A la recherche d’une solution politique pour la Syrie qui redorerait son blason auprès de la communauté internationale, Moscou a choisi les interlocuteurs susceptibles de s’accorder sur une feuille de route minimale pour éviter que n’échoue la rencontre du 26 janvier prochain entre les représentants de nombreuses factions de l’opposition syrienne et ceux du gouvernement. Pour sauver le régime, Vladimir Poutine serait-il prêt à lâcher Bachar el-Assad?
A compter du 26 janvier prochain, Moscou accueillera des délégations de l’opposition et du régime syriens dans une tentative de ressusciter un dialogue rompu par l’échec de Genève 2, en janvier 2014. Dialogue relégué aux oubliettes par la montée en puissance de l’Etat islamique. Il s’agit de «lancer des contacts préliminaires pour la reprise du dialogue entre le gouvernement syrien et les différentes factions de l’opposition syrienne», précise, selon des sources concordantes, l’invitation transmise à vingt-huit opposants, issus de différents mouvements. Cette rencontre se déroulera en deux temps: après leur arrivée dans la capitale russe le 26, les composantes de l’opposition se réuniront entre elles. Elles seront rejointes au bout d’un jour ou deux par une délégation du régime syrien, menée par le ministre des Affaires étrangères, Walid Moallem. Ces discussions, que les Russes souhaitent «informelles», auront lieu en dehors de tout cadre multilatéral: aucun des autres pays «amis» de l’opposition ou alliés du régime syrien n’y sera convié.
Bogdanov, architecte du dialogue
C’est en particulier le vice-ministre des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, excellent connaisseur du Moyen-Orient, arabophone et réputé fin psychologue, qui mène la danse. L’initiative russe a commencé à prendre corps lorsque Moaz el-Khatib s’est rendu à Moscou début novembre, alors que l’idée de pourparlers était au point mort. Cette figure historique de la contestation en Syrie, réfugiée au Qatar, et ancien président de la Coalition nationale syrienne (CNS), n’a jamais cessé de prôner une approche négociée. Dans la capitale russe, il a notamment esquissé avec le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, la possibilité d’un «Genève 3». Début décembre, Walid Moallem prenait à son tour le chemin de Moscou. Mikhaïl Bogdanov se rendait, pour sa part, en Turquie pour y rencontrer des représentants de l’opposition, et au Liban pour y rencontrer Hassan Nasrallah, avant de s’entretenir, à Damas, avec Bachar el-Assad.
Sur quoi devraient porter les négociations? Pour le secrétaire général du Hezbollah, certainement pas sur le sort du président syrien. Les attendus de la rencontre du 6 décembre dernier entre Nasrallah et Bogdanov, restés secrets jusqu’alors, commencent à filtrer. La rencontre ne se serait pas très bien passée, selon le quotidien saoudien al-Watan. Bogdanov aurait évoqué l’éventualité d’un départ du président syrien et son remplacement, dans la perspective de la formation d’un gouvernement syrien de transition, selon des sources citées par le journal. Le leader chiite aurait réagi énergiquement à cette proposition, faisant savoir à son interlocuteur que Bachar el-Assad était une «ligne rouge».
Est-ce le début du revirement de la Russie, évoqué depuis quelques jours dans les couloirs de la diplomatie? Moscou serait-il prêt à lâcher son indéfectible allié, Bachar el-Assad? L’existence de ces bruits revigore l’opposition syrienne, morcelée et laminée depuis plusieurs mois.
Front commun de l’opposition
A Genève 2, la Coalition nationale syrienne (CNS) s’était imposée comme unique représentante de l’opposition. L’approche russe lui a fait perdre son ascendant. Ses représentants conviés à Moscou devront partager leurs bancs avec d’autres opposants, de l’intérieur ou en exil. Après s’être déjà rencontrés au Caire à la fin de l’année, où ils ont élaboré le brouillon d’un projet de concertation, les membres de ces différentes formations se sont retrouvés à Dubaï, sans la CN. Etaient notamment présents aux Emirats: Mona Ghanem pour le Courant de la construction de l’Etat, Hassan Abdel-Azim et Haïtham Mannah pour le Comité de coordination national pour un changement démocratique, et Jihad Makdessi, ancien porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Tous conviés à Moscou.
Bachar maintenu, en attendant…
Un accord de principe en dix points portant sur la nécessité d’une transition démocratique, l’unité de la Syrie, la libération des prisonniers, l’accueil d’aide humanitaire et la composition d’une instance de pouvoir transitoire a été ébauché et sera encore en discussions ces prochaines heures au Caire. Les invitations russes ont été nominativement adressées. Moscou a choisi les interlocuteurs de l’opposition. Son but non affiché, minorer la présence de la Coalition nationale, qui a élu lundi un nouveau président, Khaled Khoja, qui a clairement annoncé à Istanbul que «le dialogue avec le régime souhaité par Moscou est hors de question». Nous ne pouvons pas nous asseoir à la même table que les représentants du régime (…) à moins que cela ne soit dans le cadre de négociations visant à parvenir à une transition pacifique et la formation d’un organe transitoire ayant les pleins pouvoirs».
