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Nº 2988 du vendredi 13 février 2015

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Les confessions de Joumblatt. «J’ai caché pendant quatre ans un espion soviétique»

Au sortir de la guerre, Walid Joumblatt a caché pendant quatre ans un agent double, le Suédois Stig Bergling, qui travaillait pour le compte de l’Union soviétique, à la demande du sous-directeur du KGB de l’époque. Une petite histoire dans la grande dont seul le leader du PSP pouvait être l’acteur principal.
 

«Quelqu’un un jour écrira ma biographie». Ainsi débute l’éditorial que le leader druze a publié le 5 février dernier dans les colonnes d’al-Anba’, le journal de son parti. Il l’a intitulé Moukhtara et la Guerre froide. En traversant les époques, Walid Joumblatt, au centre de tout, a dû accumuler un nombre incalculable de souvenirs qui ne demandent qu’à refaire surface. Celui qu’il tient à raconter lui-même est revenu en lisant le titre d’un article du New York Times: «Stig Bergling, un espion de la guerre froide dont la cavale est restée célèbre, meurt à 77 ans». Cet homme, Joumblatt l’a connu. Au début des années 90, les visiteurs de Moukhtara qui se rendaient au château se souviendront d’un homme blond, chaussé de lunettes, et de sa femme qui partageaient souvent la table du leader druze. Lorsqu’il l’introduit à ses hôtes, Walid Joumblatt le présente comme un ami, Roland Abbé, ingénieur agronome britannique. Mais son ami Roland s’appelle en réalité Stig Bergling et il l’a caché aux autorités suédoises de 1990 à 1994.
 

Chez Nehmé Tohmé
Comment Joumblatt en vient à dissimuler un espion soviétique? C’est lui qui raconte. En 1990, il reçoit à Moukhtara l’un des sous-directeurs que compte encore le KGB à cette époque, le général Vladimir Ismaïlov. Joumblatt se souvient d’un homme «extrêmement grand, aux cheveux rouges et à la moustache imposante». Ismaïlov est accompagné de l’un de ses assistants et d’un ami commun. Après cinq ou six verres de vodka, portés à l’amitié soviéto-libanaise aux couleurs du socialisme international, Ismaïlov demande au «camarade Walid» s’il peut mettre quelqu’un à l’abri. Il dira oui, sans hésiter. «Comment aurais-je pu refuser?», écrit Joumblatt. «Les Soviétiques nous ont fourni des centaines de bourses scolaires, formé des milliers de combattants du Parti socialiste sur leurs bases et nous ont équipés en armes et en munitions pour l’équivalent de 500 millions de dollars entre 1979 et la fin des années quatre-vingt, gratuitement».
Deux semaines plus tard, vint un homme, à la cinquantaine finissante, avec son épouse. C’était Stig Bergling et Elisabeth Sandberg. Ils ont été logés à l’étage supérieur de la maison du député Nehmé Tohmé. Le récit chronologique de Walid Joumblatt s’arrête brutalement en 1994 lorsque, selon ses dires, Bergling décide de fuir en Suède, alors qu’il se trouvait à Moscou. Comme ses excuses, un peu courtes, faites à la Suède et aux Suédois, l’histoire est un peu plus complexe que cela. «Il a fait beaucoup de mal à la Suède et à moi», écrit Joumblatt dans son éditorial.
Né le 1er mars 1937 à Stockholm, Stig Bergling intègre 32 ans plus tard, après avoir servi la police, la Säpo, la sûreté de l’Etat suédois, au sein de l’unité responsable du contre-espionnage visant les agents soviétiques en Suède. En 1971, il intègre l’état-major de la Défense et le département de la sûreté. Il s’occupera également des diplomates russes postés en Suède. Il compile plusieurs milliers de documents. Parallèlement à son travail en Suède, Bergling effectue plusieurs missions à l’étranger avec les Casques bleus. En 1972, il est affecté en Israël et au Liban. C’est là qu’il rencontre un agent des services du Renseignement de l’armée russe, Alexander Nikiforov. Bergling lui offre ses services. Il sera démasqué quatre ans plus tard et arrêté en Israël en 1979. Il est condamné à perpétuité, mais il réussit à s’évader en 1987, grâce à sa femme. Sa cavale, dirigée par l’URSS, l’emmènera jusque Moukhtara, dernière étape avant son retour volontaire en Suède où il a passé, après quelques années de prison, une paisible fin de vie.

Julien Abi Ramia

Le témoignage de Robert Fisk
Dimanche dernier, un autre ancien habitué des dîners de Moukhtara, le journaliste britannique Robert Fisk, apporte sa pierre à l’édifice. Le célèbre éditorialiste du quotidien The Independent raconte qu’il y a plus de vingt ans, Walid Joumblatt avait avoué à un diplomate suédois, au cours d’une réception à laquelle participait Fisk, qu’il avait effectivement et sciemment caché Stig Bergling. «Sur la pelouse de la maison ancestrale des Joumblatt, j’étais groggy. Joumblatt et le diplomate considéraient que c’était de l’histoire ancienne, une relique de la guerre froide», écrit Fisk. Joumblatt publiera une réponse bienveillante. 

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