A moins d’une improbable surprise de dernière minute, aucun président ne sera élu avant le 25 mai. Jusqu’à ce qu’un accord intervienne, le siège suprême restera inoccupé. Récit d’une intense semaine de négociations entre Beyrouth, Paris et Riyad, au cours de laquelle la candidature de Michel Aoun a été âprement discutée.
Jeudi 15 mai, en début d’après-midi. Pour la quatrième fois après un nouveau défaut de quorum, le collège électoral ne s’est pas réuni. Installé avec ses proches conseillers devant la télévision dans son quartier général de Maarab, Samir Geagea sent que la situation lui échappe. Malgré l’appui du bloc parlementaire du Courant du futur à sa candidature, l’ombre de Michel Aoun plane plus que jamais sur l’élection présidentielle. Les signaux contradictoires que lui envoient, depuis plusieurs jours, Farid Makari et Fouad Siniora apportent une certitude: la multiplication des rencontres entre Nader Hariri et les responsables du CPL a conduit Saad Hariri à étudier l’option Aoun très sérieusement L’inquiétude du leader des Forces libanaises est légitime. Il suffirait que Hariri se laisse convaincre et réussisse, à son tour, à convaincre ses parrains saoudiens de soutenir l’arrivée de Michel Aoun à la présidence. Pour en avoir le cœur net, Geagea a officiellement organisé une tournée des capitales étrangères. Cette tournée ne compte en réalité qu’une seule escale.
Beyrouth à Paris
Le lendemain, le leader des FL atterrit à Paris pour une visite de quelques jours. Saad Hariri, encore à Riyad à ce moment-là, fixe samedi et dimanche deux rendez-vous durant le week-end à son visiteur dans son luxueux appartement quai Voltaire. Sur son agenda, Samir Geagea a noté la date d’une troisième entrevue sur les quais de la Seine avec le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud el-Fayçal. A tout ce petit monde, il faut ajouter la présence à Paris de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora et du ministre Nouhad Machnouk pour le Courant du futur, celle de Walid Joumblatt et de Waël Abou Faour pour le PSP, ainsi que celle de Boutros Harb. De vendredi à lundi, tous ces hommes se sont rencontrés pour parler de l’élection présidentielle, ce qui a valu en privé un bon mot du leader du PSP qui explique avoir fui à Paris pour fuir Beyrouth pour retrouver Beyrouth à Paris.
Les bruits de couloir se sont multipliés le week-end sur la teneur de toutes les discussions. Afin de mettre fin aux rumeurs, les services de presse des Forces libanaises et du Courant du futur ont été les premiers à dégainer. Après une première prise de contacts samedi, Hariri et Geagea se sont revus dimanche pour un déjeuner de travail qui s’est achevé en début de soirée. Un marathon de huit ou neuf heures en présence de Fouad Siniora. Un très long entretien au cours duquel Hariri a mis sur la table toutes les options possibles. Les principes ont d’abord été définis. «Les deux hommes ont réitéré leur refus d’un vide à la tête de l’Etat et souligné la nécessité d’organiser l’élection dans les délais constitutionnels». Mais le leader des Forces libanaises n’a pas fait tout ce chemin pour écouter des généralités.
C’est lui qui pose la question fatidique: qu’en est-il du général Michel Aoun? «Saad Hariri et moi avons passé en revue toutes les issues possibles à la crise», révèle Samir Geagea. «Saad Hariri a souligné que parmi les options possibles, il y a la proposition du général Michel Aoun qui se présente comme un candidat de consensus. Nous avons étudié cette possibilité et je lui ai donné mon avis objectif. Bien que les contacts établis avec le CPL soient utiles pour le pays, le général Aoun n’est pas pour le moment un candidat de consensus. Comment après neuf années au cours desquelles il a adopté une voie politique complètement différente, Aoun peut-il soudain devenir un candidat consensuel?».
Les décideurs saoudiens
Les déclarations de Geagea éclairent la façon dont Saad Hariri lui a présenté les choses. On comprend entre les lignes que le leader du Courant du futur a évoqué des discussions avec le CPL. Sans doute Hariri a expliqué à Geagea qu’il ne fermait la porte à aucun candidat susceptible d’être élu. On est loin des certitudes entendues, en ce début de semaine, de la bouche de certains cadres du CPL qui expliquaient que l’arrivée au pouvoir de Michel Aoun était quasiment acquise. A Rabié, les visiteurs du général décrivent un homme serein, presque détaché, mais investi d’une importante responsabilité, intimement convaincu que sa stratégie d’ouverture auprès de Saad Hariri portera ses fruits. Chargé de porter sa parole, le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, et celui de l’Education, Elias Bou Saab, font le job. Lorsque leur ont été rapportées les confidences de Saoud el-Fayçal qui a fait son opposition personnelle à la candidature de Aoun – «nous n’oublierons jamais le passé de cet homme» -, les deux hommes et le général y ont vu une énième rumeur relayée par des adversaires.
Les messages transmis au CPL par les responsables saoudiens sont, en réalité, d’une autre teneur. En vitrine, ils expliquent que l’élection présidentielle est d’abord une affaire interne. Entre les murs de la diplomatie, ils reposent leur politique au Liban sur deux piliers: le dialogue, tel que l’a initié Saad Hariri concrétisé à travers la formation du gouvernement Salam et la protection des accords de Taëf qui régissent la répartition communautaire du pouvoir. Comprendre, pas d’escalade mais pas de Constituante. Pour préserver ses acquis, l’Arabie saoudite veut pacifier l’atmosphère dans la région, tout en prenant acte du pouvoir et de l’influence de l’arc chiite.
