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Nº 2937 du vendredi 21 février 2014

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Dans les coulisses d’un accouchement. Les tractations de dernière minute

Saad Hariri a imposé sa marque en s’entendant avec le CPL au terme de négociations serrées et en jouant la carte Rifi à la dernière minute pour se tailler la part du lion. Récit des 48 heures de médiations tous azimuts et de calculs d’épicier qui ont mis fin à dix mois de surenchères partagées.
 

La rencontre entre Saad Hariri et Michel Aoun en Europe a fondamentalement modifié le processus de formation du gouvernement. Avant tout, parce qu’elle a mis un terme à l’impasse dans laquelle s’étaient engluées les discussions stériles entre Tammam Salam et Gebran Bassil. Jusque-là, les médiations de Waël Abou Faour avec les négociateurs du Hezbollah, prenant fait et cause pour son allié chrétien, et le Premier ministre désigné, sensible aux conseils de Fouad Siniora, n’avaient rien donné. Nabih Berry et Walid Joumblatt, qui ont compris que la fenêtre diplomatique du moment offrait l’opportunité de former un gouvernement d’union nationale, conseillaient à Tammam Salam de s’ouvrir davantage au CPL. Rien à faire, le maître de Mousseitbé ne pouvait pas se déjuger, craignant de fragiliser sa formule basée sur la rotation des portefeuilles. Las de ces tergiversations, Gebran Bassil a donc pris les devants en début de semaine dernière et appelé Nader Hariri, directeur du cabinet de Saad Hariri, avec qui il entretient de bonnes relations personnelles, pour enfin régler la question de la représentation du parti.
 

Le CPL entendu
Après plusieurs entretiens téléphoniques pour expliquer les demandes du CPL et de ses alliés au sein du Bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, Gebran Bassil et Nader Hariri finissent par se rencontrer, jeudi soir, au cours d’un dîner familial à Rabié. Le repas dure plus de deux heures et l’atmosphère est plutôt bonne. Ces derniers mois, cadres, députés et leaders des deux partis ont multiplié les rendez-vous de travail. A table, Gebran Bassil réexplique que le CPL considère que la rotation des portefeuilles n’est qu’un prétexte pour le déloger, lui et son parti, du ministère de l’Energie. En face, Nader Hariri est attentif. En réalité, les deux hommes savent déjà de quelle façon la question du ministère tant convoité du pétrole et du gaz va être tranchée. Le Courant du futur ne peut revenir sur ses positions vis-à-vis de Salam et de ses sympathisants. Gebran Bassil ne reviendra pas à l’Energie et le CPL ne veut pas offrir le ministère à un adversaire.
Bassil propose donc de le confier au Tachnag, à Arthur Nazarian. Les deux parties y trouvent ainsi leur compte. Nader Hariri n’y voit aucun inconvénient. Un point pour le CPL et ses alliés que le conseiller de Saad Hariri va savoir exploiter en deux temps. Il sait que le CPL a obtenu de la part de Tammam Salam l’attribution du ministère régalien des Affaires étrangères. Hariri rappelle qu’il s’agit là de l’une des nombreuses concessions du parti, d’autant que Bassil a fait comprendre à son interlocuteur qu’il serait celui qui occuperait ce ministère.  Hariri acquiesce à demi-mot, sous-entendant cependant que cette nomination, sur le plan politique, froisserait non seulement ses alliés chrétiens que Saad Hariri tient à ménager après le refus des Forces libanaises d’entrer au gouvernement, mais aussi la base populaire du 14 mars qui voit Bassil comme un épouvantail. Lorsque Nader Hariri rapportera à Saad Hariri le résultat de son entrevue avec les dirigeants du CPL, l’ancien Premier ministre se déclare favorable à la nomination de Bassil aux Affaires étrangères. Une concession qu’il va vouloir tirer à son avantage.
Le calcul de Saad Hariri est simple. Face à Bassil, grande figure de l’autre camp, dans le cercle des ministres régaliens, le leader naturel du 14 mars doit opposer une personnalité du même calibre. Si le CPL s’est vu attribuer les Affaires étrangères il y a peu, le Futur a le ministère de l’Intérieur depuis plusieurs semaines. En concédant Bassil, Hariri s’estime autorisé à proposer une personnalité qui clive tout autant. Pour ce poste, Nabih Berry, au cours de leurs nombreuses entrevues avec Fouad Siniora, a proposé plusieurs noms acceptables comme Samir Jisr, Rachid Derbas ou Jamal Jarrah. Les faucons du 14 mars penchaient plutôt pour Ahmad Fatfat ou Achraf Rifi, l’ancien directeur général des FSI qui avait provoqué la démission du gouvernement Mikati. Saad Hariri tient là un atout majeur.

