Magazine Le Mensuel

Nº 2981 du vendredi 26 décembre 2014

à la Une

Liban 2015. Un pied dans le gouffre en attendant un sursaut

Après avoir contenu, tant bien que mal, la contagion islamiste de la guerre en Syrie, dont il est encore l’otage autour de Ersal, le Liban, soutenu par les grandes puissances qui tiennent à le protéger, est appelé, en 2015, à prendre ses responsabilités. Il doit, pour ce faire, utiliser la fragile unité nationale qui s’est formée contre le terrorisme et entamer un véritable dialogue entre les composantes politiques. Il lui faut aussi combler le vide présidentiel et redynamiser la vie publique dont se sont détournés les citoyens, lassés des querelles de poulaillers.

Cette année, une région frontalière est venue se greffer au territoire libanais malgré lui. C’est celle du Qalamoun syrien avec sa cohorte de combattants islamistes qui s’est, petit à petit, détournée du combat contre le régime de Bachar el-Assad. Lequel est paradoxalement renforcé par la lutte internationale contre l’Etat islamique, qui injecte son venin takfiriste de l’autre côté de la frontière. Le pays aura vécu ces derniers mois à leur rythme. Toujours sous-jacent, le clivage entre les soutiens et les opposants au maître de Damas a été supplanté par l’unité contre la menace jihadiste. Les corbeaux ont changé d’épouvantail. Les velléités expansionnistes de ces groupuscules, à Tripoli et dans la Békaa, ont réussi à réunir dans le même camp le Hezbollah et le Courant du futur. Ce dialogue était inenvisageable il y a encore quelques semaines. Dans les partis, les arcanes du pouvoir à Beyrouth et les grandes capitales étrangères, les oppositions viscérales ont laissé place à une prise de conscience générale. En 2015, il est attendu qu’elle se traduise en actes forts.

Un nouveau président en 2015
Les émissaires étrangers ne cessent de le répéter: «Passez des paroles aux actes». Après avoir signifié leur accord de principe à un dialogue, Michel Aoun et Samir Geagea, les seuls acteurs chrétiens à avoir acquis la surface politique suffisante pour influer sur la stratégie politique de leur camp, devraient se rencontrer pour statuer sur l’identité du futur chef de l’Etat. Si, ni le rapport des forces parlementaires, ni les ambitions des leaders du Courant patriotique libre (CPL) et des Forces libanaises (FL) n’ont changé, qu’est-ce qui les pousse à effectuer cette ouverture? Principalement, le souci que la communauté chrétienne ne soit définitivement marginalisée et écartée du pouvoir. Un souci que partagent Bkerké et le Vatican qui joueront un rôle important l’année prochaine sur ce dossier. Comme les autres partis ont déjà expliqué qu’ils se plieraient à la volonté des chrétiens, la rencontre tant attendue entre les maîtres de Rabié et de Maarab promet d’être décisive.
Les deux hommes savent pertinemment ce qui est attendu d’eux pour accéder à la présidence. Michel Aoun devra lâcher du lest. Face au 14 mars et à l’Arabie saoudite qui s’opposent aujourd’hui à lui, le général devra donner des gages sur le Hezbollah et infléchir sa volonté de reconfigurer le système politique que régissent les accords de Taëf. En d’autres termes, il lui sera demandé de cesser de leur opposer le fait que la majorité des chrétiens qui le soutiennent lui donnent ce mandat. Des gages, Samir Geagea, avant tout animé par sa volonté de contraindre son concurrent à accepter de se ranger derrière quelqu’un d’autre que lui, estime en avoir déjà donnés, notamment en assurant la couverture chrétienne à la prorogation du mandat parlementaire. Ayant vingt ans de moins que son adversaire, le leader des FL voit plus loin. Il espère secrètement qu’à 81 ans, Michel Aoun effectue ses derniers tours de piste sur la scène politique.
Derrière eux, Amine Gemayel qui joue la carte du consensus, Jean Obeid et Robert Ghanem qui se voient en «troisième homme» et les candidats non déclarés comme le commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, et le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, restent dans les starting-blocks.

