Magazine Le Mensuel

Nº 3029 du vendredi 27 novembre 2015

HORIZONS

Libanais à Paris. «Il ne faut pas céder à la peur»

Moins d’une semaine après le carnage de Paris, et alors que l’état d’urgence est prolongé de six mois, Magazine a rencontré quatre Libanais vivant dans la Ville lumière. Quel est leur état d’esprit? Se sont-ils adaptés? Envisagent-ils de revenir au Liban? Témoignages.
 

Joy, en France depuis 6 ans
«N’arrêtez pas de vivre»
«Le soir des attaques, je regardais le match France/Allemagne chez des amis. En chemin, j’avais reçu un appel me disant de faire attention car une fusillade avait lieu dans le XIe arrondissement. A ce moment, je ne me doute pas de l’ampleur des événements, mais je pense plutôt à un règlement de comptes. Ce n’est qu’à la fin du match, après avoir reçu plein de messages, que je comprends réellement ce qui se passe. Sur le moment, ce sont la douleur et la tristesse qui m’envahissent.
J’étais inquiet aussi de lire un nom familier sur la liste des victimes. Je n’arrêtais pas de penser à une chose: l’ampleur de la catastrophe qui a été évitée au Stade de France. J’étais supposé y être, j’ai changé d’avis à la dernière minute.
Je n’aurais jamais imaginé, tant pour l’attentat à Beyrouth que pour celui de Paris, devoir adresser le genre de messages que j’envoie à ma famille et mes proches…
Des personnes de mon entourage ont été blessées, ce qui m’a aussi plus touché que si j’avais assisté aux événements de loin. Cela fait forcément réfléchir. On ne peut pas éviter de penser à la catastrophe du vendredi même si on le voulait: on fouille nos sacs partout où on va et il y a des policiers armés jusqu’aux dents. Beaucoup autour de moi sont inquiets et ont peur, car ils n’ont jamais vécu ce genre de situation et cela est triste. Ça me fait de la peine de voir que mes deux pays souffrent et qu’aucun des deux n’est épargné par la violence. Je pense, avant tout, à toutes les victimes et à leurs familles.
Aujourd’hui, je n’ai pas forcément peur, parce que je suis malheureusement habitué à ce genre d’événements. Mais ce serait mentir de dire que tout est comme avant le 13 novembre. Je ne prends pas non plus de précautions particulières, car comme on l’a vu ce soir-là, n’importe qui peut être touché. A part rester cloîtré chez soi, je ne vois pas ce qu’on peut faire.
Je ne pense pas que je serais plus en sécurité au Liban. Nous savons tous qu’il peut se passer n’importe quoi à n’importe quel moment dans notre pays. Cependant, les attentats qui se sont produits là-bas ont souvent été plus ciblés. La nouveauté dans le drame du 13 novembre à Paris, au-delà de l’ampleur des atrocités commises, c’est que tout le monde peut être visé, n’importe qui aimant la vie. Ma mère m’a dit quelque chose, il y a quelques jours, qui m’a profondément marqué: «Je m’inquiétais pour ton père ou pour ta sœur, et j’étais rassurée parce que toi, au moins, tu étais en sécurité. Maintenant, je dois m’inquiéter pour toi aussi».

Rania, en France depuis 24 ans
«Etre plus attentif»
«Contrairement à ce que beaucoup disent, c’est plus une guerre qu’un attentat. Pour avoir vécu la guerre, ce qui s’est passé, vendredi 13 novembre, y ressemble vraiment. J’ai vécu des attentats et cela jusque dans ma propre famille. Mais cette fois, c’est différent. Un attentat c’est lorsque l’on vise quelque chose en particulier, une personne, un symbole. Cette fois, on a mitraillé des gens. C’est bien une guerre, et je pense qu’ils ne vont pas s’arrêter là.
Depuis, j’ai changé certaines de mes habitudes. Je n’irai plus dans les centres commerciaux, ni dans les quartiers trop fréquentés, j’ai trop peur qu’ils recommencent. Au niveau des transports, je ne prends plus ni le RER ni le métro, sauf dans des cas de nécessité absolue. Je préfère être prudente. Certes, beaucoup de gens courageux et forts partout vivent comme si de rien n’était. Je ne partage pas leur point de vue. Au Liban, de tels gens remplissent les cimetières.
Malgré tout, je me sens plus en sécurité en France, je ne regrette pas d’y être venue. Je trouve cependant que les mesures de sécurité ne sont pas suffisantes. Je ne comprends pas comment l’attaque du Bataclan a été possible. Nous sommes placés sous un plan Vigipirate qui n’a pas empêché ces hommes d’entrer. Il devrait y avoir plus de sécurité! En France, les gens ne sont pas assez prudents, surtout dans le métro. Moi, quand j’entre dans une rame, je regarde automatiquement sous le siège pour vérifier qu’il n’y a rien de suspect. Il faut que les gens soient plus vigilants, car cela n’est pas uniquement de la responsabilité des autorités. Il faut faire attention à ses voisins, sans pour autant tomber dans la paranoïa. Chacun devrait surveiller ce qui se passe, rapporter les comportements anormaux… cela aiderait».

