Magazine Le Mensuel

Nº 3030 du vendredi 4 décembre 2015

En Couverture

Les chrétiens et la présidentielle. Unis dans la négation…

Que des voix sunnites s’élèvent contre l’éventuelle candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, à la présidence de la République ne représente aucune surprise. Mais lorsque la principale opposition vient des chrétiens eux-mêmes, unis pour une fois contre la candidature du leader zghortiote, des points d’interrogation se posent autour de la position des principales factions chrétiennes et leur relation avec le leader du Liban-Nord.
 

Une chose semble certaine, aucune partie n’a l’intention d’affirmer clairement ses positions tant que l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, n’a pas déclaré officiellement la candidature de Frangié. Cette attitude a d’ailleurs pris de court le leader druze Walid Joumblatt, qui se préparait à annoncer le retrait de la candidature d’Henri Hélou en faveur de Frangié.
Que le ministre de la Justice, Achraf Rifi, ait eu une conversation houleuse avec Saad Hariri, le menaçant de présenter sa démission du gouvernement et de se retirer du Courant du futur, ne surprend personne. Quant aux propos de l’ancien député de Tripoli, Misbah Ahdab, adressés à Hariri, affirmant que «la dignité des sunnites ne vous appartient pas pour que vous en disposiez», ils s’inscrivent aussi dans le même contexte. Mais lorsque le parti Kataëb, supposé servir de couverture chrétienne principale au compromis et à la candidature de Sleiman Frangié, se rétracte et réclame des garanties internationales, que celui-ci ne serait pas un président au service du Hezbollah et de l’axe dont il relève, des interrogations s’imposent. Rappelons que le président des Kataëb, Samy Gemayel, avait déjà annoncé, à l’issue de la visite que lui avait rendue Sleiman Frangié, une surprise pour bientôt. Il semble que Gemayel était, dès le départ, tenu au courant du compromis en gestation. Au cours d’une visite à Maarab, le vice-président du parti Kataëb, Salim Sayegh, a affirmé: «Quelle que soit la décision prise, elle ne peut que s’inscrire dans le cadre des principes et des constantes du parti dont le respect de la Constitution». Il a aussi rejeté la loi électorale de 1960.
Pour les Kataëb, Frangié représenterait une planche de salut qui les empêcherait de se dissoudre dans le faible espace chrétien qui subsiste après le partage de la scène entre le Courant patriotique libre (CPL) et les Forces libanaises (FL). Le leader zghortiote les sauverait également de la mise à l’écart dont ils font l’objet de la part de leurs alliés au sein du 14 mars. Aux yeux des Kataëb, convaincus que le but de Michel Aoun et Samir Geagea est d’engloutir le parti, Frangié serait le meilleur des candidats. La force des liens que le jeune président des Kataëb a tissés avec le chef des Marada pourrait avoir des retombées positives sur la situation qui se profile. Ce rapprochement pourrait être également interprété comme une réaction à l’entente entre le CPL et les FL, faite à l’insu des Kataëb.

 