Détente entre le Hezbollah et le Courant du futur
Les ennemis communs ont la vertu d’unir. Entre Paris et Riyad, Saad Hariri a repris le contrôle de son parti, trop longtemps laissé aux agitateurs du Nord qui ont radicalisé son positionnement. Après avoir pris langue avec le CPL au cours de l’année sur la question de la présidentielle, le parti de la modération, comme l’aiment à le qualifier ses cadres, a lancé l’idée d’un dialogue avec le Hezbollah pour écarter le spectre de la fitna. Avec ses chevilles ouvrières, le ministre Nouhad Machnouk et son chef de cabinet Nader Hariri, le leader naturel du 14 mars s’est donné pour objectif de reprendre le contrôle de la rue sunnite et d’apaiser les tensions. Les débuts de ce dialogue, tout aussi attendu que celui de Aoun et Geagea, étaient autant encourageants que sa mise en marche balbutie. Le casting est prêt et Nabih Berry, par l’intermédiaire de son ministre Ali Hassan Khalil, avec Walid Joumblatt, assurent le service après-vente, mais l’instauration de ce dialogue achoppe sur l’agenda des discussions.
Pour le Courant du futur, le Hezbollah est le parti qui, en allant combattre en Syrie, a importé le conflit syrien sur le territoire libanais et a trahi sa conception de la résistance face à Israël. Le parti de Hassan Nasrallah estime que, sans lui, la situation aurait été encore plus dangereuse. Des questions encore trop sensibles à trancher et trop prématurées à évoquer, elles risquaient d’enrayer la volonté des deux camps de pacifier le pays. Leurs relations sont à l’image de celles qui lient l’Arabie saoudite à l’Iran, engagés chacun de leur côté, dans chacune de leurs sphères d’influence, contre l’Etat islamique. Le dialogue entre le Futur et le Hezbollah dépendra évidemment de l’évolution du dialogue entre Riyad et Téhéran.

Le dossier des otages, l’épine dans le pied
L’affaire cristallise tous les défis qui attendent le pays pour l’année qui vient. D’abord, la nécessité de définir une stratégie. Le gouvernement de Tammam Salam semble très fortement pencher pour des négociations en position de force. Tous les partis qui le composent en sont désormais convaincus. Ce n’est, ni par l’utilisation de la force militaire pure qui risquerait de coûter la vie aux otages, ni par des concessions exorbitantes pour le prestige de l’Etat qui conduiraient les kidnappeurs à demander toujours plus, que la situation pourra se débloquer. Le statu quo, qui donne un réel avantage aux combattants du Front al-Nosra et de l’Etat islamique installés à Ersal et aux alentours, ne peut plus perdurer. Les familles des soldats et des policiers l’ont clairement fait entendre dans les rues de Beyrouth et, de manière plus musclée, dans plusieurs localités de la Békaa.
A titre de rappel, les neuf pèlerins chiites d’Aazaz, enlevés en mai 2012, n’ont été libérés qu’en octobre 2013, soit 17 mois après leur capture en Syrie, contre 200 prisonniers syriens enfermés dans les geôles du régime, grâce notamment à la médiation du Qatar. Les otages de Ersal, enlevés en août, ne devraient pas être retenus aussi longtemps. Très rapidement, le Front al-Nosra a manifesté sa volonté de négocier la libération d’islamistes de Roumié, notamment en acceptant, à plus ou moindre échelle, les médiateurs qui se sont proposés. Après le Qatar, place au cheikh Wissam Masri qui s’est rendu à Ersal pour écouter les revendications des preneurs d’otages. Le mécanisme de négociation se mettra en marche lorsque le gouvernement, jusque-là dans le flou, donnera sa pleine et entière confiance à un médiateur, aux côtés du directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim, qui ferait le lien entre lui et les kidnappeurs.

