Magazine Le Mensuel

Nº 2945 du vendredi 18 avril 2014

general

Elias Rahbani. Un surdoué de la musique

Rahbani. Un nom qui fait partie du patrimoine culturel libanais et dont la seule évocation rappelle l’âge d’or de cette fameuse époque où le Pays du Cèdre était appelé la Suisse du Moyen-Orient. Une famille de surdoués de la musique à laquelle Elias Rahbani ne fait pas exception. A son actif, un recueil de 6 500 compositions. Portrait.

Entre la musique et lui, c’est une grande histoire d’amour née «alors qu’il n’était qu’un point dans les entrailles de sa mère». D’une grande affabilité, doté d’un sens de l’humour qui réussit à dédramatiser n’importe quelle situation, Elias Rahbani aime rire et faire rire son entourage. C’est dans son studio à Naccache qu’il nous reçoit. Auteur-compositeur et chef d’orchestre, Elias Rahbani appartient à la première génération des Rahbani, celle qui a donné au Liban Assi et Mansour, connus sous le nom des Frères Rahbani. Une tradition musicale qui s’est transmise de père en fils à la deuxième génération.
 

La musique dans les gènes
De son enfance, il a gardé le souvenir de sa mère qui l’emmenait au restaurant que tenait son père à Antélias, devant lequel il jouait avec les soldats français. Orphelin à cinq ans, il se souvient de son père jouant du bouzouk dans la brume de Bickfaya, village où il passait l’été. Il est âgé de six ans à peine, lorsqu’il tombe sous le charme des vieilles chansons françaises Je suis seule ce soir, La vie en rose et bien d’autres. A sept ans, il allait au cinéma avec Assi et Mansour, ses frères aînés, séparés par quatorze et treize années de différence. «A cette époque, Assi et Mansour travaillaient déjà pour faire vivre la famille. L’un était gendarme municipal et l’autre agent de la circulation. Ils prenaient des leçons de chant avec le père Boulos Achkar et Assi jouait de l’orgue à l’église. Tous les deux avaient la musique dans les gènes». D’ailleurs ces gènes se sont transmis à la deuxième génération qui, toute sans exception, est musicienne. «Aucun des Rahbani n’a encouragé ses enfants à faire de la musique. C’était inné en nous».
Très marqué par le morceau Reproches d’amour qui lui parvenait à travers les fenêtres des sœurs antonines, cet air le transportait vers un monde féerique, dit-il, loin de Bickfaya. Plus tard, Elias Rahbani découvre avec émotion que cet air qui le remplissait d’émotion était joué par sa sœur Salwa. «Les filles et les garçons flânaient dans les rues sans soucis. Les chansons de Charles Trenet et Line Renaud étaient diffusées par une discothèque et me parvenaient à travers une brume transparente, mêlée aux amours naissantes de la jeunesse d’alors», se souvient-il. C’est Salwa, qui initie le jeune Elias à la musique et au piano avant qu’il ne devienne l’élève du professeur Bertrand Robillard qui lui enseigne pendant quatre ans les sciences musicales et le piano. «Ensuite, j’ai étudié pendant huit ans avec le professeur Michel Bourgeot». Il accompagne ainsi tous ses professeurs dans les institutions où ils enseignaient.

 

