Alors que les contrats d’exportation devaient être finalisés la semaine dernière, l’Etat de Sierra Leone a accusé la société Hova, sélectionnée par le gouvernement libanais pour l’exportation des déchets, d’avoir produit un faux document selon lequel il acceptait de recevoir les déchets libanais. Un recours en justice qui met hors course la société néerlandaise et retarde encore l’exportation des déchets.
Depuis son annonce le 21 décembre dernier, l’exportation des déchets n’en finit plus de susciter l’indignation et la controverse. Le gouvernement libanais, qui devait finaliser les contrats d’exportation vendredi 8 janvier, s’est heurté à un nouveau coup de théâtre. La semaine dernière, l’Etat de Sierra Leone aurait porté plainte contre le gouvernement qui a accepté «un faux document selon lequel il aurait donné son approbation pour recevoir les déchets libanais».
Car les deux entreprises chargées de la sous-traitance de l’opération, la britannique Chinook et la néerlandaise Hova, devaient présenter une garantie bancaire et des papiers prouvant l’approbation des pays destinataires afin de pouvoir finaliser les contrats.
Selon une source proche du dossier, la compagnie Hova aurait ainsi présenté un «faux document» de la part de l’Etat de Sierra Leone garantissant qu’il acceptait de recevoir les déchets libanais.
La question de la conformité du Liban avec la convention de Bâle sur le transport des déchets transfrontaliers était, en effet, sur toutes les lèvres depuis l’annonce par le gouvernement d’exporter des ordures. Comment le pays pouvait-il choisir cette option en contradiction avec une convention dont il est lui-même signataire?
Cette dernière impose des conditions très strictes et une procédure assez longue pour l’envoi de détritus d’un pays à un autre. Le Liban devait ainsi, pour pouvoir exporter ses déchets, prouver notamment que l’Etat destinataire accepte de les recevoir.
Toujours selon cette convention, un pays ne peut pas exporter des déchets dangereux ou toxiques. Cela signifie que le gouvernement prévoyait d’exporter les déchets à venir, autrement dit ceux qui pouvaient être valorisés, sans prévoir de solution pour les milliers de tonnes de déchets amoncelés dans les rues depuis plus de six mois et donc potentiellement toxiques.
Pas d’appel d’offres
Le flou demeurait également sur la manière dont les deux entreprises avaient été sélectionnées par le gouvernement puisqu’aucun appel d’offres n’avait été lancé.
«Comment le gouvernement a-t-il pu accepter un papier magouillé?», s’indigne Raja Noujaim, coordinateur général de la coalition de lutte contre le plan gouvernemental.
Selon l’activiste, le choix même de ces deux sociétés par le gouvernement montre que ce dernier prend le dossier des déchets «à la légère» et préfère fonctionner par «copinage» au lieu de lancer un véritable appel d’offres en s’appuyant sur un cahier de charges précis.
«Il y avait au moins six entreprises libanaises sérieuses capables de traiter les déchets, ils ont choisi une entreprise britannique Chinook, spécialisée dans l’incinération et la production d’énergie et qui n’a ainsi absolument pas les compétences pour traiter les ordures amoncelées dans les rues depuis six mois. Pour le transport, ils ont choisi la néerlandaise, qui a aujourd’hui été mise de côté pour les problèmes judiciaires que l’on connaît».
«Pas pour demain»
La compagnie britannique Chinook devrait ainsi prendre en charge l’ensemble de la procédure d’exportation: du traitement au transport des déchets.
Raja Noujaim et l’ensemble des activistes insistent: «Ces contrats d’exportation sont illégaux et au-dessus des lois». Au-delà de la convention de Bâle, un Etat est responsable des déchets qu’il produit et ne peut sous-traiter cette responsabilité.
«Le ministre (Akram) Chéhayeb et le Conseil de développement et de reconstruction (CDR) sont une seule et même clique, qui n’ont aucune intention de perdre la main sur la région de Beyrouth et du Mont-Liban. Ils sont prêts à tout et à n’importe quoi pour conserver cette mainmise», martèle l’activiste.
Même analyse pour Olivia Maamari, responsable du programme environnement auprès d’arcenciel. «Je ne crois pas du tout que l’exportation des déchets soit prête à commencer».
