaises qui traitent les employées de maison de manière inhumaine, mais il y a aussi des employées qui commettent des délits», affirme Eliane.
Pas que des employées de maison
A Rayfoun, il y a actuellement deux familles de réfugiés, l’une irakienne et l’autre d’Europe de l’Est. Elles se retrouvent au centre en attendant de savoir ce que sera leur sort. Une femme que l’on surnommera Dida, pour des raisons de sécurité, s’est retrouvée là, alors qu’elle venait au Liban pour retrouver son mari qu’elle aimait tant. Accompagnée de sa fille aînée (d’un premier mariage) et de sa petite dernière, fille de cet homme libanais, elle plia bagage, quitta Chypre, là où elle résidait, et fit le voyage pour le Pays du Cèdre. Rêves brisés.
Pensant alors que son mari était divorcé, elle comprit, dès son arrivée, que la réalité était tout autre. Ayant le droit d’avoir plusieurs femmes, suivant sa religion, et tel était le cas, il lui avait menti et lui avait montré un faux certificat de divorce. Comprenant que son mari et sa famille voulaient récupérer la petite fille et renvoyer la mère chez elle, en Europe, Dida ne se laissa pas faire… mais en paya le prix. Son mari la fit faussement diagnostiquer comme folle par un neurologue et commença à la droguer à tel point qu’elle fut complètement incapable de bouger et d’être consciente de ce qui se passait autour d’elle. Elle s’arrangea pour ne plus prendre ces médicaments, et alors, les violences physiques sur elle et sa fille aînée commencèrent. Elle s’est vu aussi confisquer sa petite fille à moitié libanaise par la famille du mari qui lui refusait tout contact, la séquestrant. Bientôt, ce fut sa fille aînée, pourtant pas libanaise, qu’on lui retira et qui subira des violences physiques, presque même sexuelles.
Effrayée, Dida réussit à s’échapper et à récupérer ses deux enfants. Elle viendra directement au centre de Caritas qui les place alors au refuge.
Sa fille aînée, n’étant pas de nationalité libanaise, a pu facilement rentrer chez elle, mais les choses ne sont pas simples pour la petite dernière dont le père est libanais. Tant qu’il ne donnera pas son accord, elle ne pourra pas quitter le pays; et Dida refuse de la laisser. C’est son enfant. Elle ne l’abandonnera pas. Caritas négocie actuellement avec le père qui, légalement, est toujours le mari de Dida, mais il continue à tout faire pour que la jeune femme craque… Elle tient bon, enfermée, mais avec sa fille; il sera difficile de trouver un accord et une solution pour qu’elle puisse quitter le pays, mais elle affirme: «Je ne baisserai jamais les bras».
Anne Lobjoie Kanaan