Le recul des transferts de fonds des expatriés s’est élevé à 2 milliards de dollars sur un an en 2015. Le Liban retient son souffle. Tout porte à croire que 2016 ne sera pas meilleure que 2015, la croissance prévue serait entre zéro et 1%.
«Il s’agirait cette année pour les Libanais de subsister, de survivre en gagnant du temps avec l’espoir que la situation en Syrie se stabilise, nonobstant le règlement qui serait mis en œuvre, assure à Magazine un ancien cadre de la Banque centrale. La guerre en Syrie pèse lourd sur l’économie de notre pays puisqu’elle lui coûte près de 7 milliards de dollars par an. Dans la même période, la pacification et la reconstruction de notre voisin constitueraient la planche de salut pour une reprise des secteurs productifs au pays du Cèdre. A priori, il est requis «une normalisation de la situation politique au moins provisoire» afin que les Libanais, toutes catégories sociales confondues, soient résilients «au mauvais quart d’heure qui les attend», insiste la même source. Si la normalisation sécuritaire semble acquise, elle n’est pas suffisante, à elle seule, pour dynamiser un tant soit peu les rouages de l’activité productive dans le pays.
L’importance des transferts
Depuis la décision politique du Conseil des ministres de fixer la valeur du taux de change du dollar contre la livre, la mission de la Banque du Liban (BDL), théoriquement celle du contrôle de l’inflation et de l’aide à la croissance dans le cadre d’une politique générale du gouvernement, s’est résumée à une opération d’accumulation de billets verts, d’une part, pour assurer la stabilité de la monnaie nationale et, d’autre part, garantir le financement et le refinancement de l’Etat à travers l’endossement des euro-obligations. Pour se fournir en billets verts, la BDL a recours aux banques commerciales, qui ont déjà placé auprès d’elle près de 73 milliards de dollars bénéficiant, en contrepartie, de taux d’intérêt généreux. Ceux-ci représentent les réserves obligatoires des banques commerciales auprès de la Banque centrale, mais également les dépôts bancaires des clients des établissements de crédit.
Depuis plusieurs années, les transferts des fonds des expatriés s’étaient stabilisés autour de 7,3 milliards de dollars en rythme annuel. Malgré l’arrivée de ces fonds, la balance des paiements de l’Etat a enregistré sur les cinq dernières années, d’une manière permanente, des déficits qui ne cessent de se creuser. Une conséquence normale de la politique financière des gouvernements successifs qui s’endettent pour couvrir le compte courant de l’Etat, c’est-à-dire les dépenses courantes, alors qu’ils auraient dû s’endetter pour financer des projets d’investissement dans l’infrastructure ou autre. Avec la baisse de 2 milliards de dollars, les transferts de fonds en 2015 s’élèvent à près de 5 milliards de dollars, les opérations de la collecte de billets verts par l’autorité monétaire devenant plus difficiles. Elle serait d’autant plus vulnérable si ces fonds devaient reculer encore en 2016 et à très court terme. D’ailleurs, c’est «une relation incestueuse», qui lie aujourd’hui la BDL aux banques commerciales, comme l’ont qualifiée certains experts financiers. Les banques commerciales préfèrent financer le secteur public plutôt que le secteur privé pour des raisons claires de spread des taux d’intérêt, tronquant par la même occasion sa mission principale: l’emprunt des agents du secteur privé. Même si les prêts au secteur privé représentent 100% du PIB, sachant que les dépôts bancaires représentent trois fois le PIB.
Qui sont ces expatriés?
