Au cœur du quartier Monot, une bombe explose, mettant fin à la vie d’une vieille dame, âgée de 90 ans. Six personnes sont suspectées, dont un Français qui a eu le «malheur» de décider de rentrer au Liban. Un Liban qui a perdu sa culture, sa richesse et sa propreté. C’est ainsi que, dans la pièce de Betty Taoutel, intitulée Masrah el-jarima, une grande partie de la situation libanaise actuelle est remise en question.
Oui, Betty, le Liban n’est plus ce qu’il était il y a plus de quarante ans. Peu de place pour la culture, pour la littérature, pour l’art et pour le théâtre. «Grâce» à la guerre et aux politiciens qui régissent «en toute conscience» notre très cher pays, le Liban a désormais, depuis 1975, ouvert grand ses portes à la corruption, aux sales affaires d’argent, à la démagogie et à la manipulation. Au pays du Cèdre, plus on avance en années, et plus on recule dans le temps. Une fatalité irréversible? On ne le saura jamais… Du moins, pas pour le moment… «L’absurdité totale de ce qui se passe dans le pays», ainsi que «la fermeture progressive de nombreuses salles de théâtre à Beyrouth, voire leur mort», constituent les deux thèmes principaux qui ont incité Betty Taoutel à écrire cette pièce. C’est en mettant en scène six personnes suspectées, pour des raisons absurdes, d’avoir placé la bombe dans la rue Monot et détenues dans un commissariat que Betty Taoutel accuse les responsables d’avoir défiguré et transformé le Liban en un dépôt d’ordures, de malfaiteurs et d’ignorants. Peignant cette partie de la vie libanaise politique, économique et sociale dont Betty Taoutel dénonce les travers, Masrah el-jarima tourne en dérision une multitude de situations, de mœurs, de caractères et de propos dont nous sommes les témoins quotidiennement.
Le spectateur ne peut que se retrouver dans au moins un des dix personnages présents sur scène. Les caractères sont variés et les différents archétypes symbolisent les multiples catégories du peuple libanais. En effet, le vieux propriétaire représente, d’une part, la génération qui a vécu la guerre et qui en souffre jusqu’à aujourd’hui, et incarne, d’autre part, le problème actuel de la loi sur les anciens loyers; la propriétaire du parking du théâtre se voit obligée d’user de tous les moyens (quels qu’ils soient) pour attirer la clientèle et se trouve dans la nécessité d’occuper plusieurs postes de travail (comme la plupart des Libanais) pour s’autosuffire; le couple formé d’un acteur de théâtre et de sa copine doit se rencontrer en cachette, ses parents allant à l’encontre de cette relation, cet acteur ayant lui-même sauvé la situation (à la fin de la pièce grâce à sa culture théâtrale); l’homme qui promène son chien constitue le miroir du citoyen victime, que l’Etat condamne injustement; la moukhtara du quartier, c’est Madame je-sais-tout et je-n’épargne-personne; la «psychiatre» le jour et fille de joie la nuit, qui a réussi à séduire le commissaire, en apparence bourreau et despotique mais qui, face aux autorités, n’est pas même capable d’élever la voix; le policier qui croit que la force des muscles résume le pouvoir et, finalement, l’architecte français d’origine libanaise ayant tenu à rentrer au Liban dans le but de faire une recherche sur les salles de théâtre beyrouthines et de retrouver sa grand-mère, l’une des premières comédiennes au Liban, et qui s’avère à la fin de la pièce n’être autre que la célèbre Souad Karim à laquelle Betty Taoutel a voulu rendre hommage.
Natasha Metni
Mobilisation sociale à l’étranger
La pièce de Betty Taoutel met également en relief l’effet de la mobilisation sociale européenne comme conséquence d’un quelconque «mal» qui atteint ou qui pourrait atteindre un des leurs. Le chercheur français ayant été arrêté, c’est l’ambassade de France au Liban, les médias, ainsi que le président de la République française qui en sont alertés, ce sont des protestations gigantesques qui se font dans toute la France, ce sont les Libanais qui sont traités de «terroristes», c’est le président de la République libanaise et les responsables politiques qui se hâtent de «corriger» cette erreur et de jouer la comédie pour donner une image «juste» du Liban. C’est dans ce sens que l’acteur de théâtre a monté tout un scénario afin de «sauver la situation» et de réduire, autant que possible, les dégâts causés par une classe politique irresponsable.