3 500 chansons publicitaires
Elias Rahbani débute sa carrière à 19 ans lorsque la BBC lui demande de lui composer quarante chansons. A 20 ans, il se lance dans la chanson publicitaire. Il possède à ce jour plus de 3 500 chansons publicitaires à son actif. «Bomba Adams était la première publicité que j’ai faite» dit Elias Rahbani. Pendant dix ans, il travaille à Radio Liban. «Mon salaire était 400 L.L. par mois et je touchais pour chacune des chansons publicitaires 300 L.L». Conseiller technique pour les enregistrements et responsable de la musique occidentale, il se lance ensuite dans les chansons dont il écrit les paroles dans plusieurs langues: anglais, français, italien et arabe et en compose la musique.
En 1972, Elias Rahbani présente sa première pièce de théâtre à Beiteddine, Ayyam Sayf, qui réunit plusieurs grands noms tels que Wadih el-Safi, Nasri Chamseddine, Melhem Barakat et Georgette Sayegh. Plusieurs pièces succéderont: Wadi Chamsin, Safrit el-ahlam (en 1995, avec Madonna), al-Andalouss jawharat el-aalam, Ila. Il donne également plusieurs concerts. La notoriété d’Elias Rahbani dépasse le Liban. Avec Samy Clark, il remporte un prix musical en Allemagne pour la chanson Mory Mory et, pendant plus de cinquante ans, il représente la chanson française dans le monde. «J’ai réussi à rendre le monde arabe francophone en faisant des chansons françaises qui sont devenues très célèbres. Je possède quelque 220 chansons qui ont été volées par les Turcs», indique Rahbani. Décoré d’une médaille d’or par le président Elias Sarkis, le président Emile Lahoud lui a décerné la médaille du Cèdre, grade officier. C’est avec beaucoup de tristesse que l’ancien ambassadeur de France au Liban, Denis Pietton, a découvert qu’Elias Rahbani représentait la chanson française dans le monde depuis plus de cinquante ans et que si peu de gens le savaient. «Lorsque nous nous sommes rencontrés à la Résidence des pins, je lui ai dit en arrivant, bonjour après cinquante ans». Selon le musicien, alors qu’il n’est qu’un «point dans les entrailles de sa mère», il écoutait la musique française qu’elle aimait particulièrement. «J’ai aimé la France avant mon existence», dit-il. Un amour que la France lui a rendu en lui décernant la Légion d’honneur et en le nommant Chevalier de l’Art et de la Culture.
Avec Feyrouz, Elias Rahbani entretient de très bonnes relations. «C’est une grande dame que je connais depuis longtemps. A la maison et dans les soirées, je la faisais beaucoup rire en racontant des histoires drôles». Il est incontestable qu’Elias Rahbani est un homme qui a beaucoup d’humour. Tout peut être pour lui une raison de rire. D’une grande culture, il a écrit plusieurs livres dont Les loups prient en langue arabe qui apporte des réflexions profondes sur Dieu, la liberté et d’autres sujets. Pour lui, la liberté est l’une des raisons principales de l’effondrement du monde. «Dieu n’a jamais parlé de liberté, c’est un concept que l’homme a créé et sous ce prétexte on est en train de détruire le monde». La prière ne se résume pas pour le musicien à un moment précis dans le temps, mais c’est un mode de vie. «Il faut vivre en état de prière», estime-t-il.
Il reconnaît que le niveau de la chanson a baissé dans le monde et ce, depuis trente ans. «Ce phénomène a commencé quand les sociétés internationales de production en Egypte ont fermé. Assi, Mansour et Feyrouz avaient réussi à transférer la BBC de Chypre à Beyrouth. Toutes les sociétés ont disparu de la scène et les bons compositeurs ont été écartés». Passionné de musique et fervent croyant, Elias Rahbani estime que Dieu et la musique sont jumeaux. «Tout le monde est influencé par la musique. Il y a peut-être trois milliards de croyants, mais il y a sept milliards d’êtres humains qui croient en la musique».
Sa participation à l’émission Superstar sur la Future TV a eu un tel succès que le New York Times en avait parlé dans l’une de ses éditions, se demandant ce qui se passait au Moyen-Orient et décrivant Elias Rahbani comme «celui qui a réussi à réunir vingt-deux Etats par l’amour, le rire et sa manière de présenter l’émission».
Marié à Nina Khalil, ils ont deux garçons, Ghassan et Jad et cinq petits-enfants. Pour lui, l’adage qui dit que les petits-enfants sont plus chers que les enfants est totalement vrai. Le 25 avril, il donnera un concert à Dubaï, et deux autres sont prévus dans les pays arabes. Notre entretien tire à sa fin, mais il ne peut s’achever sans une visite des studios ultra sophistiqués d’Elias Rahbani. Il s’installe derrière son piano et sous ses doigts magiques, le gigantesque piano à queue noir prend vie. Il égrène pour nous des airs qui ont fait le tour du monde et suscitent en nous une nostalgie dont on a du mal à se défaire. Nostalgie d’une époque où la musique n’était pas du bruit… n 

Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR

 

Mourir de nostalgie
Au début de la guerre, en mai 1976, Elias Rahbani passe avec sa famille six mois en France, à Paris. «Mon travail était en plein essor et on me disait souvent que je ne suis pas fait pour le Moyen-Orient mais pour le monde». Sur le point de signer un contrat avec André Willemin, directeur artistique de plusieurs grandes stars, Rahbani, les larmes aux yeux, sort de sa poche la photo d’un coucher de soleil prise de sa maison au Liban qu’il montre à son interlocuteur. «A ce moment, Willemin m’a dit: ‘‘Elias, retourne au Liban, tu vas mourir de nostalgie en France’’».

Ce qu’il en pense
Ses loisirs «La musique. De 11 heures 
à 20 heures, je suis au studio en train d’écrire ou de composer de la musique. J’ai 
actuellement soixante nouvelles chansons dans toutes les langues: françaises, italiennes, anglaises et arabes».
Sa devise «Les nations ne se mesurent pas par leurs superficies, mais par leurs grandeurs».

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