A l’aube de soi est un livre qui traite du couple et des relations amoureuses, du silence qui le ronge et qui peut se transformer en violence insidieuse. Avec son écriture réaliste, Michèle M. Gharios revient sur des scènes de la vie conjugale sur fond de guerre libanaise. A savourer sans hésitation.
A l’aube de soi retrace la naissance d’un amour dans l’enfance et l’adolescence, puis la période de la vie conjugale qui a suivi, vécue comme une descente en enfer du fait de la violence du mari. Cette histoire est-elle véridique?
En fait, en écrivant ce roman, je me suis inspirée de l’actualité, des faits sociaux… J’ai rencontré des personnes soumises à la violence, qu’elle soit physique ou morale. Désormais, dans nos sociétés, on commence à dénoncer cette violence, alors qu’elle a longtemps été un sujet tabou. Je me suis inspirée également de la culture et de l’environnement dans lesquels je baigne. C’est un roman fictif ancré dans l’actualité. Une partie de cette fiction revient sur les premiers pas d’un amour entre un garçon et une fille, sa cadette de quatre ans. Autant lui est secret et fuyant, autant elle est gaie et joviale. Leur relation s’étale dans la durée. Les coupures éloignent les deux tourtereaux jusqu’au jour où ils entament une vie à deux entre Beyrouth et Paris. C’est alors que la vraie nature de l’homme commence à se révéler, emportant le couple dans une spirale d’où il est difficile de se dégager. Il s’avère être, au fil des jours, un homme complexe, distant, incernable, indifférent aux sentiments de sa compagne et au fait qu’il puisse nuire au bien-être de la femme qui partage sa vie.
A quelles conclusions êtes-vous arrivée concernant la situation de la femme, notamment au Liban?
Les barrières commencent à tomber et on parvient à dénoncer le statut de la femme. Mais il reste beaucoup à faire, dépendamment du milieu social où nous vivons. En écrivant ce roman, j’ai pensé à toutes ces femmes dont on a lu le nom dans la presse et qui n’auront pas la possibilité de découvrir l’histoire. Une prise de conscience de la violence silencieuse est nécessaire pour changer les choses. Ce roman pourrait y contribuer. Personne ne doit obédience à personne dans la vie. Chacun se doit de respecter l’autre. Hélas, ceci n’est pas le cas. L’éducation aux racines de nos sociétés est à revoir. Normaliser l’autorité que l’homme exerce sur la femme est inacceptable.
Comment sort-on de l’emprise d’un conjoint violent?
On apprend à dire non, à s’imposer, à exister par soi-même. Un couple ne doit pas être construit sur la crainte de l’autre. La femme doit refuser d’être un objet entre les mains de son conjoint et de passer toujours au second plan. A l’ère où l’information voyage si rapidement, la balle est dans son camp. A elle d’exiger un changement. Après tout, personne n’offre à personne ses prérogatives. Et même si cette phrase de Simone de Beauvoir «Les femmes se forgent à elles-mêmes les chaînes dont l’homme ne souhaite pas les charger» ne correspond pas à la réalité, il me plaît de penser le contraire pour avancer. En fait, le thème de la violence est un thème universel et il est temps que les choses changent. Cela fait si longtemps que la femme porte le poids de la culpabilité, depuis Eve et la pomme qu’elle a croquée!
L’histoire se déroule sur fond de guerre. Cette violence qui a sévi – et sévit toujours – sur le plan national est-elle un catalyseur de la violence dans un couple?
Une partie du roman se situe pendant la période de la guerre. Elle imprègne les personnes qui baignent dedans, mais aussi celles qui y assistent. En effet, si la violence est subie réellement, elle peut également marquer en la vivant à distance, maintenant que tous les événements bénéficient d’une couverture en direct. Je pense que tout le monde est victime directement ou indirectement de la violence ou des conflits des autres. Cela dit, la guerre engendrerait peut-être la violence, il faut interroger les psychologues à ce propos. Si la guerre explique la violence à l’échelle personnelle, elle ne la justifie pas pour autant. La violence et la tyrannie ne doivent plus être excusées: dénonçons-les dès aujourd’hui.
Propos recueillis par Danièle Gergès
Michèle Gharios en bref
Michèle Gharios est née à Beyrouth où elle a toujours vécu. Auteur de deux recueils de poèmes, Apartheid et Collier d’air, de trois cahiers de prose poétique, Ombre, Vivier et Clichés de guerre, ainsi que d’un premier roman, L’odeur de Yasmine, elle a également contribué à plusieurs recueils collectifs. Amoureuse de son pays, elle ne se prive pas moins de revendiquer le droit au spleen d’après-guerre et à ses répercussions sur la vie. A l’aube de soi est son second roman.