Magazine Le Mensuel

Nº 3005 du vendredi 12 juin 2015

Spectacle

The third circle. La religion menace-t-elle l’art?

Présentée le 5 juin au théâtre Tournesol, The third circle est une performance, chorégraphiée et musicale, conçue par Nancy Naous et Waël Kodeih, qui s’interroge sur la direction que pourrait prendre l’art s’il était régi par la charia. Un défi relevé!

Un besoin de comprendre, de questionner l’état du monde, l’état de l’art de plus en plus muselé dans les pays islamiques par les lois de la charia. Nancy Naous et Waël Kodeih se sont lancé ce défi. Résultat: la performance The third circle présenté au public libanais, lors d’une soirée unique, le 5 juin, au théâtre Tournesol. Et le résultat est percutant: les armes s’inversent, si on peut effectivement parler d’armes, la logique se construit, se déconstruit pour se reconstruire.
Quelle direction prendrait l’art s’il suivait les lois de la charia? Comment la musique et la danse trouveraient-elles leur expression si elles étaient conditionnées par la charia? Questionnements que Naous et Kodeih ont pris comme le point de départ et l’action centrale de ce projet qui a abouti à The third circle. Abouti dans l’impact réel du verbe, au bout de tant de recherches, d’explorations, d’entrevues avec des hommes de religion. Munis d’une vidéo donnant à voir des extraits d’une chorégraphie signée Nancy Naous sur une musique de Waël Kodeih, ils ont recueilli leurs témoignages sur la manière dont cette pièce artistique aurait pu être créée pour être conforme aux lois islamiques. Avant d’entrer dans la salle, l’audience est invitée à visiter l’installation. Sur le mur, est projetée la vidéo qui a été montrée aux hommes de religion, d’un côté leurs réponses et explications imprimées, et de l’autre côté leurs réponses enregistrées. Chacun y va de son explication, de son interprétation, de son expérience, emmêlant les mots danse et séduction. avec cette impression que tout est noyé dans un flot de discours discontinus. Le public s’installe, la salle reste éclairée. La performance débute sous forme de conférence. Dalia Naous, Hanane el-Dirani (qui remplace Nancy Naous) et Waël Kodeih s’adressent tour à tour au public. Ils racontent des histoires qui semblent se situer entre l’hier et l’aujourd’hui. Les histoires s’emmêlent, emmêlant le port du voile, l’envie de danser, de faire du théâtre, la conviction, le passé, le présent, l’affranchissement des règles établies par la famille, la possibilité de se divertir, de s’amuser, malgré les croyances… Une présentation qui fait entrer le spectateur dans un monde à la fois individuel et collectif.
L’argumentaire commence, ni didactique, ni tranchant. Ni questions claires, ni réponses claires. Une démonstration implacable. Chaque mouvement, chaque son, est morcelé, décortiqué, divisé, subdivisé, en ébauches de mouvements, en ébauches de sons. Mouvement 1: mouvement 1.1, mouvement 1.2, mouvement 1.3… mouvement 2… mouvement 3… Opération mathématique ou formule académique, implacable et froide, tout comme l’est le ton des performeurs. La danse n’en est plus une, elle n’est plus que déconstruction du corps et des gestes qu’il est capable d’accomplir. La musique n’en est plus une, elle n’est plus que vibration de l’air en des sonorités isolées et construites. Apparemment du moins, c’est ce qui semble en advenir de ces deux expressions artistiques. Une complète déconstruction.
Et pourtant, et pourtant… les mouvements du corps deviennent danse, les sonorités agencées deviennent musique. Parce qu’après le démembrement, il y a un remodelage. Les mouvements s’agencent l’un à la suite de l’autre, toujours de manière implacable et froide, toujours de manière mathématique et académique, division, ajout, répétition… tantôt lentement, tantôt rapidement… Idem en ce qui concerne les sonorités, qu’elles soient tirées de la nature, comme ce perpétuel gazouillis d’oiseau, ou qu’elles émergent d’instruments de musique ou de machines électroniques… Gloire à la Beauté. Et les retrouvailles sont scellées avec le concept de la charia qui cherche également à rendre gloire à la Beauté. Le défi est hautement relevé. Superbement relevé, et tombent, comme un couperet fatidique, les séquences musicales finales, rendant gloire à Dieu. Pourtant rien n’a été clairement dit, tout a été démontré, dévoilé. Révélé.

Nayla Rached

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