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Nº 3012 du vendredi 31 juillet 2015

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Là où le temps commence et ne finit pas de Gisèle Kayata Eid. «L’universalisme des sentiments humains»

Entre le Canada et le Togo, entre le curé Thomas et Martine, la neige et la brousse, l’attrait et la répulsion, une histoire d’amour, d’intérêts et d’humanisme, Là où le temps commence et ne finit pas. Gisèle Kayata Eid présente son premier roman.

«La voiture rugit dans le silence de la nuit et Martine reste là, comme giflée». La querelle vient d’éclater entre elle et le curé Thomas, les deux personnages principaux. L’intrigue démarre avec la mise en place du nœud, l’introduction des personnages, l’histoire qui avance entre flash-back et action présente jusqu’au dénouement final. «L’écriture romanesque nécessite une approche différente». Et même si Gisèle Kayata Eid a déjà à son actif trois essais (Accommodante Montréal,
Cris…se de femmes, Kibarouna, dialogue avec nos aînés) et publie régulièrement des «coups de cœur» en forme de chroniques Consommation.Inc dans L’agenda culturel, il lui a fallu approcher un tout autre «modus operandi» pour ce 1er roman qu’elle publie à compte d’auteur.
Elle a donc assisté à des ateliers d’écriture, s’est richement documentée à propos du roman «qui doit être planté quelque part. Ça ne peut pas être une simple histoire d’amour. Pour accrocher le lecteur, on doit lui apporter du nouveau, à travers une situation qui lui est intéressante, un monde qui n’est pas à sa portée. Je me suis dit, j’ai un terreau, inventons une histoire».
Le terreau, c’est le Togo, un séjour qu’elle y a effectué en 2013, en accompagnant une ONG sur le terrain, comme journaliste, observatrice affûtée comme l’exige la profession. Ce qu’elle a vu, ce qu’elle a vécu, semble lui être resté en travers de la gorge. Il lui fallait, comme une urgence presque, trouver un moyen pour raconter! Les personnes qu’elle a interviewées, les endroits qu’elle a visités, les histoires qu’on lui a racontées… autant d’éléments vus et vécus qu’elle a complétés, après son retour, en se documentant, en suivant l’actualité du Togo sur le Net, en interviewant des Togolais vivant au Canada…
«Il y a beaucoup de problèmes avec les nouvelles religions, c’est un raz de marée, toutes sont emmêlées. Les Africains sont ouverts à toutes les religions, mais ils sont encore foncièrement attachés à leurs croyances païennes», d’où par exemple leur manière de percevoir la place du curé, comme quelqu’un qui apporte la science. «On se croirait au début du XXe siècle!». Certains éléments dans le livre, en effet, peuvent sembler invraisemblables pour le lecteur, tel l’exorcisme qui est encore pratiqué, tout comme certains titres de journaux qui sont rapportés…
Pourtant, tout ce qui est raconté est vrai. Gisèle Kayata Eid l’a vu, l’a entendu, l’a vécu. «En Afrique, tout est paradoxal. Tout le livre est basé sur ces paradoxes», entre l’Afrique et le Canada, incarnés respectivement par le curé Thomas et Martine, et l’impossibilité de l’histoire d’amour qui les lie et les divise. Parce qu’ils campent deux mentalités, deux sociétés différentes, mises face à face avec leurs a priori respectifs, et que l’auteur présente sans jugement, conséquence d’une vision à la fois canadienne et libanaise du Togo.
Gisèle semble avoir pris tellement de plaisir à écrire son roman. Tout sourire et le regard brillant, elle se plaît à revenir sur cette aventure, cette expérience nouvelle où il fallait avant tout planter les personnages, leur façonner une personnalité et sentir, frisson du plaisir, «qu’à un moment donné, ils t’échappent. Ces personnages que tu as créés, tu les places certes dans des situations précises, mais tu dois les faire réagir en fonction de leur personnage, de la personnalité que tu leur as imaginée». Impression de lecture, les personnages principaux semblent s’enfermer chacun dans son caractère extrémiste, jusqu’au-boutiste, alors que paradoxalement le conflit repose sur un malentendu, un quiproquo. «C’est peut-être pour cette raison que j’ai senti le besoin de créer une évolution quelconque en déplaçant l’histoire d’amour vers les personnages secondaires, Carole et Kossi».
Au fil de la rencontre, en discutant de son «enfant» qu’est ce roman, elle évoque ses personnages comme des personnes qui existent dans la vie, chacune avec son passé, sa blessure, ses envies… et l’écriture comme un processus qui se déchiffre, palier après palier, découverte après découverte, comme un écho à la phrase de Jung placée en exergue: «Ce qu’on ne peut savoir de soi-même finit par arriver de l’extérieur comme un destin».
«L’intérêt de ce livre est de montrer qu’en chacun il y a une part d’ombre et une part d’humain. Chacun s’est découvert», ajoute Gisèle. Le lecteur, qui est pris d’emblée par la sensation prenante du «choc des cultures», une fois le livre fermé, se rend compte qu’au-delà de tout, l’humanisme qui transparaît apporte une certaine balance, un équilibre à l’ensemble et peut sauver les protagonistes, chacun à sa manière. En faisant passer un message, des messages à travers chacun de ses personnages, Gisèle a voulu transmettre «l’universalisme des sentiments humains».

Nayla Rached

La signature aura lieu le 1er août, à la galerie Surface libre, de 18h à 20h, avant de vous donner rendez-vous au prochain Salon du livre francophone de Beyrouth.

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