Amal, en France depuis 26 ans
«Ils ne nous auront pas»

«J’étais surprise et choquée par les attaques, je ne m’y attendais pas. On n’y est jamais préparé. Même si on a entendu des menaces planer sur la France, c’est toujours un choc. Ce soir-là, j’étais au Peninsula avec des amis lorsque mon mari, qui travaille à l’étranger, m’a appelée pour me prévenir. J’ai mis la télévision sur mon téléphone et j’ai vu ce qui se passait. J’ai immédiatement appelé ma fille qui était à Paris pour lui demander si tout allait bien et mon fils m’a même appelé de Londres en me demandant de ne pas bouger de là où je me trouvais. L’amie avec qui j’étais ne voulait pas sortir, elle était tétanisée. Moi, je voulais partir, car je me suis dit que même si les attaques avaient lieu à côté, elles ne le seraient pas immédiatement et que nous pouvions rentrer tranquillement. Cela m’a fait penser au Liban pendant la guerre où, quand il se passait quelque chose à Tripoli, nous continuons tout de même à vivre à Beyrouth…
Après coup, j’ai réalisé que ce n’était pas la même chose qu’au Liban où c’était la guerre, avec les bombardements, les abris, les voitures piégées, mais une fois que c’était fini, c’était fini, et on passait à autre chose, on reprenait notre train de vie. Ici à Paris, avec les informations en continu, c’est un stress permanent, c’est angoissant. Il y a quelques années, j’ai fui le Liban pour être en sécurité à Paris. Cela a été un déchirement. J’ai mis deux ou trois ans à m’adapter, mais même si je n’avais pas voulu partir je ne regrette rien. Je me sens plus en sécurité ici. Le Liban est un pays en guerre, une guerre qui ne prend pas fin depuis 40 ans… Avec ce qui s’est passé à Paris, beaucoup d’annonces ont été faites et cela me rassure, mais cela ne m’empêche pas d’être prudente. Je ne me rendrai pas dans des centres commerciaux ou dans un bâtiment qui représenterait une sorte «d’institution», un symbole que les terroristes pourraient prendre pour cible. Je n’ai pas peur, ils ne nous auront pas!

Nader, en France depuis 3 ans
«Se rappeler des valeurs»
Le soir des attentats, j’étais à Lille avec des amis. Nous venions d’arriver au restaurant quand les premières informations sont tombées. Au début, je pensais que ce n’était qu’un cas isolé mais, au fur et à mesure, j’ai compris que c’était beaucoup plus grave. Nous étions censés sortir, mais nous sommes finalement rentrés, scotchés devant la télévision. J’ai appelé mes amis parisiens, dont certains se trouvaient justement dans le XIe arrondissement à une fête de l’ESCP, non loin des attaques. Une fois qu’on sait que ses proches sont en sécurité, on est tout de suite rassuré. Sur le moment, il ne s’agit pas d’avoir peur, mais plutôt de s’assurer que ses proches vont bien.
Je dois dire que j’étais quand même étonné lorsque j’ai appris les attaques car, au Liban, et je n’aime pas dire cela, c’est plus fréquent. Et puis ce n’était pas ciblé, il ne s’agissait que de civils! Une semaine auparavant, j’avais déjeuné au Petit Cambodge, le restaurant n’étant pas loin de l’ESCP. J’ai aussi des amis qui habitent rue Charonne, dans le XIe. Ce sont des rues et un quartier que je connais très bien. Cela m’a donc touché davantage et on se sent très concernés.
En revanche, je ne prends pas plus de précautions que par le passé. Il y a des gens qui disent que parce qu’ils sont libanais, ils sont habitués à cela. Je ne suis pas d’accord, on ne devrait pas dire cela car cette situation ne devrait pas être normale. Il ne faut pas céder à la peur, il faut continuer. Je me sens en sécurité à Paris et je ne regrette pas d’y être. De nombreuses mesures ont été prises pour calmer les esprits. L’état d’urgence, les soldats partout etc., mais il ne faut pas penser à court terme, cela n’est qu’une partie de la solution à apporter. Il faudrait, par exemple, plus de mesures visant à intégrer certains individus, au niveau de la culture, de l’éducation. Il y a eu beaucoup de laxisme dans le passé. Ces mesures, qui sont certes nécessaires, ont été prises en réaction aux attaques, mais il faut faire plus. Cependant, un trop-plein de sécurité reviendrait à changer notre mode de vie. Cela peut être contre-productif, car en essayant de protéger un certain mode de vie, on peut aussi le détruire…
Je pense qu’il faut toujours se souvenir des valeurs. La question qu’il faut se poser est: «Que cherche-t-on à défendre»?

Marguerite Silve, Paris

La traque des terroristes continue en France et en Belgique
Quinze jours après les attentats du 13 novembre, l’enquête se poursuit en France et en Belgique. La Belgique qui retrouve tout juste un semblant de vie normale. Tout le week-end jusqu’à mardi, les habitants de Bruxelles ont retenu leur souffle, alors que le niveau d’alerte était maintenu à son maximum, à l’heure où nous écrivions. De nombreuses perquisitions ont eu lieu dans les milieux islamistes radicaux belges, se soldant par 21 interpellations de personnes ayant été en rapport avec les auteurs des attentats de Paris.
En France, l’enquête se poursuit. Salah Abdeslam, suspecté d’avoir eu au moins un rôle logistique dans les attaques, était toujours en fuite. Mardi soir, une ceinture d’explosifs, qui aurait pu lui appartenir, a été retrouvée dans une poubelle, à Montrouge, un quartier périphérique de Paris.
Il apparaît que quatre des auteurs des attaques de Paris sont français, tandis que deux, sans doute de nationalité syrienne, sont entrés en Europe via la Grèce en octobre. L’identité de ces derniers, kamikazes du Stade de France, n’a pas encore été avérée, tout comme celle du troisième kamikaze du Bataclan.

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