L’armée intraitable contre la menace terroriste
L’Armée libanaise aura été le premier bénéficiaire de l’unité nationale décrétée contre le terrorisme islamiste. En y ajoutant le soutien unanime des grandes puissances, jamais sa marge de manœuvre n’a semblé aussi grande. Les dernières voix qui dénoncent les accointances des forces militaires avec le Hezbollah sont celles des islamistes. Ce soutien ne se démentira pas l’année prochaine. Après avoir repris le contrôle des foyers islamistes tripolitains et mis en échec le projet d’émirat, l’armée concentrera son effort sur le démantèlement des réseaux terroristes et la reprise en main de Ersal. Agissant sous couverture politique, elle aura pour mission de resserrer l’étau autour du village et de ses environs. Sans doute sera-t-elle aidée par la livraison des premiers équipements prévue par le méga-contrat d’armement franco-saoudien et les aides diverses venues des Etats-Unis, de Russie et d’Iran. Des hélicoptères de combat et des avions Cessna devraient être livrés dans les tout prochains mois.
Bien que les points chauds, qui ont malheureusement fait l’actualité de l’année écoulée, semblent s’être calmés, une petite étincelle pourrait bien renflammer ces poudrières. A Tripoli et à Saïda, voire plus globalement autour des camps palestiniens qui servent de refuges aux nombreux islamistes recherchés par les autorités, l’armée a installé des balises qui la préviennent de leurs mouvements. Sans doute voudrait-elle pouvoir les éliminer.
Dans la foulée des dernières semaines apaisées de l’année écoulée, 2015 s’ouvre sur des perspectives encourageantes. Prometteuses par rapport aux premiers mois tourmentés de l’année, mais encore trop incertaines pour espérer une amélioration définitive. De moins en moins contaminé par la crise syrienne que contrebalancent les frappes de la coalition internationale contre l’Etat islamique, le Liban reste toujours aussi sensible aux évolutions des rapports de force entre les grands acteurs de la région.

Julien Abi Ramia

Le coût des réfugiés
Le gouvernement libanais et les Nations unies ont lancé il y a quelques jours «Le plan libanais de réponse à la crise». C’est le premier plan échelonné sur deux ans depuis le début de la crise syrienne. D’un coût de 2,1 milliards de dollars, il devrait venir en aide à 2,9 millions de personnes, des Libanais vivant dans la précarité, des déplacés syriens et des réfugiés palestiniens. 348 000 enfants ne sont pas scolarisés, alors que les écoles publiques accueillent déjà 300 000 enfants. Le Liban compte 50% de plus de main-d’œuvre depuis 2011, 55% des réfugiés syriens enregistrés auprès du Haut-commissariat des Réfugiés (HCR) ont contracté des dettes au Liban et 82% d’entre eux paient un loyer.


Chiffres dans le rouge
Les difficultés économiques et financières seront plus aiguës en 2015. La plupart des indicateurs sont au rouge. La balance des paiements accuse un déficit d’environ 868 millions de dollars au sortir des dix derniers mois de l’année en cours. Un chiffre proportionnellement plus mauvais que celui de l’année 2013. Pourtant, la masse des dépôts dans les banques a augmenté d’environ 10 milliards de dollars cette année. Selon des chiffres arrêtés à l’été 2014, le déficit budgétaire atteint plus de cinq milliards de dollars, soit une augmentation de près de 8% par rapport à l’année dernière malgré une volonté de réduction des dépenses. Tout aussi intéressant le service de la dette, celle-ci est en hausse de 6% en augmentation de près de 13% par rapport à 2013. Autre chiffre alarmant, la balance du commerce extérieur, les exportations libanaises chutant de 20%. Les ventes immobilières se portent bien avec une hausse de 8%.

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