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Paul Khalifeh

Bric-à-brac… Et après

Après des mois de paralysie, due au blocage politique, les institutions recommencent à fonctionner. Certes, le nouveau départ est lent, cahoteux et bruyant, mais les premiers résultats se font déjà sentir. Les barricades érigées dans les rues sont en train d’être démantelées. L’Armée libanaise a désormais une plus grande latitude pour lutter contre le terrorisme et ramener le calme à Tripoli, meurtrie par vingt rounds de combats absurdes, qui ont fait des centaines de morts et de blessés, et des destructions énormes. Il y a beaucoup à dire sur les circonstances qui entourent le nouveau plan de sécurité. Les caïds criminels, les répugnants «Kadet el-Ma7awer», ont obtenu assez de temps pour prendre la poudre d’escampette. Les assassins, responsables de la mort de nombreux soldats, les snipers, qui ont tué de sang-froid tant de civils, et les prédicateurs extrémistes, qui ont chauffé à blanc les esprits, ne seront peut-être jamais inquiétés. Il s’agit d’une miniature de la solution qui a mis fin à la guerre civile au Liban, il y a vingt-cinq ans: une loi d’amnistie, qui a protégé les responsables de la mort de 150000 personnes, de la disparition de 17000 autres et du déplacement d’un million de Libanais. Tripoli-2014, à l’instar du Liban-1990, aura vu ses hommes politiques, qui ont organisé, entraîné, financé, armé et utilisé les miliciens, récompensés en devenant ministres. Mais ils n’en gagnent pas pour autant en respectabilité.
Cette solution incomplète et injuste pour les victimes de la mini-guerre civile de Tripoli aura quand même eu le mérite – et pas des moindres – de faire taire le canon et de pacifier la ville. Les Tripolitains auront toujours la possibilité de sanctionner les responsables de leurs infortunes et de leurs malheurs lors des prochaines consultations électorales. Encore faut-il qu’ils n’aient pas la mémoire courte, comme ce fut le cas pour les autres Libanais, qui, frappés d’amnésie, ont ramené aux commandes leurs tortionnaires et leurs bourreaux.
Les barricades sont en train de tomber aussi à l’intérieur des institutions, transformées en no man’s land depuis presque un an. Les députés recommencent à légiférer, même si les lois votées ces derniers jours suscitent un tas de remarques sur la qualité et la pertinence de leur travail. Le Conseil des ministres se réunit, s’attaque à des sujets délicats qui traînent depuis des lustres, et procède à des nominations. C’est un pas microscopique dans le voyage des «mille miles», mais cela reste, malgré tout, une avancée.
Même l’agitation sociale, qui a resurgi avec le réveil des institutions de leur longue léthargie, est bon signe. Cela prouve que les questions de la vie quotidienne reprennent le dessus, ce qui laissera aux Libanais moins de temps pour écouter les discours enflammés et les prêches incendiaires des extrémistes de tous bords, qui voient ainsi leur fonds de commerce se réduire à une portion congrue.
Les Libanais ne sont pas dupes. Expérimentés, ils savent très bien que ces remèdes ne pourront pas éradiquer le mal, mais seulement calmer la douleur. Il s’agit de solutions ponctuelles, partielles, provisoires peut-être. Cependant, cette décrispation augmentera sensiblement leur chance de décéder de mort naturelle plutôt que d’être fauchés par une voiture piégée ou emportés par la balle d’un franc-tireur.
Expérimentés qu’ils sont, les Libanais savent aussi que ce vent d’optimisme ne va pas nécessairement étendre son souffle salvateur sur l’élection présidentielle. Le flou continue d’entourer cette échéance suprême et il y a toujours autant de chance de voir un nouveau président élu, que d’avoir un fauteuil vide.

Paul Khalifeh

 

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