Selon l’experte, pour que l’exportation ait lieu, «il faudrait expédier les déchets libanais vers un pays qui a les moyens de les traiter, soit un pays développé comme la Suède ou un Etat européen. Mais jusqu’à présent, il est très peu probable que ces derniers acceptent nos ordures dans l’état».
Selon Olivia Maamari, il faudrait traiter au préalable les ordures pour qu’un pays développé les accepte, ce qui serait trop coûteux. «Les 250 dollars annoncés par le gouvernement ne prennent pas en compte ce traitement. Or, aucun pays développé n’accepterait nos déchets vieux de six mois. Le gouvernement voulait expédier les déchets à venir et nous laisser avec les potentiellement toxiques».
Autant dire que l’affaire de l’exportation des déchets exacerbe davantage la crise de confiance entre les responsables politiques et la société civile.
«C’est tellement surréaliste qu’on se demande quelles sont les véritables intentions du gouvernement». Souhaite-t-il vraiment exporter les déchets? Pourquoi choisir l’option la plus coûteuse et la plus compliquée à mettre en œuvre, pour ne pas dire impossible? Serait-ce pour faire passer l’option de l’incinération comme de nombreux représentants de la société civile le laissent entendre?, se demande Raja Noujaim.
A ce stade, un flou total règne encore sur ce dossier. Le ministre Chéhayeb, contacté à de nombreuses reprises par Magazine, n’était toujours pas disponible pour répondre aux nombreuses questions soulevées par ce dossier.
Pour les activistes, la réponse est claire: «Tout ceci n’est qu’une mascarade, le gouvernement n’exportera pas les déchets. Il souhaite simplement revenir aux décharges et à l’incinération pour garder coûte que coûte ‘‘le gâteau de Beyrouth et du Mont-Liban’’. Ils n’ont aucune intention de laisser l’argent aux municipalités pour développer leur propre système de traitement écologique des ordures».
Jeudi 14 janvier, alors que le Conseil des ministres se réunissait au Grand sérail, des membres des collectifs «Vous puez» et «Nous réclamons des comptes» ont tenté de pénétrer au ministère de l’Environnement pour dénoncer la gestion honteuse de la crise des déchets par le gouvernement. «Nous continuons d’agir, insiste Raja Noujaim. Même si nous ne sommes pas dans les rues, nous ne laisserons pas passer une telle aberration».
Soraya Hamdan
A Dhour Choueir, la polémique enfle
Interrogé par Magazine, l’ancien ministre Fadi Abboud ne cache pas son penchant pour le projet d’incinération. Dhour Choueir a déjà tenté de faire passer son incinérateur, mais s’est heurté au rejet de la société civile et du ministre de l’Environnement, Mohammad Machnouk, qui a exigé au préalable une étude d’impact environnemental et a fini par sceller la machine après que l’ancien ministre eut refusé cette étude.
Pour Fadi Abboud, il existe bel et bien une alternative au projet coûteux de l’exportation des déchets, celle-ci étant l’incinération. «L’exportation des déchets est un acte criminel, s’indigne l’ancien ministre. C’est une honte pour les Libanais. Nous sommes un peuple intelligent et nous devrions être capables de traiter nous-mêmes nos déchets. Il suffit pour cela d’utiliser Google et de regarder ce que font les autres pays développés: tous ont recours à des décharges ou à l’incinération, pourquoi ne pas en faire de même?».
Pour Raja Noujaim, coordinateur général de la coalition de lutte contre l’incinération, «si Fadi Abboud refuse l’étude d’impact exigée par le ministre de l’Environnement, c’est qu’il sait très bien que les résultats ne seront pas conformes aux normes».
Selon l’activiste, la propriété de Fadi Abboud et Elias Bou Saab «n’est même pas un incinérateur, mais un bout d’incinérateur». «C’est ni plus ni moins qu’un four crématoire qui n’est même pas doté d’un filtre, autant dire que c’est exactement comme si l’on brûlait les déchets sauvagement, même pire car les déchets y sont brûlés en continu dans cet engin», insiste l’activiste. Selon lui, la société civile ne laissera jamais passer un tel projet et s’attachera à s’assurer que le ministère de l’Environnement continuera de faire appliquer les lois. «Nous ne lâcherons pas le ministère de l’Environnement», insiste Raja Noujaim.