Magazine Le Mensuel

Nº 2997 du vendredi 17 avril 2015

Festival

Bipod inaugure sa 11e édition. Tarab, ou la continuité différenciée

Inauguré par sa nouvelle directrice artistique, Mia Habis, le festival Bipod a été lancé le 11 du mois par la performance Tarab de la compagnie 7273. Quand les corps entrent en transe…

Pour un public arabe, le titre même de cette performance peut, a priori, laisser dubitatif. Tarab, une entrée dans l’univers oriental dans ce qu’il a de plus spécifique, de plus sacré presque, cet état de transes dans lequel nous plonge immanquablement cette musique, d’autant plus que la performance se présente comme une cérémonie soufy-groovy. Encore plus de réticences pourraient redouter certains, encore plus intéressant pourraient penser d’autres.
Dès les premières minutes, Tarab suggère un entortillement du mouvement, dans la complexe simplicité d’arabesques esquissées par les bras, les jambes, le buste, la tête. Quelques minutes qui se prolongent face à une scène, plongée dans la semi-obscurité, sur laquelle une danseuse se contorsionne au cœur de son corps. Refermé sur soi et en même temps ouvert. Progressivement, elle sera rejointe par d’autres; ils sont sept danseurs au total, quatre corps féminins, trois corps masculins.
«Le mouvement s’effeuille en un flot ininterrompu qui ne se répète jamais». Sur papier, cette présentation suggère une notion qui semble difficile à imaginer à travers le corps des danseurs. Et pourtant, puissance de la chorégraphie et souplesse des interprètes, dans Tarab, il s’agit d’une continuité du mouvement, par opposition à la répétition. Les mouvements s’enclenchent, jamais vraiment identiques, jamais vraiment différents; une indéfinissable chose, un incernable geste qui, chaque fois, s’échappe, se libère, se ramifie, avant de fondre à nouveau dans l’ensemble. Le spectacle se coule indéfiniment au détour de cette continuité, couleuvre aux multiples ramifications, un cercle qui tourne, mais ne se referme jamais réellement. Les comparaisons pourraient facilement se succéder, épousant un tapis oriental flottant, une colonne vertébrale aux os articulés dans l’inconnu, un fourmillement rythmique et esthétique.
 

Et les corps muent
Fruit du travail créatif de la compagnie 7273, une collaboration scellée depuis 2003 entre les chorégraphes et danseurs Laurence Yadi et Nicolas Cantillon, Tarab, créé en 2013, est en quelque sorte le prolongement, le renouvellement de leur spectacle précédent Nil, en 2011. En se basant sur une musique inspirée par le Moyen-Orient et ses caractéristiques emblématiques, ils explorent et développent leur recherche chorégraphique autour d’un multi styles de danse, intitulé FUITTFUITT, qui consiste justement en cette continuité du mouvement, sans syncopes, sans répétition.
Sur une musique de Jacques Mantica, alliage parfait du groove des instruments à cordes, basse ou contrebasse, et d’une rythmique ornementale inspirée de l’essence de la musique orientale, les danseurs donnent corps à la mue d’un serpent, à peine une membrane qui s’écaille que l’autre naît aussitôt, émerge l’espace de quelques secondes, avant de se fondre à nouveau dans une autre mue… et le cercle reprend, jamais pareil, jamais semblable. La performance est loin toutefois de plonger le spectateur dans un jeu d’illusions, ce qui se passe sur scène est aussi réel que les sensations que cela engendre. Tout le corps est surpris par cet embrasement qui n’en est pas un; dès les premières minutes, le spectateur y est préparé, à son insu. Et c’est l’explosion finale; le chaos organisé du mouvement, l’éclatement du corps en une gestuelle de plus en plus ouverte, limitée, ondulante, de la collectivité et de la résurgence de l’individu, le souffle qui se devient son, la musique qui s’intensifie dans une rythmique de plus en plus restreinte, un état de transe, un état d’hypnose, au cœur d’un agencement qui reste sensiblement très urbain, où le groove se fait encore plus retentissant, et le spectateur se laisse submerger, immergé dans un état second.

Nayla Rached

Bipod se poursuit jusqu’au 26 avril, avec deux derniers rendez-vous, Exuvie de la compagnie Sine Qua Non Art et Flightless d’Elias Aguirre.

Relief/Expansion de Julien Maire
On se croirait facilement dans un cinéma des années 20-30, un cinéma où la bobine, en faisant défiler ses images fixes en continu, projette sur l’espace blanc des images animées, un film animé. C’est l’impression première dans laquelle s’immerge immédiatement le visiteur. Pourtant, l’exposition signée Julien Maire au programme de la 11e édition de Bipod est à la pointe de la technologie. Deux expositions en une, Relief d’une part, et Expansion de l’autre, la première réalisée avec 85 figurines imprimées avec la technologie d’impression, la stéréolithographie, et la deuxième donnant à voir des éléments métalliques en expansion et en contraction tout au long de l’un des murs de la salle Noha el-Radi du théâtre al-Madina. Entre la technologie et la fiction, le pouvoir de l’image.

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