Magazine Le Mensuel

Nº 2921 du vendredi 1er novembre 2013

POLITIQUE

Tripoli, la petite Syrie. Retour au calme…provisoirement

Abandonnée aux caïds de quartier, mains armées des dignitaires de la ville, la capitale du Nord a vécu son 17e round des affrontements entre Mohsen et Tebbané. Bilan, treize morts et près d’une centaine de blessés. Tributaire de l’évolution du conflit syrien, l’énième déploiement de l’armée dans les rues de la ville ne fait pas illusion.
 

Des deux côtés de la rue de Syrie, deux mondes différents. Le 21 octobre, dans le cadre d’une longue interview télévisée pour la chaîne al-Mayadeen, Bachar el-Assad lance une bombe qui déclenchera neuf jours de combats meurtriers sur les hauteurs de Tripoli: «Jabal Mohsen est comme un territoire syrien». Un hommage que ses habitants saluent à coups de rafales de mitraillettes tirées en l’air. Mohsen, bastion alaouite noyé dans un océan sunnite, reçoit avec honneur et fierté le soutien indéfectible du président syrien, conforté par l’accord russo-américain sur les armes chimiques. Le grand jeu diplomatique et le bras de fer régional des communautés se jouent aussi dans les dédales du quartier. En face, pour Tebbané, c’est l’affront de trop. La phrase est perçue comme une invasion. En un clin d’œil, le régime sanguinaire de Damas vient annexer la ville phare, de la transpercer en plein cœur. Le bourreau soutient ses plantons. Les petites frappes du Parti arabe démocratique (Pad) dirigé par Rifaat Eid ne peuvent plus se pavaner impunément. Le feu qui couvait s’embrase instantanément.  
 

Inévitable reprise
Ces dernières semaines, Tripoli vivait dans la peur d’une reprise des combats. Selon un décompte entamé en 2007, le 16e round des affrontements s’était achevé le 26 mai dernier à la faveur d’un accord qui a vu l’émergence de nouveaux acteurs. Jeunes leaders enturbannés de milices armées, ces intouchables caïds de quartiers ont pris une place prépondérante dans la structure de la ville, télécommandés au vu de tous par les dignitaires politiques et religieux locaux. Dans ce territoire abandonné de l’Etat, la radicalisation et la violence font la loi. Le plan de sécurité n’était qu’un épisode dicté par les circonstances. Le double attentat du 23 août contre les deux mosquées a sonné le glas d’une détente troublée par des provocations quotidiennes, rue de Syrie. Pour le cheikh Salem Raféï, tout-puissant président du Comité des ulémas musulmans, et l’ancien directeur général des FSI le général Achraf Rifi, tous deux visés, il s’agit d’un acte de guerre. Le récent retour au Liban du mufti de Tripoli, Malek Chaar, n’a pu empêcher l’escalade. Les coupables sont désormais connus.
Le 15 octobre, sur la base des investigations des services de renseignement des FSI, sept suspects sont identifiés. Le chef de la cellule, Hayan Ramadan, ainsi que trois autres suspects sont originaires de Jabal Mohsen et graviteraient dans l’orbite du Pad. Une accusation accueillie avec colère et ironie par Rifaat Ali Eid: «Si nous sommes coupables, que notre parti soit dissous, et si nous sommes innocents, que les SR des FSI le soient».

 