Khoja l’a emporté avec le soutien des forces démocratiques et laïques, ainsi que celui des islamistes modérés. Son élection souligne le déclin de l’influence des Frères musulmans qui appuyaient son rival, Nasr Hariri. Ce dernier a recueilli 50 voix, contre 56 pour Khoja. Le premier Turkmène élu à ce poste a la réputation d’être plus indépendant des soutiens régionaux de la coalition que son prédécesseur, Hadi el-Bahra, proche des Saoudiens. Preuve de la méfiance des Russes à l’égard du nouveau président, l’invitation par Moscou de Hadi el-Bahra, à qui Khoja a succédé, et deux autres ex-chefs de la coalition, Moaz el-Khatib et Abdel-Basset Sida.
Le régime syrien, de son côté, devrait dépêcher outre le ministre Walid Moallem, le représentant de la Syrie à l’Onu, Bachar el-Jaafari, et les conseillères en communication du président Assad, Bouthaïna Chaaban et l’ancienne journaliste d’al-Jazeera, Louna el-Chebel.
Moscou a tout fait pour légitimer une nouvelle opposition syrienne qui serait tolérée par le régime et, dans l’autre sens, la Russie réfléchit à la possibilité de sauvegarder ce même régime, bouclier contre les islamistes, en y incorporant les composantes de l’opposition, voire en remplaçant Assad. La mise en place d’un organe de gouvernement transitoire, impliquant le retrait du président syrien, reste une condition intangible aux yeux de nombreux opposants. Or, la diplomatie russe semble avoir posé, comme principe, que la rencontre de janvier ne devait être assujettie d’aucune condition.
Aucune suite à cette rencontre, si elle devait s’avérer fructueuse, n’est pour l’heure arrêtée. Différentes options sont envisageables, y compris le lancement d’une nouvelle conférence sur la Syrie à Genève. La délégation gouvernementale, qui pourrait proposer de rapatrier les discussions en Syrie, devrait essuyer un refus. La route est encore longue.
Julien Abi Ramia
Les invités de Moscou
Sur le papier et à ce stade, les membres anciens et en exercice de la Coalition nationale syrienne (CNS) restent majoritaires parmi les invités. On relève, parmi ceux que Moscou a «sélectionnés», outre Hadi el-Bahra et Moaz Khatib, de la CN comme Badr Jamous, membre du Conseil national syrien (CNS) et ancien secrétaire général de la coalition, Abdel-Ahad Stifo, dirigeant de l’Organisation démocratique assyrienne, lui aussi membre du CNS et de la CN ou Walid el-Bounni, membre démissionnaire de la CN, qui avait été une figure de proue du Printemps de Damas et l’un des premiers signataires de la déclaration de Damas.
Pour la Coordination nationale pour le changement démocratique (CNCD) seront présents, en plus de Hassan Abdel-Azim, coordonnateur général pour l’intérieur, et de Haïtham Mannah, son homologue à l’extérieur, l’économiste Aref Dalileh et Mohammed Saleh Mouslim, président du Parti de l’union démocratique, aile syrienne du PKK d’Abdullah Ocalan.
D’autres personnalités ont été invitées comme Mona Ghanem, ancienne présidente de la très officielle Commission syrienne des Affaires familiales, aujourd’hui vice-présidente du Courant de la construction de l’Etat syrien, qui tentera de faire oublier l’absence de son initiateur, Louaï Husseïn, embastillé depuis quelques mois pour avoir pronostiqué un effondrement du régime syrien.
Washington entraînera les «modérés»
L’état-major américain a progressé dans son identification des rebelles modérés syriens et une mission d’entraînement de ces troupes pour lutter contre l’Etat islamique pourrait débuter au printemps, a indiqué, mardi, le Pentagone. Le général Michael Nagata, commandant des forces spéciales américaines au Proche-Orient, discute avec les groupes de l’opposition syrienne l’identification des combattants qu’il convient d’entraîner et d’équiper, a précisé le contre-amiral John Kirby, porte-parole du département de la Défense.
Barack Obama a autorisé la présence de plus de trois mille soldats américains pour conseiller et assister l’armée irakienne et entraîner douze brigades de cette armée, dont trois de combattants kurdes peshmergas. Le Pentagone espère être en mesure d’entraîner environ 5 000 rebelles modérés syriens par an sur une période de trois ans. La Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar ont proposé d’accueillir les camps d’entraînement de ces rebelles contre l’Etat islamique (EI).
Non aux visites «illégales»
L’ancien ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et le sénateur américain, John McCain, ont pénétré sans visa sur le territoire syrien, s’indigne Damas qui a adressé une protestation le 24 décembre dernier aux Nations unies. L’ambassadeur de Syrie cite aussi des visites de Peter Galbraith, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Croatie, en décembre 2014, et de Walid el-Tabtabai, ancien membre du Parlement koweïtien, en septembre 2013. Bachar Jaafari, représentant permanent de la Syrie à l’Onu, invite Ban Ki-Moon et le Conseil de sécurité à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils prennent «les mesures nécessaires contre leurs ressortissants qui ont pénétré illégalement» en Syrie. «Ces actes constituent une violation manifeste de la souveraineté syrienne et des résolutions du Conseil de sécurité (…)», ajoute-t-il dans sa lettre.