Il est difficile de réfléchir aux tenants et aboutissants des attentats terroristes de Paris et de Beyrouth sans avoir l’air de donner des leçons, alors que le sang des victimes innocentes est encore sur la chaussée et que la tristesse et la colère restent fortes. Mais les familles et les proches de ceux qui sont tombés sous les balles et les bombes des fanatiques veulent certainement comprendre pourquoi et comment cette tragédie les a frappés. Tous les autres souhaiteraient être rassurés que cela ne se reproduira plus jamais.
Comment en est-on arrivé là?
Une série d’erreurs d’analyse, de mauvais jugements et de paris dangereux, faits par des puissances régionales et internationales, combinés à une bonne dose d’incompréhension et d’ignorance du phénomène hyper-jihadiste incarné par l’organisation de l’Etat islamique, sont à l’origine des événements qui secouent le monde aujourd’hui. Comme l’a martelé, au lendemain des attentats de Paris, le juge français antiterroriste Marc Trévidic, «pendant trois ans, on a laissé grossir un monstre», sans réaliser la mesure du danger ou, parfois, en tentant d’en minimiser la gravité. Par cynisme, par complicité ou par bêtise, ceux qui possèdent les gros moyens militaires et financiers sur la planète n’ont rien fait, ou pas assez, contre Daech. Certains ont pensé qu’ils pouvaient instrumentaliser cette organisation dans le cadre du rééquilibrage des rapports de force régionaux. Beaucoup ont estimé que la lutte contre l’EI n’est pas une priorité et son cantonnement pouvait intervenir à n’importe quel moment, dès qu’une décision sera prise en ce sens. D’autres ont jugé Daech une «plaisanterie» ou un «grand mensonge», qui ne mérite même pas un commentaire. On connaît les résultats de ces impardonnables erreurs de jugement: Daech contrôle aujourd’hui un territoire de 180000 kilomètres carrés, administre une population estimée à 7 millions d’habitants et possède une armée de plus de 100000 hommes et non pas entre 15000 et 30000 soldats, comme continuent de l’affirmer certains experts et médias de mauvaise foi.
On ne peut pas combattre efficacement l’EI sans essayer de comprendre comment réfléchissent ses chefs. Et leur façon de réfléchir n’entre dans aucun schéma traditionnel. Cette organisation s’estime en guerre permanente contre tous ceux qui n’adhèrent pas à ses thèses et ne prêtent pas allégeance à son «calife», fussent-ils des jihadistes de la première heure. Ses actions militaires répondent uniquement à cette logique, sans prendre en considération leurs possibles conséquences politiques. Comment expliquer, sinon, qu’elle s’attaque en même temps aux chiites, aux Kurdes, aux rebelles syriens, aux autres minorités? Comment comprendre qu’elle prenne des initiatives au risque de se mettre à dos les puissances occidentales, les monarchies du Golfe, la Russie, l’Egypte et, plus récemment, la Turquie? L’EI est en guerre contre le monde tout entier et ne reculera devant rien pour faire avancer son projet d’étendre le califat aussi loin qu’arriveront ses armées.
Cette guerre totale nécessite une riposte globale, qui passe impérativement par une conjugaison des efforts, une coordination de l’action, une mise en commun des moyens et un échange de renseignements, entre tous les acteurs susceptibles de jouer un rôle dans cette confrontation. Une redéfinition des priorités est, forcément, incontournable.
Dans le même temps, il faut assécher le terrain fertile, qui permet à l’EI de se développer et de croître. Des solutions doivent être trouvées aux crises syrienne et yéménite, l’Irak doit réformer son système pour assurer une plus grande participation des sunnites au processus de prise de décision et le Liban doit être durablement stabilisé.
A Vienne et au G 20, les puissances internationales et régionales ont exprimé leur volonté de stopper la guerre syrienne. Au Liban, le chef du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, propose une «solution globale» à tous les problèmes du pays. Ces déclarations de bonnes intentions ont maintenant besoin de mécanismes pour être concrétisées. Il faut les imaginer le plus vite possible, car plus le temps passe, plus Daech se renforce.
Paul Khalifeh