Magazine Le Mensuel

Nº 2990 du vendredi 27 février 2015

general

Entre Aoun et Hariri. Plus que du pain et du sel

Alors que la situation locale et régionale ne cesse de se compliquer, la seule bonne nouvelle est venue de la rencontre entre le général Michel Aoun et le chef du Courant du futur, Saad Hariri. Le mercredi 18 février, date de l’anniversaire du chef du CPL, un dîner a regroupé les deux hommes. Mais entre eux, il y a bien plus que «du pain et du sel».

Les rares personnes qui ont été invitées au dîner donné par Saad Hariri en l’honneur du général Michel Aoun affirment qu’entre les deux hommes le courant (du Futur) passe très bien. Il est vrai que les expériences passées du général Aoun avec les Premiers ministres sunnites, de Fouad Siniora à Najib Mikati, et même avec Tammam Salam, ne sont pas très encourageantes. Et s’il devait faire un bilan, il dirait que c’est dans le gouvernement présidé par Saad Hariri que lui et ses ministres sont parvenus à faire avancer le plus de projets. Déjà, lors de leur rencontre à Rome, il y a plus d’un an déjà, ils s’étaient compris et avaient décidé de se lancer dans une coopération sur le plan gouvernemental, qui avait d’ailleurs permis la naissance du gouvernement actuel le 15 février 2014 et jeté les bases d’un dialogue qui ne s’est pratiquement jamais arrêté depuis. Le suivi était en effet effectué par le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, et par le chef du cabinet de Hariri, son cousin Nader. Il y a eu ainsi plusieurs échéances, qui ont permis de déceler une réelle coordination entre les deux parties, qui n’a pas toujours été mise en valeur par certaines figures chrétiennes du 14 mars et d’autres du Courant du futur lui-même. La nouvelle page dans les relations entre Aoun et Hariri s’est concrétisée dans l’invitation officielle qui a été adressée au chef du CPL par le chef du Moustaqbal pour assister à la cérémonie de commémoration de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. C’était la première fois en dix ans que le général Aoun était officiellement et personnellement invité à cette cérémonie et l’émissaire de Saad Hariri, l’ex-député Ghattas Khoury, a longuement insisté pour que le général accepte l’invitation. Aoun a d’ailleurs saisi l’importance de la démarche et a voulu faire preuve de bonne volonté en demandant à Gebran Bassil de le représenter à la cérémonie du Biel. Le général a préféré ne pas répondre personnellement à l’invitation, par crainte d’un éventuel débordement de la part d’éléments incontrôlés, même s’il est apparu par la suite que les organisateurs avaient strictement veillé à ce qu’il n’y ait aucun incident, limitant l’accès du Biel aux personnes munies d’un carton d’invitation. De plus, à l’arrivée du ministre Bassil, il y a eu des applaudissements, ce qui montre bien que les invités avaient été préparés à l’arrivée d’un représentant personnel de Michel Aoun.
 

