Magazine Le Mensuel

Nº 2928 du vendredi 20 décembre 2013

Monde Arabe

Syrie. Recherche désespérément opposition modérée

Perte de positions stratégiques, difficultés à s’armer, retournement d’alliances, les derniers événements ne sont décidément pas favorables à l’Armée syrienne libre (ASL), dont le pouvoir se réduit comme une peau de chagrin. Bras armé de la Coalition nationale syrienne, l’opposition modérée représente sur le terrain une partie de plus en plus faible des forces en présence.
 

Du 7 au 10 décembre dernier, l’Armée syrienne libre (ASL), composée de groupes rebelles qualifiés de «modérés», a perdu le contrôle de sites stratégiques au nord-ouest de la Syrie, près de la frontière avec la Turquie. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), l’ASL a perdu, le 7 décembre, le contrôle de dépôts d’armes à Bab al-Hawa, repris auparavant à l’armée régulière. Trois jours plus tard, c’est le contrôle du poste-frontière qui est perdu au profit du Front islamique.
La Coalition nationale syrienne, branche politique de l’ASL, par la voix de son porte-parole Khaled Saleh basé à Istanbul, a voulu sauver la face en affirmant que les rebelles du Front islamique étaient arrivés à sa demande, pour éviter que ces sites ne tombent aux mains de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), un groupe rebelle islamiste lié à al-Qaïda, en guerre larvée avec l’ASL. Cependant, un proche du général Salim Idriss, commandant de l’ASL, affirme que «cette opération de secours est du bidon, les salafistes se sont servis dans les entrepôts».

 

Le Front islamique monte
L’ASL, qui comptait parmi ses rangs des brigades islamistes, pâtit de la formation nouvelle du Front islamique. Créée le 22 novembre, cette faction est une fusion de sept groupes rebelles, dont certains faisaient partie de l’ASL. C’est le cas, par exemple, de la brigade Liwa al-Islam, commandée par Zahran Allouche, qui a tout récemment quitté l’ASL pour rejoindre le Front. Il représente désormais la force armée la plus importante du pays, regroupant selon les experts, plus de la moitié de la totalité des combattants rebelles de Syrie. Les récents entretiens entre responsables occidentaux et chefs du Front islamique à Ankara témoignent de l’importance qu’est en train d’acquérir cette nouvelle formation. N’étant pas affiliée à al-Qaïda, avec qui le dialogue est impossible, de futures négociations avec le Front islamique ne sont pas à exclure, même si l’objectif affiché de l’organisation est l’instauration en Syrie d’un Etat islamiste antidémocratique.

 

Le «Front des rebelles»
Afin de contrer cette montée en puissance et pour remédier au rétrécissement de ses rangs, l’ASL s’est alliée à quinze autres groupes armés pour former le «Front des rebelles syriens», comme l’a annoncé, vendredi dernier, Kassem Saadeddine, porte-parole de l’ASL. Cependant, la solidarité entre ces groupes armés n’étant pas nouvelle, cette annonce est interprétée par beaucoup d’experts comme un «coup de pub», pour de nouveau éviter de perdre le crédit que lui accordent les Occidentaux. A défaut d’apporter de nouveaux combattants, ce regroupement peut certainement améliorer la mauvaise coordination des opérations entre les différents groupes, un des motifs de beaucoup de défections au sein de l’ASL.
En outre, l’ASL doit désormais faire face au problème de son approvisionnement en armes, qui fait suite aux défaites dans le nord-ouest. Non seulement l’ASL perd une partie de son arsenal à Bab al-Hawa, mais elle se voit aussi privée de ravitaillements occidentaux. Le lendemain de la prise du poste-frontière par le Front islamique, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, frileux à l’idée que leurs envois soient interceptés par les islamistes, ont suspendu leurs livraisons en armes non létales, comme des radios ou des véhicules militaires. Le jour de la suspension des livraisons, le secrétaire à la Défense américain Chuck Hagel déclare: «Ce qui s’est passé pose un gros problème et nous allons devoir savoir comment le gérer avec le général Idriss et l’opposition modérée».
 

Cacophonie politique
Face à une situation militaire compliquée pour l’ASL, qui entre en concurrence directe avec de nouveaux groupes islamistes, la perspective d’une victoire politique semble également très floue, tant les acteurs politiques de l’opposition modérée sont divisés. Le commandant de l’ASL, le général Idriss, s’est prononcé le 26 novembre dernier contre les futures négociations de Genève II, censées rassembler à Montreux le 22 janvier opposition modérée et autorités gouvernementales. Regroupant seulement 10 à 15% des forces rebelles sous son commandement, le général Idriss considère que «les conditions ne sont pas réunies pour organiser les pourparlers de Genève II à la date indiquée. En tant que force militaire et révolutionnaire, nous ne participerons pas à la conférence». «Nous ne cesserons pas le combat pendant la conférence de Genève ni après celle-ci. Ce qui nous préoccupe, c’est d’acquérir les armes dont nos combattants ont besoin», a-t-il déclaré à la chaîne de télévision al-Jazeera.
La Coalition nationale syrienne (CNS), branche politique de l’ASL, représentera pourtant l’opposition dans les négociations. Décriée au sein de son propre camp, l’absence de soutien de la part de sa faction militaire ne fait que diminuer un peu plus la légitimité de la CNS à représenter l’opposition syrienne. A Montreux, la CNS ne pourra s’appuyer sur aucune force en présence sur le terrain, ce qui réduit son pouvoir de négociation face au gouvernement syrien qui avance et reprend chaque jour du terrain sur les rebelles. Les groupes islamistes, liés ou non à al-Qaïda, ont, quant à eux, annoncé qu’ils considéreraient tout accord nul et non avenu.
Que ce soit par les divisons internes qui la rongent ou la multiplication des fronts qui lui font face, l’opposition, dite modérée, est réduite à une peau de chagrin.
La seule solution pour elle de se sauver serait de s’allier avec le régime pour lutter contre les groupes islamistes, en obtenant la garantie, qu’une fois ces groupes neutralisés, le régime accepte de former un gouvernement d’union nationale. Cela aurait au moins le mérite de faire bouger les lignes, d’enrayer l’enlisement et la radicalisation du conflit et de sauver ce qui peut être sauvé… avant qu’il ne soit trop tard.

Elie-Louis Tourny

Armes turques
La Turquie a livré, depuis juin, 47 tonnes d’armes et de munitions à la rébellion syrienne, malgré ses dénégations répétées, affirme, le 16 décembre, le journal turc Hürriyet sur la foi de documents officiels turcs et onusiens. Les destinataires ne sont cependant pas précisés. La Turquie, qui finance en grande partie le Front islamique, peut avoir joué un rôle-clé dans la montée en puissance de cette faction.

La France pessimiste
La France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, se dit pessimiste à l’égard des négociations qui feront asseoir à la même table opposition modérée et autorités syriennes, à Montreux en Suisse, le 22 janvier. En cause, la 
difficulté, depuis le début du processus 
politique, pour l’opposition, de former un bloc uni capable d’avoir des exigences et de les faire respecter tant dans son assemblée que dans les rangs de son armée.

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