Magazine Le Mensuel

Nº 3014 du vendredi 14 août 2015

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Attentats en Turquie. La revanche de l’EI et du PKK

L’offensive lancée par Ankara contre l’EI (Etat islamique) et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) a provoqué une contre-réaction. La Turquie est victime, le lundi 10 août, d’un processus continu d’attentats violents, dont l’un revendiqué par un groupe d’extrême gauche.

Depuis plusieurs jours, la Turquie est placée en état d’alerte, une prise de position qui s’est avérée prudente, puisqu’une série d’incidents a frappé le pays dès l’aube du 10 août.
A Istanbul, l’explosion d’un véhicule provoquée par un kamikaze devant un commissariat du quartier de Sultanbeyli, sur la rive asiatique du Bosphore, a causé la mort d’au moins dix personnes dont trois policiers. Selon l’agence de presse Dogan, outre le kamikaze, deux militants, présentés par la police comme auteurs présumés de l’attaque et également membres du PKK, ont été tués. Une bataille rangée a ensuite opposé les assaillants à la police toute la nuit.
La série d’attentats ne s’achève pas là. En effet, quelques heures plus tard, le consulat américain à Istanbul est témoin d’une fusillade qui éclate devant le bâtiment très protégé, situé dans le quartier d’Istinye, sur la rive occidentale du Bosphore. Il s’agit de deux femmes qui ont ouvert le feu sur le consulat, l’une d’elles, blessée, ayant été arrêtée par la police. Cette femme de 42 ans, prénommée Hatice Asik, n’est autre qu’une militante du DHKP-C (Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple), selon l’agence officielle Anatolie. Le parti a confirmé l’identité de Hatice Asik sur son site Web et revendiqué l’attaque, assurant que «la lutte continuera jusqu’à ce que l’impérialisme et ses collaborateurs quittent notre pays et que chaque pouce de notre territoire soit libéré des bases américaines». Ce groupe radical avait déjà revendiqué, en 2013, un attentat suicide contre l’ambassade des Etats-Unis à Ankara, qui avait fait un mort. Il est considéré proche du PKK par le pouvoir turc.
Jean Marcou, professeur à Sciences-Po Grenoble et spécialiste de la Turquie, explique, dans une interview accordée à France 24, qu’«il s’agit d’un groupe qui fait partie de cette nébuleuse d’extrême gauche en Turquie qui perdure malgré la répression et a commis au cours de ces dernières années plusieurs attentats de ce type en s’attaquant généralement à des intérêts américains, comme les ambassades ou les consulats. Depuis la politique antiterroriste qui a été engagée en juillet par le gouvernement turc, ses militants ont été poursuivis et certains arrêtés, comme d’ailleurs ceux de l’EI et du PKK. Le groupuscule se réveille et refait parler de lui. Mais il n’y a pas de preuves que le DHKP-C ait mené ses actions de façon coordonnée avec le PKK».
Nous sommes maintenant en fin de matinée, dans le district de Silopi dans la province de Sirnak, frontalière de l’Irak et de la Syrie, où un troisième attentat a lieu. Une attaque également attribuée aux rebelles du PKK, selon les médias locaux.
 

Un contexte de forte tension
La tension ne cesse de monter avec l’intensification de la campagne du gouvernement contre la guérilla du PKK et le déploiement en Turquie des chasseurs F-16 de l’armée américaine dans le but de combattre l’EI. Le pays avait effectivement mené une série d’arrestations et de bombardements contre le PKK et des partis d’extrême gauche et Ankara s’était également engagé dans la lutte contre l’EI en donnant le feu vert à l’armée américaine d’utiliser ses bases aériennes situées à proximité de la frontière pour mener des frappes en Syrie. Les raids d’Ankara, ayant ciblé des militants du PKK dans le nord de l’Irak, ont provoqué la mort de près de 400 rebelles. Dimanche, et pour la première fois, les Etats-Unis ont déployé des chasseurs F-16, ainsi qu’un contingent de 300 militaires. Avec les encouragements des Etats-Unis à accentuer la lutte contre l’Etat islamique et après un long moment de «neutralité», la Turquie n’a pas manqué de changer de position notamment à la suite de l’attentat suicide de Suruç, au sud, qui a eu lieu le 20 juillet, provoquant la mort de trente-deux personnes. Cet attentat avait, en effet, été attribué au groupe extrémiste. A l’ombre de ces événements, un haut responsable du PKK, Cemil Bayik, avait affirmé, lundi, à la BBC, que la Turquie tentait de protéger l’EI en combattant son ennemi juré, le PKK. «Ils le font pour affaiblir la lutte du PKK contre l’EI. La Turquie protège le groupe EI», avait-il déclaré.

Natasha Metni
 

En «guerre contre le terrorisme»
Afin de légitimiser ses actions menées contre le PKK, Ankara avait annoncé, à la suite de l’attentat suicide du 20 juillet, qu’il allait mener «une guerre contre le terrorisme». Prévue dans le cadre de l’accord avec la Turquie signé le 29 juillet dernier, cette manœuvre doit permettre à la coalition engagée contre le groupe Etat islamique de mener des raids aériens contre les objectifs jihadistes en Syrie et en Irak. L’accord entre les deux Etats membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) vise à établir une zone, d’environ 80 kilomètres de long et 25 kilomètres de large, débarrassée de Daech. L’amélioration de la stabilité de la région peut favoriser le retour du 1,8 million de réfugiés syriens installés en Turquie. Or, si les Etats-Unis ne soutiennent pas complètement Ankara sur ce point, ils ne s’y opposent pas vraiment. Le PKK est classé par les Etats-Unis et par l’Union européenne comme une organisation terroriste. Toutefois, les combattants du parti, qui aident le parti frère syrien PYD, affrontent au nord de la Syrie et en Irak les jihadistes avec le soutien de la coalition internationale montée par Washington contre l’EI. «D’où l’embarras croissant de l’Administration américaine vis-à-vis des autorités turques qu’elle appelle à mener une «réponse proportionnée» aux attaques du PKK sans pour autant les désavouer», selon les spécialistes. Pourtant, ces attaques vont à l’encontre du processus de paix amorcé à l’automne 2012 par des négociations directes entre des représentants du président islamo-conservateur turc, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, et le leader emprisonné du PKK, Abdullah Ocalan, condamné à perpétuité. Ce dernier avait appelé en mars 2013 à un cessez-le-feu et à miser sur la lutte politique.

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