Signes d’amitié
En réalité, le chef du Courant du futur a tout fait, au Biel, et quelques jours plus tard chez lui au centre-ville, pour multiplier les signes d’amitié à l’égard du général Aoun. Et, dans leurs cercles privés, les deux hommes ne tarissent pas d’éloges l’un sur l’autre. Pourtant, aucun d’eux ne reconnaît que le dossier présidentiel a été évoqué. Officiellement, au cours du fameux dîner et de l’entretien qui l’a précédé, il aurait été essentiellement question de l’action gouvernementale et de la meilleure façon de procéder pour que le Conseil des ministres puisse fonctionner sans que les Libanais oublient pour autant l’importance de la fonction présidentielle. Trouver un compromis sur ce sujet est essentiel, non seulement pour le pays dont les institutions sont mises en veilleuse, mais aussi pour Saad Hariri, qui souhaite transmettre un message fort à sa base. Celle-ci se plaint, en effet, et ses rivaux sunnites ne se privent pas de le rappeler, du fait que dans la formule actuelle, chaque ministre a autant de poids que le Premier ministre. Ce qui brade en quelque sorte les droits de la communauté aux yeux de ceux qui se veulent les farouches défenseurs des sunnites. En cette période de confusion, où la rue sunnite est souvent tentée par les courants extrémistes, Saad Hariri se passerait bien de ce genre de théories et il a besoin de l’aide des partenaires au sein du gouvernement pour améliorer le mécanisme de prise des décisions de façon à donner plus de poids au Premier ministre.
De l’avis de nombreux observateurs, Saad Hariri a aussi besoin de reprendre en main les rênes de son parti, après une longue absence au cours de laquelle les tiraillements se sont multipliés entre les diverses tendances et les nombreux chefs de file. Il doit ainsi reprendre à l’ancien Premier ministre Najib Mikati l’influence qu’il a gagnée au cours des derniers mois à Tripoli, mais aussi recadrer, dans son propre courant, le ministre de la Justice Achraf Rifi et le député Khaled Daher, mais encore l’ancien Premier ministre Fouad Siniora et le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk. De plus, selon des informations en provenance de Riyad, Saad Hariri a besoin de s’imposer au Liban et d’y faire ses preuves pour gagner la confiance des nouveaux dirigeants saoudiens. En réalité, il était surtout proche des fils du roi Fahd et de ceux du roi Abdallah, tous deux décédés aujourd’hui. En revanche, ses relations seraient minimales avec les deux nouveaux hommes forts du royaume saoudien: les princes Mohammad Ben Nayef et Mohammad Ben Salmane. Cela ne signifie certes pas que Saad Hariri n’est plus l’homme des Saoudiens mais, toujours selon les sources précitées, le schéma s’est inversé: avant, les Saoudiens lui fixaient son rôle au Liban, alors que désormais, c’est à lui de leur montrer ce dont il est capable. Pour cela, le soutien et la coopération du général Michel Aoun sont les bienvenus. D’autant qu’il s’est lancé dans un dialogue avec le Hezbollah contesté par une partie de la base sunnite. On entend souvent dire que c’est le Courant du futur qui fait les plus importantes concessions dans le cadre de ce dialogue, alors que le Hezbollah, lui, ne donne rien. Ceux qui contestent le dialogue citent, à titre d’exemple, le plan de sécurité à Tripoli et l’arrestation des «chefs des axes» à Bab el-Tebbané, la mise de l’ordre dans la prison de Roumié, qui met un terme à l’influence des petits caïds sunnites extrémistes, alors que de l’autre côté, le plan de sécurité dans la Békaa n’a pas permis d’arrêter des repris de justice qui ont eu le temps de s’enfuir. Dans certains milieux sunnites, la grogne monte donc et elle est alimentée par des parties ou des personnes qui ne souhaitent pas une reprise en main par Saad Hariri de la rue sunnite.

 

Sympathie mutuelle
Ce dernier n’a donc pas la partie facile et il avance sur un chemin semé d’embûches et de pièges de toutes sortes. C’est pourquoi une entente avec le général Aoun, qui a déjà prouvé qu’il tenait ses engagements, peut être précieuse pour lui. Elle l’est aussi pour le chef du CPL qui a aussi besoin de changer son image dans certains milieux sunnites et qui, s’il veut être président, doit forcément établir des liens cordiaux avec cette communauté.
Pour toutes ces raisons, la relation entre le général Aoun et Saad Hariri est, selon toute probabilité, appelée à se développer. D’abord, ils éprouvent apparemment de la sympathie l’un pour l’autre (c’est en tout cas ce que disent tous ceux qui ont assisté au fameux dîner du 18 février), mais plus important encore, ils ont besoin l’un de l’autre. Cet intérêt commun qui rejoint aussi l’intérêt national, le pays ayant plus que jamais besoin d’ententes à tous les niveaux et entre toutes les parties, peut constituer la base d’une coopération sur le long terme. A ce moment-là, il sera possible d’aborder la question de la présidentielle.

Joëlle Seif
 

Rencontre fortuite à Riyad
Michel Aoun et Saad Hariri ne s’étaient pas donné le mot. Ils se sont pourtant retrouvés au palais du roi Abdallah à Riyad pour présenter leurs condoléances aux membres de sa famille. C’étaient leurs premières retrouvailles depuis plus d’un an lorsqu’ils s’étaient rencontrés à Rome, la capitale italienne étant moins fréquentée par les Libanais que Paris, pour entamer un dialogue entre eux. Et c’est là qu’ils ont convenu de reprendre le contact, même si le dialogue, via leurs intermédiaires, n’avait pas été interrompu.

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