L’armée enfermée 
dans son rôle
La tension est par la suite allée crescendo. Aux sous-entendus des responsables tripolitains du Courant du futur sur l’implication du Pad, «branche du Baas syrien», répondaient les déclarations incendiaires des cadres du parti de Eid sur le pilotage par l’Arabie saoudite des flambées de violence à Tripoli. Tous les ingrédients étaient là pour un 17e round qui a débuté sur les chapeaux de roues.
Les appels à l’apaisement lancés le premier soir par le Courant du futur, demandant aux habitants de «garder leur sang-froid et ne pas être entraînés dans ces combats que le régime syrien souhaite», n’ont pas porté bien loin. Les tirs de joie qui ont suivi le passage télévisé d’Assad ont réveillé la colère des quartiers de Tebbané et de Zahiriyé. Les affrontements sporadiques ont conduit l’Armée libanaise à reprendre ses positions rue de Syrie. Les militaires font le strict minimum. Ils sont conviés à mettre fin aux combats, se contentant d’intervenir de manière passive. Pas question de faire de vagues, juste de répondre aux attaques les plus dangereuses, comme si le pouvoir politique leur avait intimé cet ordre de mission. Paralysée dans son action les premiers temps, l’armée assiste presque impuissante à l’élargissement du front, vers l’autoroute internationale ou les quartiers de Qobbé et de Baqqar. Mais lorsqu’au bout de deux jours de combats, quatre soldats ont été touchés dans des opérations de séparation entre belligérants, l’armée change d’attitude.
Dès lors, ses unités ripostent plus fermement aux tirs de feu le long de la ligne séparant les deux régions, faisant circuler des patrouilles de chars, alors que l’autoroute était la cible des francs-tireurs. C’est là l’une des caractéristiques de ce énième round: l’armée est clairement visée. Une nouvelle donne à mettre en parallèle avec les déclarations des dignitaires tripolitains qui critiquent vertement le plan de sécurité du gouvernement. «Il ne nous défend pas et il ne nous permet pas de nous défendre», résume ainsi Salem Raféï. Les affrontements font de nombreuses victimes. En deux jours, deux personnes meurent. Côté Mohsen, un adolescent de 13 ans, Daniel, côté Tebbané, un homme de 32 ans. Le nombre de blessés augmente inlassablement. Ils étaient déjà une quarantaine au bout de 48 heures. Les familles commencent à fuir. Des images malheureusement déjà vues pour la plupart mais qui font craindre, compte tenu de l’utilisation d’armes lourdes, un conflit de grande ampleur.
 

Où se situe Riyad?
La semaine dernière, l’émir Turki el-Fayçal, ancien responsable des services saoudiens de renseignement, affirmait: «Le Liban est au bord de la guerre civile». Auteur de gestes diplomatiques extrêmement forts en réponse à la nouvelle politique des Etats-Unis dans la région, Riyad se doit de faire basculer la balance dans son sens. Dans l’orbite du Hezbollah, c’est en tout cas l’explication que l’on donne pour expliquer cette flambée de violence. Saad Hariri a, lui, accusé le régime syrien de mener «une sale guerre à travers ses outils locaux contre Tripoli et ses habitants». Achraf Rifi parle d’affrontements «programmés». Sur le front, le schéma est figé depuis le deuxième jour. Snipers sur les toits, armes déployées dans des ruelles au milieu desquelles se trouve l’armée qui a multiplié les barrages. Les combats se déroulent la nuit. Les assaillants se déplacent en mobylette, les militaires doivent lancer des fusées éclairantes pour évaluer le terrain. La plupart des victimes sont des civils. Un mort par jour, voilà le tarif macabre d’un affrontement qui devenait inévitable.
Si c’est une phrase du président Assad qui a allumé la mèche, c’est la déclaration du cheikh Raféï qui l’a sans doute éteinte. Guérir le mal par le mal. Dimanche, le cheikh salafiste a menacé d’appeler en renfort des extrémistes d’al-Qaïda pour attaquer le quartier de Jabal Mohsen. Dans un entretien au quotidien an-Nahar, il a déclaré: «Si l’attaque menée par le Pad contre Tripoli se poursuit et que des innocents sont tués, la voie sera ouverte à tous les jihadistes du monde». En sous-main, des contacts étaient entrepris pour permettre le déploiement de l’armée à Mohsen et Tebbané. Un déploiement qui durera le temps de la bataille de Qalamoun, en Syrie?

Julien Abi Ramia

Mis en cause, Rifi répond
Mardi, le quotidien al-Akhbar expliquait dans l’un de ses articles que l’ancien responsable des FSI était aujourd’hui à la tête d’une milice armée baptisée «Les libres de Tripoli», accusée par le journal proche du Hezbollah, d’avoir pris part au dernier round d’affrontements entre 
Mohsen et Tebbané. Réponse de l’intéressé: «Les mensonges que vous fabriquez avant de les promouvoir ne pourront pas dissimuler la vérité qui vous concerne, le fait que vous formez des milices armées à la solde de l’axe syro-iranien. Vous et vos milices qui avez envahi Beyrouth et la Montagne et semé la terreur à Tripoli». Il poursuit: «J’ai vu comment les campagnes de dénigrement ont été lancées contre Rafic Hariri et les martyrs de la révolution du Cèdre. Campagnes qui, généralement, précédaient les assassinats. Aujourd’hui, vous êtes en train de réitérer le même scénario».   

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