Magazine Le Mensuel

Nº 2927 du vendredi 13 décembre 2013

Semaine politique

Maaloula, ligne de front. Les moniales d’échange

A la recherche d’une monnaie d’échange, la rébellion islamiste, qui perd du terrain face aux forces du régime et ses alliés dans la région stratégique de Qalamoun, a commandité l’enlèvement des douze religieuses du monastère de Mar Takla. Une provocation de trop pour les chrétiens de la région qui se mobilisent comme jamais depuis le début du conflit.
 

La liturgie orthodoxe raconte l’histoire de Takla, une jeune vierge d’Iconium-Konya dans l’actuelle Turquie. Cachée derrière une fenêtre, elle écoute l’apôtre Paul, de passage en ville, qui prêche la parole chrétienne dans une maison voisine. Convaincue par le discours, elle décide de se convertir, au grand dam de sa mère et de son fiancé qui la dénoncent au gouverneur. Elle est condamnée au châtiment suprême. Ici débute la vie miraculeuse de la disciple protégée par les cieux. Sur son bûcher s’abat une pluie diluvienne. Jetée aux lions, ils lui lèchent les pieds et le monstre marin, censé la dévorer, est foudroyé. Elle part pour Séleucie, où elle demeurera, près de soixante-douze ans, à pratiquer l’ascèse dans une grotte située aux environs de la ville, dans la montagne de Calamon – Qalamoun dans l’actuelle Syrie. Elle se fait connaître de tous par les nombreux miracles qu’elle accomplit. Par la providence de Dieu, elle entre vivante dans le rocher et s’enfonce sous terre.
 

Le sanctuaire profané
Vingt siècles plus tard, le rocher est gardé par le couvent de Mar Takla qui lui est adossé. Mais, depuis le début de la crise syrienne, le village séculaire de Maaloula, foyer des derniers chrétiens à parler l’araméen, la langue du Christ, est traversé par une ligne de front qui oppose les forces du régime syrien à la rébellion jihadiste. Maaloula est quasi déserte depuis que des jihadistes du Front al-Nosra ont tenté, le 9 septembre, de prendre le contrôle du village situé dans la montagne à 55 km au nord-est de Damas. Au bout de trois jours de combats, l’armée loyaliste repousse les attaquants et, depuis, assure la sécurité de la ville avec quelques hommes. Entre-temps, la majorité de la population chrétienne avait fui pour se réfugier soit à Damas, soit à Beyrouth.
Restaient sur place quarante moniales du monastère orthodoxe de Mar Takla, situé à l’est de la ville. L’armée régulière avait établi un barrage en contrebas, à l’entrée de la ville, et cela faisait déjà plus d’un an que des rebelles, venus de la ville de Yabroud − ville acquise à l’opposition − étaient positionnés à l’hôtel al-Safir au haut de la falaise. Dans la nuit du dimanche 1er décembre, les rebelles, qui avaient lancé un nouvel assaut la semaine précédente mais avaient échoué, ont fait une nouvelle tentative pour s’emparer du village. Du haut du rocher qui surplombe le cœur historique de la localité, ils font rouler un grand nombre de pneus remplis d’explosifs sur les soldats déployés en bas de cette cité. Ces derniers prennent la fuite. Les jihadistes se rendent ensuite au monastère de Mar Takla. Ils emmènent de force douze religieuses orthodoxes syriennes et libanaises, dont la mère supérieure Pelagia Sayyaf. Après l’enlèvement des deux évêques syriens d’Alep, Boulos Yazigi et Youhanna Ibrahim, les rebelles s’en prennent à nouveau à des religieux chrétiens. Une opération à double portée politique. 

 

