Dans un entretien exclusif accordé à Magazine, Nagi Morkos, cofondateur et gérant associé de la société de conseil Hodema, qui célèbre cette année ses dix ans d’existence, dresse un bilan exhaustif du secteur de la restauration pour 2014.
«Dans le contexte politique et économique morose que connaît le Liban actuellement, le secteur de la restauration a forcément souffert. Les Libanais sortent moins, découragés par les multiples dangers sécuritaires, et les touristes sont aujourd’hui principalement les expatriés libanais qui visitent leurs familles et remplissent les restaurants pendant leurs vacances. Quant aux touristes étrangers, ce sont en majorité des Irakiens et des Syriens. Les investissements dans le secteur de la restauration ont diminué et les chiffres de 2014 reflètent un net ralentissement de la croissance du secteur. Selon l’étude de marché des restaurants, cafés et bars, que Hodema réalise chaque année depuis 2010, nous avons recensé pour l’année 2014, 808 restaurants, bars et cafés à Beyrouth, contre 787 en 2013, ce qui représente une croissance de 2,5%, alors qu’elle était de 7% l’année précédente. Côté fermetures, 18% des restaurants recensés en 2013 ont mis la clé sous la porte en 2014 (soit 142 établissements). En contrepartie, 163 nouvelles enseignes ont vu le jour en 2014, un chiffre positif compte tenu de la situation, mais qui reste néanmoins moins important que celui de 2013 (190 ouvertures)».
Quel est le profil type de l’investisseur dans le secteur Food & Beverage (F&B) en 2014?
L’année dernière, les investissements se sont rationalisés et les développeurs de projets sont principalement des professionnels, notamment de grands groupes de restauration comme Boubess, avec de nouveaux concepts tels que Cucina au centre-ville, Café centre-ville aux souks de Beyrouth et Coast, à Zaitunay Bay, ou encore le groupe Found’d avec des projets tels Memory Lane, à Mar Mikhaël, et The Downtowner à Badaro. Le secteur continue d’attirer des investisseurs indépendants, mais ces derniers misent plutôt sur des zones émergentes à loyers abordables. Ainsi, un quartier comme Badaro a la cote à la fois des groupes et «amateurs», alors que d’autres zones, comme Gemmayzé et Mar Mikhaël, avaient à l’époque mis du temps à attirer les grands groupes de restauration.
Et en termes de montants d’investissements?
Ils sont à la baisse, la préférence des investisseurs allant désormais aux plus petites surfaces dont le développement nécessite moins d’argent et qui connaissent aujourd’hui une plus longue vie. Des enseignes de grande taille telles que Momo at the Souks ou Salmontini ont fermé leurs portes. Par conséquent, le nombre total de places assises est en recul: début 2014, il s’élevait à 57 117 places, en diminution d’environ 2% par rapport à 2013. Depuis 2013, les enseignes F&B tendent à se regrouper dans des centres presque exclusivement consacrés à la restauration, aujourd’hui situés à Dbayé, Verdun et Bliss, ce qui leur permet de bénéficier de loyers intéressants et de partager un certain nombre de frais.
Quelles sont les tendances qui ont eu la cote cette année auprès des Libanais?
La crise a changé la face du secteur de la restauration, qui se «démocratise». Les Libanais commencent à déserter les concepts qui prônent l’opulence ou le «show off» et ont privilégié en 2014, des lieux plus intimistes, à l’exception de l’ouverture de O1NE Beirut, une boîte de nuit du groupe Sky Management, d’une surface de
1 200 m2, ouverte uniquement le week-end. Par ailleurs, avec la dégradation du pouvoir d’achat, la plupart des Libanais favorisent des sorties à budget accessible, délaissant les enseignes haut de gamme en faveur de concepts abordables tels que des cafés-restaurants et bistrots italiens ou français, des burgers joints ou encore les nouveaux concepts à succès en 2014, notamment les cafés-bars – croisement entre pub et café. Quant à la cuisine libanaise, elle a toujours la cote, de même que la cuisine syrienne, nouvelle arrivante sur le marché drainée par l’afflux de ressortissants syriens.
Quels sont les défis du secteur pour l’année 2015?
L’année 2015 hérite de problèmes structurels non résolus en 2014 et devra faire face à plusieurs défis parmi lesquels des loyers onéreux, l’afflux de travailleurs syriens − souvent peu qualifiés − qui concurrencent les Libanais et tirent vers le bas l’échelle salariale, l’inflation des prix et le manque de parkings. Quant au scandale alimentaire, déclenché par le ministre de la Santé au mois de novembre 2014, il a fortement secoué le secteur de la restauration, déjà en souffrance, mais a servi de coup d’envoi à plusieurs initiatives nationales privées pour l’amélioration des normes d’hygiène, notamment la création d’une académie de formation à la sécurité alimentaire à la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Beyrouth et du Mont-Liban (CCIABML), en coopération avec l’Association des franchises libanaises (AFL), le syndicat des restaurateurs et l’Union des syndicats du tourisme. En dépit de ces défis, l’industrie est réputée pour sa résilience et son dynamisme, les restaurateurs affronteront sans doute cette nouvelle année avec créativité et positivisme.
L’investissement se rationalise
Les investissements se rationalisent devenant l’apanage en majorité, en 2014, de grands groupes tels que Boubess, Found’d et Coast.
En 2014, 808 restaurants, bars et cafés ont été recensés à Beyrouth, contre 787 en 2013, soit une croissance de 2,5%, alors qu’elle était de 7% un an auparavant.
18% des restaurants recensés en 2013 ont mis la clé sous la porte en 2014 (soit 142 établissements). En contrepartie, 163 nouvelles enseignes ont vu le jour en 2014, un chiffre positif mais néanmoins moins important que celui de 2013 (190 ouvertures).
Liliane Mokbel