Dans l’attente de Aoun
Mais c’est surtout vers Rabié que les regards se dirigent pour connaître la réaction du général Michel Aoun, toujours candidat à la présidence. A l’issue de la réunion du Bloc du Changement et de la Réforme, Aoun a déclaré n’avoir pas encore été informé de quoi que ce soit de manière officielle et ne pas vouloir commenter des informations véhiculées par la presse. Des sources proches du CPL soulignent que le général aurait demandé aux députés de son bloc de ne pas alimenter la polémique, affirmant, qu’en définitive, nous appartenons tous à une seule famille. Selon ces sources, les propos de Aoun étaient positifs au point qu’il a surpris ses proches. Toutefois, ce sont les déclarations du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, qui ont jeté de l’huile sur le feu lorsqu’il a évoqué le «remplacement de l’authentique par l’alternative». Des propos que Bassil s’est hâté de clarifier, disant qu’il ne visait pas Sleiman Frangié, estimant que tout leur camp est authentique. Les sources de Rabié précisent que le CPL a plus d’une mauvaise expérience avec les promesses haririennes et qu’il ne se laissera pas entraîner dans des spéculations sur des questions qui ne semblent pas sérieuses. Pour ces sources, la candidature de Frangié n’est pas un fait nouveau et celui-ci a toujours affirmé qu’il serait candidat, après le général.
Au cours de la visite de plus de deux heures de Sleiman Frangié à Gebran Bassil, le député de Zghorta aurait informé le chef du CPL de la teneur de son entretien avec Hariri à Paris. Il lui aurait dit qu’il était candidat à la présidence, mais qu’il n’irait pas au bout de cette candidature s’il n’obtenait pas l’accord du général Aoun. Selon des sources informées, Frangié aurait assuré à Bassil qu’il n’accepterait jamais d’être une nouvelle cause de division entre les chrétiens et qu’il refuse d’être le représentant d’une seule partie de ces derniers. Ces sources rapportent également que Frangié n’accepterait pas que Hariri revienne au pouvoir sans aucune contrepartie, c’est-à-dire sans une loi électorale moderne. Au cours de la rencontre de Paris, Hariri aurait fait part de son désir de conserver la loi de 1960, de garder le service des renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI), mais qu’il n’aurait pas d’inconvénient à ce que le général Aoun obtienne le nombre de portefeuilles ministériels qu’il souhaite. Quant aux sources proches des Marada, elles confirment que des contacts ont lieu tous azimuts. Elles soulignent que pour Sleiman Frangié, rien n’est encore réglé et que la route est encore semée d’embûches. Mais une chose est sûre, c’est que personne ne peut porter atteinte à la relation de Frangié avec Aoun.

 

Le niet des Forces libanaises
Quant à la position des Forces libanaises, elle a été clairement exprimée par le député Fady Karam qui a affirmé que le docteur Samir Geagea ne peut pas appuyer la candidature de Sleiman Frangié, car les deux ne se retrouvent sur aucun dossier ni sur une vision stratégique nationale.
Il est fort probable qu’une rencontre ait lieu prochainement entre Aoun et Geagea pour évaluer la situation et établir une coordination entre eux. C’est dans ce sens que s’inscrit la visite de Melhem Riachi à Rabié en présence de Gebran Bassil et Ibrahim Kanaan. Selon certaines informations, l’une des conséquences de la rencontre de Paris et en cas de l’élection de Frangié à la présidence de la République, serait le renforcement de la déclaration d’intentions entre le Courant patriotique libre et les Forces libanaises et la transformation de celle-ci en une véritable alliance. Certains même penseraient que l’un des buts non déclarés du compromis de Paris serait de cerner Samir Geagea et de mettre un terme à l’expansion de son influence. Ce dernier serait en voie de se retourner contre la loi de 1960 et d’appuyer une nouvelle loi électorale qui lui permettrait de se libérer de l’emprise du Courant du futur.

Joëlle Seif
 

Feuille de route chrétienne?
Des observateurs relèvent que les chrétiens font face actuellement à de grands défis dont ils devraient assumer les conséquences en établissant entre eux une feuille de route et en définissant clairement l’échelle de leurs priorités. Il faudrait, selon les observateurs, que les chrétiens s’unissent, non pas dans la négation et le refus, mais pour pouvoir imposer un oui. Les chrétiens doivent reprendre l’initiative, aussi bien au niveau de l’élection présidentielle qu’à celui de la loi électorale.
La crise à laquelle les chrétiens font face a plus d’un visage. Il y a d’abord la relation des chrétiens entre eux, minée par le poids des intérêts de chacun et de leurs alliances, ainsi que leurs relations avec leurs autres partenaires, qui ne prennent pas en considération les intérêts des chrétiens. Le Courant patriotique libre et les Forces libanaises ont réussi à marquer un point en faisant adopter la loi sur la récupération de la nationalité.
Pourtant, selon des spécialistes, il s’agirait d’une victoire illusoire. Ce qui a été réalisé se réduit en fait à alléger les formalités, qui existaient déjà tout simplement, malgré les tentatives de faire passer cette démarche pour un véritable exploit pour les chrétiens.
A moins que le but de cette loi ne soit d’encourager les entrepreneurs d’origine libanaise à investir au Liban. Il faudrait alors songer plutôt à leur assurer un climat sain et une stabilité politique et sécuritaire.

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