Les expatriés pourvoyeurs de fonds sont principalement ceux qui se sont établis provisoirement dans les Etats du Golfe. Ces pays souffrent aujourd’hui d’un recul de leurs revenus en raison du ralentissement de la croissance dans les pays exportateurs de pétrole, le prix du baril ayant crevé à la baisse le seuil psychologique des 29 dollars. De ce fait, les chantiers de construction et d’investissement des secteurs public et privé sont en régression, les dépenses publiques sont en recul, l’heure est à la compression budgétaire. Sachant que les économies des pays exportateurs de pétrole sont peu diversifiées. Par ailleurs, le Liban compte sur les transferts d’argent de ses fils établis dans le continent africain. Les revenus de ceux-ci ont également été battus en brèche, le business des Libanais de ce continent étant victime d’une concurrence sauvage de la part des Chinois et des Israéliens. Ceci sans compter la situation sécuritaire aléatoire et l’instabilité politique qui menacent, chaque instant, les membres de cette diaspora dans leur vie et leurs biens. Cette diaspora est connue pour regrouper un grand nombre de personnalités de la communauté chiite, qui représente la bête noire des Etats-Unis. Ce qui pousse les banquiers libanais à redoubler de vigilance et de prudence, refusant leurs dépôts bancaires de peur de faire l’objet de sanctions américaines. Ces banquiers avancent le principe «bien connaître son client» (know your customer) pour justifier leur refus, commettant des excès au niveau de l’application de la loi sur la lutte contre le financement du terrorisme et du recyclage de l’argent sale votée par le Congrès américain le 15 janvier dernier. Quant à la colonie libanaise en Europe, elle n’a jamais vraiment compté dans le calcul des transferts de dépôts bancaires, alors que les Libanais d’Amérique latine sont considérés comme des émigrés installés définitivement avec leurs familles au sens large.
Les dépôts des Arabes
Les banques libanaises, du moins celles opérant sur la place de Beyrouth, n’ont à aucun moment attiré les dépôts des Arabes. Ces derniers se sont constamment contentés de faire des placements directs dans des projets divers rentables au pays du Cèdre et dans l’immobilier. Depuis les années cinquante, avec les perturbations et l’instabilité politique dans la région, notamment en Egypte, en Irak et en Syrie, les ressortissants du monde arabe ont tissé des liens directs avec les banques étrangères établies à Zurich, Francfort et Paris où ils ont placé leurs dépôts. Les efforts de l’ancien amid du Bloc national, Raymond Eddé, le père de la loi sur le secret bancaire au Liban voté en 1957, n’ont pas donné les effets escomptés par le responsable politique. A travers cette législation, il aurait voulu faire du Liban «la Suisse de l’Orient» dans sa dimension de plaque tournante financière du Moyen-Orient. Cette situation n’a guère changé aujourd’hui, puisque les Syriens aisés ont peut-être loué un appartement ou, à la rigueur, acheté un pied-à-terre dans notre pays, mais ce qui est certain c’est qu’ils n’ont pas déposé de fonds dans nos établissements de crédit. Les dépôts successifs de près d’un milliard de dollars et de 500 millions de dollars auprès de la Banque du Liban, respectivement effectués par l’Arabie saoudite et le Koweït à la veille de la rencontre des amis du Liban à Paris, connue sous le nom de Paris I, au début des années 2000, alors que le gouvernement était présidé par Rafic Hariri, n’ont été que des gestes à connotation politique, rappelle-t-on.
Croissance extérieure des banques
Vu «cette relation incestueuse» qui existe entre l’Etat et les banques commerciales, celles-ci ont décidé, depuis plus de six ans, de se développer à l’étranger, dans le sens où leur croissance est générée, de plus en plus, par leurs opérations bancaires effectuées en dehors du territoire national. Et ce, dans le but de se prémunir contre toute éventualité de défaut de paiement. Si les établissements libanais de crédit, établis en Syrie et en Irak, sont en veille, il n’est pas de même pour ceux qui se sont installés à titre d’exemple en Jordanie (un petit marché mais lucratif), en Turquie et en Egypte (marché prometteur). Les derniers bilans, publiés par certaines banques, ont montré à titre indicatif que Bank Audi a enregistré une progression des profits nets après prélèvements des taxes de 15,07% à 403,14 millions de dollars en 2015, dont 44% proviennent de ses entités à l’étranger. Quant à Blom Bank, son bilan a fait état d’une hausse de ses profits nets après déduction des taxes de 10,93%, atteignant, en 2015, environ 404,66 millions de dollars, dont 33% ont été générés par ses entités à l’expansion à l’étranger.
Liliane Mokbel