Le jeu dangereux des rebelles
Est-ce un message envoyé à l’Occident, à qui la rébellion en veut pour avoir replacé l’Iran dans le jeu diplomatique ou à la Russie, cœur de l’orthodoxie, sanctionnée pour son soutien au régime de Bachar el-Assad? Cet acte de provocation suscite en tout cas un tollé général, notamment au Vatican, où le pape François lance un vibrant appel pour la libération des sœurs. Le Saint-Siège a clairement décidé de prendre part à l’affaire. Quelques heures après l’enlèvement, le nonce apostolique de Syrie, Mgr Mario Zenari, explique que la Supérieure des moniales, Pelagia Sayyaf, a pu parler au téléphone avec le patriarche grec-orthodoxe d’Antioche le mercredi 4 décembre, assurant que, pour l’instant, les religieuses vont bien. Le contact est pris. Selon plusieurs sources concordantes, les sœurs seraient donc
à Yabroud, où se déroule en ce moment une importante opération militaire (voir encadré).
Le lendemain, une faction jusqu’ici inconnue, «les Brigades du Qalamoun libre» revendique l’enlèvement et indique que les moniales ne seront remises en liberté qu’en échange de la libération de mille femmes détenues dans les prisons syriennes.
Mais vingt-quatre heures plus tard, la chaîne al-Jazeera reçoit une bande vidéo qui montre les moniales assises sur des canapés alors que, sollicitées par une voix masculine, elles prononcent des phrases rassurantes sur leurs conditions et sur leur enlèvement, présenté non en tant que tel mais comme une sorte d’opération humanitaire visant à les soustraire aux dangers après une nouvelle occupation de Maaloula par les milices rebelles. Une diversion que les rebelles ont maintes fois utilisée, notamment pour les pèlerins chiites d’Aazaz. Au Liban, les églises chrétiennes lancent le branle-bas de combat. Le patriarche orthodoxe Mgr Youhanna X Yazigi, le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï et tous les dignitaires de la communauté se sont joints aux prières du pape François. Depuis la semaine dernière, l’affaire est devenue politique.

 

Médiation, mobilisation
Le général Abbas Ibrahim, chef des services de sécurité libanais, s’est rendu au Qatar, à la demande du président libanais, le général Michel Sleiman, le 7 décembre, afin de tenter de trouver une solution à l’enlèvement, revendiqué par les rebelles syriens. Cette mission au Qatar tient compte des liens existant entre l’émirat et certaines factions armées en conflit avec l’armée régulière syrienne. Le général Ibrahim serait, par ailleurs, également entré en contact avec la chaîne de télévision al-Jazeera pour recueillir des informations concernant la source de la vidéo transmise par la chaîne, vendredi 6 décembre.
Autre figure de proue de la mobilisation, le CPL qui, par la voix de Gebran Bassil, a lancé un appel à des mouvements pacifiques de protestation et à des prières dans l’espoir d’une libération des religieux détenus. Quelques heures auparavant, un communiqué de l’Armée syrienne libre (ASL) accusait le parti d’avoir envoyé en Syrie des miliciens, aux côtés du Hezbollah, qui auraient pour mission de protéger les lieux saints chrétiens. Le ministère syrien des Affaires étrangères a adressé une lettre au secrétaire général de l’Onu Ban Ki-Moon et au Conseil de sécurité, dans laquelle il accuse les rebelles de «saccager des églises».
Les religieuses vont-elles servir de bouclier humain? Selon les témoignages des habitants restés à Maaloula, la ville a complètement été détruite, certains parlent de massacre archéologique. Les édifices religieux ont subi des dommages considérables. Sans doute était-ce pour la rébellion une façon de décrédibiliser le régime syrien protecteur des minorités mais, plus globalement, l’escalade de ces dernières semaines est certainement due au fait, qu’en prévision de la prochaine conférence de paix de Genève II, annoncée pour le 22 décembre, chaque partie cherche à gagner quelque chose sur le terrain.

Julien Abi Ramia

Yabroud, le dernier foyer rebelle
Les forces du régime syrien ont intensifié ces dernières heures les bombardements contre Yabroud, dernier bastion rebelle dans la région stratégique du Qalamoun. La ville est située sur la même ligne que Qara, Deir Atiya, et Nabak prises ces derniers jours par les forces du régime syrien, épaulées par les 
combattants du Hezbollah libanais et des milices chiites irakiennes. Ces localités s’alignent toutes sur la route stratégique Damas-Homs. Celle-ci a été fermée depuis vingt jours à cause des combats, mais les autorités se préparent à la rouvrir 
prochainement. Si le régime parvient à reprendre la totalité de la région du Qalamoun, il s’assurerait une continuité territoriale sous son contrôle entre les provinces de Damas et de Homs. Qalamoun, à la lisière du Liban, a été pendant un an la base arrière des rebelles qui y faisaient transiter les armes destinées à leurs bastions dans la région de Damas.

 

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