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Nº 3025 du vendredi 30 octobre 2015

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Moscou I en préparation. Après les Sukhoï, Poutine lance la diplomatie

Moins d’un mois après le lancement des frappes russes, Vladimir Poutine passe désormais à l’offensive diplomatique. Réunion quadripartite à Vienne, visite de Bachar el-Assad à Moscou, proposition d’un plan de sortie de crise et contacts tous azimuts avec les dirigeants des pays impliqués, la Russie se veut plus que jamais indispensable à une solution en Syrie.

Après le lancement de son offensive militaire aérienne en soutien au régime de Bachar el-Assad, c’est désormais sur le plan diplomatique que Moscou entend bien imposer sa marque. Et son rythme. Alors que ces derniers mois, tout espoir de négociation d’une sortie de crise semblait relégué aux calendes grecques, la semaine qui vient de s’écouler a témoigné d’une activité diplomatique intense.
Vladimir Poutine a d’abord pris tout le monde de court, en recevant le président syrien Bachar el-Assad à Moscou, le 20 octobre, pour quelques heures d’entretien effectué tambour battant, mais surtout destiné à relayer un message. Le président syrien n’est plus isolé dans son palais de Damas et, surtout, le régime syrien – au-delà de la personnalité même de Bachar – demeure une clé essentielle à toute solution politique.
A l’issue de cette rencontre éclair, le député russe Alexandre Iouchtchenko, annonce que Bachar el-Assad est «prêt à organiser des élections avec la participation de toutes les forces politiques qui veulent que la Syrie prospère». Avec un bémol toutefois, puisque ce scrutin ne serait possible «qu’une fois la Syrie ‘‘libérée’’ des jihadistes du groupe Etat islamique». Pas prêt pour autant à sortir du jeu, le président syrien a bien l’intention d’y participer, «si le peuple n’y est pas opposé», apprend-on encore, de la bouche du député.
 

