Magazine Le Mensuel

Nº 3012 du vendredi 31 juillet 2015

Hommage

Aline Lahoud: de tous les combats

Aline Lahoud, diplômée en Sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, fait ses premières expériences de journaliste dans les pages de l’hebdomadaire Magazine de 1957 au début des années soixante-dix.  Elle fut l’une des pionnières femmes journalistes.

A l’époque, l’hebdomadaire, le premier imprimé selon la technique offset encore inconnue au Liban, entamait à peine son long itinéraire. Les premiers reportages signés par Aline Lahoud décrivaient la société de Beyrouth. Elle évoquait, à travers sa vision des nuits de la capitale, un monde avide de vivre. Ainsi s’adressant aux noctambules, qui remplissaient les boîtes de nuit, elle écrit comparant ces dernières aux trésors d’Ali Baba: «Trésors d’optimisme parce que vous êtes persuadés que vous allez vous amuser follement. Trésors d’inconscience parce que vous oubliez dans votre euphorie, l’heure H de l’addition». Ces piques acerbes qui réjouissaient les lecteurs. Les moindres détails y étaient rapportés avec tant d’acuité et de précision que, même une vingtaine d’années plus tard, on retrouvait l’image du Beyrouth des années soixante, la vie nocturne des jeunes et des moins jeunes.
Ses enquêtes et reportages avaient une portée particulière. Ainsi, à titre d’exemple, sa vision de la capitale et de la circulation pourrait être écrite aujourd’hui. «Circuler en taxi à travers l’invraisemblable dédale de la circulation beyrouthine revient, pour tout dire, à une épreuve de force entre ce taxi et le destin», écrivait-elle, en mars 1957. Ses rencontres avec les diplomates étrangers étaient, en 1957, une rubrique innovante. On retrouve dans les pages de Magazine, les portraits de Donald Heath, ambassadeur des Etats-Unis, de Grèce, de Turquie et de bien d’autres.
En revenant toujours à nos archives, nous avons retrouvé des titres d’enquêtes qu’on croirait trouver dans l’actualité: «Les prix montent par l’ascenseur, les salaires par l’escalier»; «Inconscience de la chambre: 22 fous criminels amnistiés» ou encore «L’affaire boiteuse du Parlement: le million de la discorde». Ces sujets remontent à 1969.
Certains de ses enquêtes et de ses articles sont restés dans la mémoire des lecteurs par leur caractère dénonciateur et la force de ses attaques. On peut citer, entre autres, celle réalisée au Casino du Liban et dans laquelle elle accuse son président, Victor Moussa, de mauvaise gestion et plus encore. Un article qui avait fait couler beaucoup d’encre et a suscité des polémiques pendant longtemps. D’autres sujets et d’autres faits relevant de la justice, traités par Aline Lahoud, avaient fait beaucoup de bruit.
Soutenue par Magazine, elle n’a guère ménagé ni craint la mafia et ses chefs dont Garo, un fugitif arménien qu’elle réussit à rencontrer dans les dédales de sa cachette. Artine el-Asmar, autre mafioso de l’époque, est tombé sous sa plume. Le tout accompagné de quelques griffes adressées, au passage, à certains magistrats.
Les drames qui se sont déroulés dans la région ou dans le monde n’ont pas échappé à son intérêt. C’est ainsi qu’on peut retrouver dans les pages de Magazine des articles dignes de romans policiers. Pour ne citer que certains de la fin des années soixante allant de l’assassinat de Sharon Tate, dont avait été accusé Roman Polanski qui avait fait la «Une» de la presse étrangère, au tragique incendie meurtrier d’al-Aksa, au rapt du Boeing de la TWA, jusqu’au raid sur le siège de l’OLP, autant d’événements qu’Aline Lahoud avait traités à la manière des polars. Son style ne s’était jamais démenti. Toujours acerbe et caustique.
 

Mouna Béchara
 

L’ultime ouvrage
Il serait trop long de revenir sur une carrière entamée à Magazine où elle s’est fait connaître par ses écrits dénonciateurs et toujours pertinents. Très peu de journalistes de l’équipe actuelle de Magazine ont connu ou connaissent Aline Lahoud, décédée le 22 juillet 2015, des suites d’une longue maladie qui l’a obligée à disparaître du monde des médias et que seuls ses proches et ses amis intimes ont continué à voir. Sa sœur Nay Lahoud Merheb avait, elle aussi, connu l’hebdomadaire, pour avoir collaboré à l’administration de Magazine. Après un long passage à la Revue du Liban, et une période pendant laquelle elle avait renoncé au journalisme, Aline a voulu laisser à ses lecteurs un dernier ouvrage. Une autobiographie publiée sous le titre Aigre-doux.

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