Ces fondamentaux, l’ambassadeur d’Arabie saoudite au Liban, Ali Awad Assiri, les a expliqués au patriarche Béchara Raï, le 16 mai dernier, le premier demandant au second si le «président fort» pourrait toucher aux accords de Taëf.
Combler le vide
La visite de Tammam Salam en Arabie saoudite, la première du Premier ministre à l’étranger depuis sa désignation, n’a pas échappé à la question présidentielle. Lundi soir, quelques heures après son arrivée à Jeddah, le Premier ministre et l’imposante délégation qu’il préside – formée des ministres Akram Chéhayeb, Michel Pharaon, Rachid Derbas, Mohammad Machnouk, Abdel Mottaleb Hennaoui et Elias Bou Saab – se sont rendus au domicile de Saad Hariri, de retour de Paris, pour un dîner au cours duquel il a été question des responsabilités du gouvernement qui prendra dimanche les rênes du pays. La rencontre impromptue de Salam avec le roi Abdallah, quelques minutes avant le départ de ce dernier pour le Maroc, a donné un tout autre cachet à cette visite. Après avoir rencontré le prince héritier Salman Ben Abdel-Aziz, en présence du prince Moqren et de Saoud el-Fayçal, également de retour de Paris, Tammam Salam revient au Liban présider le gouvernement qui assumera «ses responsabilités constitutionnelles».
En quelques heures, l’imminence de l’élection de Michel Aoun, qui a conduit Walid Joumblatt à son lapsus à Brih (voir page 27) a fait pschitt. Et conformément à la stratégie du 8 mars, rallié comme un seul homme derrière le maître de Rabié dans cette bataille présidentielle, le quorum n’a pas été assuré ce jeudi. Lors de la dernière réunion du bloc du Changement et de la Réforme, a été évoquée l’idée de l’assurer pour faire taire ceux qui accusent son camp de torpiller l’élection, au premier rang desquels le patriarche Raï et Michel Sleiman. Aussitôt évoquée, aussitôt écartée. Sans l’assurance de l’élection de leur candidat, le CPL a craint que le 14 mars ne profite de l’occasion pour porter le candidat de Walid Joumblatt Henri Hélou, voire Samir Geagea.
Place à d’autres candidats?
L’installation du vide à la présidentielle ne modifie pas fondamentalement les données du problème. A moins que pour protester contre la vacance du siège suprême, certains ministres chrétiens ne décident de démissionner et de faire ainsi chuter le gouvernement. La crise institutionnelle prendrait alors une tout autre tournure. A partir de dimanche minuit, le patriarche Raï soulèvera une question qu’il se pose maintenant depuis plusieurs jours, celle de la prorogation du mandat de Michel Sleiman, sous une forme réadaptée. Ces derniers jours, le chef de l’Eglise a évoqué cette possibilité avec nombre de ses visiteurs. L’idée étant de «garder ouvertes les portes de Baabda». L’occasion aussi de fermement condamner l’impossibilité des chrétiens à s’entendre sur cette base. Saad Hariri le lui a confié, nous élirons le candidat sur lequel s’entendront les chrétiens. Mais l’éventualité d’une prorogation du président Sleiman, dont la missive à l’adresse des parlementaires a amusé les cercles politiques, achoppe sur deux obstacles, le Hezbollah qui a déjà tourné la page et le CPL qui ne lâchera pas son candidat.
Restent donc toutes les autres possibilités. Les données pour Aoun, Geagea et Hélou ne changent pas. Le premier attend l’Arabie Saoudite, le deuxième veut empêcher le premier et le troisième attend son tour. Au deuxième rang, Sleiman Frangié, Amine Gemayel, Boutros Harb et Robert Ghanem pourraient pointer leur nez si les circonstances venaient à changer. En troisième rideau, Jean Obeid, Ziad Baroud et Riad Salamé peuvent y croire. Jusqu’à ce que se pose la question du commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi. Mercredi, le président du Parlement l’a annoncé: «Si vide il devrait y avoir, je fixerai une séance pour l’élection d’un président à la seconde». D’ici le début de la semaine prochaine, les chances de voir l’Arabie saoudite soutenir Michel Aoun sont assez minces. Le vide présidentiel ne s’est pas installé dimanche, il a été comblé lors du vote de confiance du gouvernement de Tammam Salam. Place donc aux représentants des puissances étrangères comme Assiri ou l’ambassadeur des Etats-Unis, David Hale, qui ont multiplié ces derniers jours les rencontres avec les principaux candidats chrétiens.
Julien Abi Ramia
Brèches sécuritaires à Tripoli
Alors qu’au début du mois, le ministre de la Justice Achraf Rifi affirmait que les violences à Tripoli étaient «à jamais révolues», une patrouille de l’Armée libanaise a été la cible de tirs dans le quartier de Bab el-Tebbané, dans la nuit du lundi à mardi, rapporte un communiqué officiel. Huit soldats blessés sont transportés à l’hôpital. Il s’agit de la première brèche au plan de sécurité mis en place dans la ville au mois d’avril. Jusqu’à présent, les arrestations des combattants dans le quartier se déroulaient sans trop de heurts. Mais, lundi soir, des assaillants ont fait exploser deux grenades dans l’une des zones commerçantes du quartier. Sur les réseaux sociaux ont circulé des messages mettant en garde les habitants contre des opérations de l’armée. C’est le premier commando à être entré dans le quartier pour arrêter des miliciens après l’envoi de ces messages qui a été visé. Le lendemain, les services de renseignements de l’armée ont mis la main sur trois des responsables de cette montée de tension. La vacance présidentielle promet d’autres entorses.