Un format inédit
Trois jours plus tard, c’est à Vienne que se joue le deuxième acte. Une réunion inédite rassemblant les ministres des Affaires étrangères de la Russie, des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et de la Turquie est organisée, pour la première fois depuis le début du conflit syrien. Un format jamais vu pour cette rencontre qui illustre surtout le rôle central que Moscou a réussi à s’attribuer depuis le début de sa campagne de frappes aériennes, le 30 septembre dernier. Et de fait, la Russie s’avère, aujourd’hui, le seul acteur capable de parler à toutes les parties inhérentes au conflit, à savoir l’Arabie saoudite, la Turquie, les Etats-Unis et la France, farouchement opposés au maintien du régime, comme à l’Iran, allié stratégique de Damas. Rien ne filtre vraiment des discussions, preuve que les pourparlers en sont encore à leur démarrage. Vladimir Poutine avait, la veille – sans doute pour faire grimper les enchères –, rappelé que «l’objectif des Etats-Unis était de se débarrasser d’Assad», fustigeant le double jeu des Occidentaux qui prétendent lutter contre le terrorisme, alors qu’ils le confortent en larguant des armes destinées aux rebelles. Le chef du Kremlin a en revanche soutenu que son «but est de vaincre le terrorisme (…) et d’aider le président Assad à revendiquer la victoire contre le terrorisme». Autrement dit, faire place nette. Poutine a noté l’absence de «résultats tangibles» des milliers de raids menés par la coalition internationale patronnée par Washington. De dures critiques qui sont parvenues à infléchir la position américaine, qui tolère désormais un calendrier négociable pour le retrait d’Assad, sans en faire la condition sine qua non à toute négociation. Même l’Arabie saoudite et la Turquie ont, semble-t-il, mis de l’eau dans leur vin, puisqu’elles admettent, toutes deux, la mise en œuvre d’un processus de transition incluant Bachar el-Assad. Seuls les Européens, France et Allemagne en tête de pont, continuent de s’opposer à l’implication d’Assad dans une transition politique.
Alors que la réunion quadripartite se tenait à Vienne, un accord-surprise de coopération entre la Russie et la Jordanie – pourtant traditionnellement alliée aux Américains – est annoncé.
En guise de bilan à ce premier round de négociations, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a souligné que les Russes «n’ont pas de monopole». «Nous avons déclaré, dès le début et à la fin des discussions, que la participation de ces quatre pays ne suffit pas pour garantir un soutien efficace des négociations inter-syriennes. Il ne s’agit pas d’élargir sans cesse notre groupe, mais il serait bien s’il comprenait une douzaine d’Etats et d’organisations». Autrement dit, n’exclure personne, comme cela avait été le cas lors des négociations de Genève I et II. Selon Lavrov, devraient figurer autour de la table, les membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, l’UE, l’Allemagne et les pays clés de la région: l’Arabie saoudite, la Turquie, mais aussi l’Egypte, l’Iran, le Qatar, les Emirats arabes unis et la Jordanie. La Ligue arabe et l’Organisation de la coopération islamique pourraient aussi se joindre aux discussions.
L’agitation diplomatique se poursuit, les deux chefs de la diplomatie russe et américaine, Sergueï Lavrov et John Kerry, restant en contact quasi permanent, pour évoquer, selon la diplomatie russe, «les modalités d’organisation d’un processus politique entre le gouvernement syrien et l’opposition».
Une opposition justement que la Russie tente de convaincre. Dans un entretien accordé à la chaîne Rossiya 1 dimanche, Sergueï Lavrov a déclaré que Moscou est «prêt à soutenir aussi l’opposition patriotique, y compris la prétendue Armée syrienne libre (ASL), depuis les airs», l’essentiel étant pour lui, «d’approcher les gens qui peuvent les représenter et représenter les groupes armés qui combattent le terrorisme». Des déclarations qui ont suscité un tollé dans les rangs de l’opposition, qui accuse Moscou d’orienter ses raids aériens principalement sur des groupes rebelles en Syrie, et non sur Daech uniquement.
Un refus qui ne semble toutefois pas définitif, si l’on en croit le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, qui déclarait lundi que plusieurs groupes disant appartenir à l’ASL s’étaient déjà rendus à Moscou. Dimanche, les représentants du Front de salut national, l’une des branches de l’opposition syrienne, s’étaient déclarés prêts à engager un dialogue avec Moscou, au Caire. Fahad el-Masri, coordinateur du groupe et fondateur de l’ASL, a ainsi indiqué, depuis Paris, que celle-ci était prête à dépêcher une délégation de haut niveau aux futures négociations.
Peu à peu donc, les participants à une future négociation se mettent en place. Moscou paraît avoir un plan établi qui porterait essentiellement sur la constitution d’un gouvernement d’union nationale, incluant membres du régime et personnalités de l’opposition et l’organisation d’élections présidentielles à échéance de 18 mois.
Quant à la France, écartée de la réunion de Vienne, comme Berlin d’ailleurs, elle tente par tous les moyens, de revenir dans le jeu. Mardi, une réunion regroupant «les principaux partenaires de la région», selon le Quai d’Orsay, était organisée par Laurent Fabius, en réponse visiblement à l’initiative russe. Les ministres des Affaires étrangères des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Arabie saoudite, de la Jordanie ou encore de la Turquie étaient attendus. Sans l’Iran et la Russie. Laurent Fabius, que l’on dit sur le départ, a annoncé qu’il s’agit de «trouver une solution politique au conflit syrien et de faire le nécessaire pour empêcher le régime de Bachar el-Assad de bombarder les civils». On ignore si la Russie, devenue pourtant incontournable sur ce dossier, a été invitée ou pas. Interrogé sur la présence éventuelle de Sergueï Lavrov, Fabius a répondu par la négative, arguant qu’il «y aura d’autres réunions où nous travaillerons avec les Russes».
Sur le terrain, les contre-offensives, menées conjointement par l’armée loyaliste, l’Iran et le Hezbollah avec le soutien aérien des Russes, se poursuivent. Avec des résultats qui restent encore à prouver. Selon l’agence de presse russe Sputnik, les loyalistes seraient parvenus à occuper des positions stratégiques au nord du pays, dans la région de Salma, à la frontière avec la Turquie. L’offensive se poursuivrait également à proximité de Qoneitra, sur le plateau du Golan occupé, où les loyalistes auraient infligé de lourdes pertes aux jihadistes.
En revanche, les combattants de l’Etat islamique ont annoncé, vendredi 23 octobre, avoir coupé un axe vital vers Alep, privant le régime de la dernière route d’approvisionnement vers les quartiers qu’il contrôle dans cette ville. Daech tiendrait une portion de 6 à 8 kilomètres de la route reliant Hama à Alep, entre les localités de Khanasser et Ithriya, et aurait pris le contrôle de huit barrages tenus jusque-là par l’armée d’Assad. La bataille qui se tient autour d’Alep, très violente, promet de s’éterniser encore. Malgré l’aide apportée à Assad par ses alliés, la rébellion oppose une résistance farouche dans les provinces d’Idlib et de Hama, ainsi qu’autour d’Alep. Les combats auraient provoqué, selon les Nations unies, un nouveau flux de déplacés, puisqu’au moins 120 000 personnes auraient fui les provinces d’Alep, Hama et Idlib, depuis début octobre.

Jenny Saleh
 

Emissaire US contre Daech
Brett McGurk, 42 ans, serait selon le président américain Barack Obama, l’un de ses meilleurs conseillers sur l’Irak. C’est lui qui a été choisi pour être le nouvel émissaire de Washington dans la lutte contre l’Etat islamique. McGurk travaillait depuis septembre 2014 aux côtés du général John Allen, qui dirige la coalition internationale contre Daech. Sa mission, fixée par Obama, sera d’agrandir la coalition et d’intensifier les efforts pour détruire le mouvement jihadiste. Une tâche loin d’être aisée maintenant que deux coalitions aux intérêts divergents se partagent le ciel syrien et peut-être irakien. L’une des premières missions de McGurk consistera d’ailleurs à dissuader, selon la revue Foreign Policy, les Irakiens de laisser les Russes utiliser leurs bases pour lancer des frappes en Syrie. Dans le même temps, l’activité de la coalition internationale contre Daech paraît comme suspendue. Alors que les Russes pilonnent chaque jour de nouvelles cibles, aucun raid de la coalition n’a été enregistré depuis le 22 octobre. Une accalmie due, selon le Pentagone, au fait que «Nous demandons à nos services de renseignements des cibles que nous pouvons frapper sans causer de dommages civils et nous n’en avons eu aucune ces derniers jours».

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