 

La médiation de Joumblatt
Dans la nuit de jeudi à vendredi, aux alentours de deux heures du matin, Saad Hariri en informe tour à tour Rifi et Fouad Siniora. Le Courant du futur réclame la nomination de Rifi à l’Intérieur. Siniora contacte Salam qui, lui, appelle Nabih Berry. Le président du Parlement, qui s’attendait à la formation du gouvernement dans la matinée avant de s’envoler pour une visite officielle au Koweït et en Iran, voit ses espoirs déçus lorsqu’il reçoit ce coup de téléphone. Impossible d’accepter cela, répond le leader du mouvement Amal. Quelques petites heures de sommeil plus tard, Siniora appelle à son tour Berry: «Vous avez nommé vos ministres, nous nommons les nôtres», dit l’ancien Premier ministre. Réponse du second: «On s’était pourtant mis d’accord, pas de provocations». Salam et Berry font appel à Walid Joumblatt pour régler la question. Le leader du PSP dépêche alors Waël Abou Faour, qui appelle Hussein el-Khalil. Le Hezbollah dit non. Le CPL a déjà obtenu ce qu’il voulait. Enième blocage. Le négociateur druze reprend la route et son téléphone.
Après avoir pris connaissance des positions des uns et des autres, Walid Joumblatt propose une formule intermédiaire qui rejoint celle qui a amené le CPL à lâcher l’Energie: oui à la présence de Rifi au gouvernement, mais pas à l’Intérieur. A la place, une personnalité acceptée de tous. Abou Faour prend contact avec le Hezbollah et le mouvement Amal. «Nous acceptons n’importe qui sauf Rifi et Fatfat», répondront-ils. Une position qu’Abou Faour relaie auprès de Saad Hariri et Tammam Salam. Les deux hommes acceptent. Dans la soirée de vendredi, Saad Hariri a couché trois noms pour le ministère de l’Intérieur: le député Jamal Jarrah, le général Marwan Zein et le député de Beyrouth Nohad Machnouk. C’est le dernier qui sera finalement choisi. Reste à trouver un point de chute à Achraf Rifi. Salam proposera les ministères du Travail et des Affaires sociales, sans succès. Il monte la mise et propose la Justice, Hariri et Rifi acceptent. Au final, ce gouvernement ressemble exactement aux négociations qui ont lieu. Salam et Sleiman, qui ont perdu un portefeuille, ont fait place aux deux partis qui ont relancé la machine. Autre constatation, l’équilibre entre la coalition du 14 mars et celle dirigée par le Hezbollah et ses alliés. Aux premiers les ministres sécuritaires, aux seconds les ministères dits de service.

Julien Abi Ramia

Gagnant-gagnant
Tammam Salam, qui avait promis le portefeuille de l’Energie à Dany Qabbani, doit se contenter de Mohammad Machnouk à l’Environnement. Le président Michel Sleiman qui aurait aimé donner la Défense à Khalil Hraoui, a dû se contenter 
de donner le ministère de la Défense au 
vice-Premier ministre, Samir Moqbel. Il nomme tout de même Alice Chabtini pour représenter Jbeil. Les deux présidents, qui ont fini par arriver à leurs fins, ont dû rogner sur leur part pour faire la place belle au Bloc du 
Changement et de la Réforme, qui obtient les Affaires étrangères, l’Energie, l’Education et la Culture et au Courant du futur qui décroche l’Intérieur, la Justice et les Affaires sociales. Nabih Berry et Walid Joumblatt savent depuis longtemps quels ministères ils obtiendraient. Ali Hassan Khalil est récompensé aux Finances et Waël Abou Faour à la Santé.

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