En 2003, neuf ans après l’adoption du décret de naturalisation, le Conseil d’Etat accepte le recours en invalidation, présenté par la Ligue maronite, qui demande l’ouverture d’une enquête sur les naturalisations douteuses afin que soit annulée la nationalité de ceux qui l’ont acquise illégalement.
Le décret des naturalisations de 1994 avait provoqué un déséquilibre communautaire et démographique. Des milliers de personnes s’étaient vu accorder la nationalité libanaise dont plusieurs centaines sur base de documents falsifiés. Il a été adopté après des décennies de tiraillements politiques.
Le nombre des naturalisés a été difficile à déterminer depuis des années. Mais, selon certaines statistiques, la citoyenneté a été accordée par le décret 1994 à plus de 63 863 électeurs musulmans, et 29 520 électeurs chrétiens.
Déjà en 1965, le dossier des naturalisations était à l’ordre du jour. Un scandale éclate, le 9 juin 1965, autour de l’octroi de la nationalité libanaise à 220 Syriens résidant à Hasbaya. Le président de la République de l’époque, Charles Hélou, ordonne le blocage de toutes les formalités de naturalisation, en attendant que soit tranchée l’affaire, la nouvelle législation en la matière devant paraître sous peu. Des naturalisations avaient été accordées par décret dans des conditions pas très rigoureuses.
Quelques semaines plus tard, un autre scandale éclate: 1 500 personnes, vivant à Deir el-Kamar, obtiennent la nationalité. Une enquête est ouverte et plus de deux mille demandes sont gelées en attendant toujours la nouvelle loi.
50 000 naturalisés en deux ans
La question de la naturalisation est particulièrement délicate. Le Liban, de par sa structure, ne peut assumer des facteurs de changements majeurs dans sa démographie. Son équilibre précaire repose sur une formule particulière et des naturalisations non étudiées peuvent lui nuire considérablement. D’où l’importance de la question, d’autant que durant les années soixante, la présence palestinienne était à son paroxysme et les problèmes des réfugiés que le Liban accueillait se multipliaient à un rythme inquiétant. Le gel des demandes de naturalisation non étudiées devait y mettre un terme.
Un rapport, soumis au ministère de l’Intérieur au cours de l’été 1965, soulignait que plus de 50 000 personnes avaient été nationalisées en moins de deux ans. Le 2 septembre 1965, le gouvernement décide de geler les demandes et d’activer l’adoption d’une nouvelle loi définissant les conditions de l’octroi de la nationalité libanaise.
La presse se saisit de l’affaire, dénonce les naturalisations massives et appelle au retrait des nationalités acquises durant les derniers mois. Mais, si avec le renvoi du décret 1994 pour étude, le problème des droits publics et privés des personnes naturalisées et ceux nés de l’exercice de ces droits, tels les achats de terrains, mariages, élections municipales et législatives, etc… ne sont pas résolus, l’affaire prend une ampleur différente. Le 15 septembre 1965, le Conseil d’Etat déclare que la nationalité libanaise ne peut être retirée aux personnes qui l’ont obtenue par décret, et donc le gel des naturalisations ne s’applique qu’aux demandes en cours. Ceux qui avaient obtenu leur nationalité avant cette décision ont pu continuer à en jouir. L’affaire ne devait pas aller au-delà de cette décision.
Mars 1966, un projet de loi pour l’octroi de la nationalité est sous étude. Les conditions sont plus strictes. Il fallait désormais que le requérant ait vécu quinze années au Liban, qu’il fasse preuve d’une bonne conduite et possède bien la langue arabe. De plus, il devrait pouvoir s’intégrer à la société libanaise.
Ainsi, l’octroi de la nationalité a été gelé pendant des années du fait des événements que le Liban a connus, et de la guerre civile de 1975. En 1994, la nationalité a été accordée, par décret à des dizaines de milliers de personnes. Certains dossiers ont été jugés douteux et un recours en invalidation est présenté par la Ligue maronite qui considère que le décret porte atteinte à l’équilibre communautaire du Liban.
Arlette Kassas
La Ligue maronite s’active
A la suite du décret de naturalisation en masse de 1994, la Ligue maronite avait transmis au Conseil d’Etat un recours en annulation avec 1 760 dossiers jugés douteux. La Sûreté
générale disposait de son côté de quelque 5 000 à 6 000 dossiers douteux. En tout, donc, il y avait 7 760 dossiers que le ministère de
l’Intérieur était invité à vérifier. Certains
dossiers comprennent les noms de plusieurs personnes appartenant à une même famille.