«Le 14 mars taïwanais est tombé. Seul le vrai est encore là!». Nouveau signe des temps, c’est une allusion à une formule lancée par le nouvel allié du Courant patriotique libre, le chef des Forces libanaises, qui a le plus marqué les esprits dans le discours du général Michel Aoun, à l’occasion de la commémoration du 14 mars.
Cette année, le général Michel Aoun était plus à l’aise que d’habitude au dîner annuel organisé par son parti pour célébrer l’anniversaire du 14 mars, puisque ce mouvement avait été incapable d’organiser un meeting rassembleur pour la même occasion. Rien que pour cette raison, Michel Aoun pouvait estimer avoir remporté une victoire, lui qui, au cours des dix dernières années, n’a cessé d’être critiqué et dénigré par les grandes figures du 14 mars sous prétexte qu’il a lâché ce mouvement pour s’allier au Hezbollah.
Bien qu’il s’agisse là d’un développement important sur la scène politique interne, qui en dit long sur les changements qui ont eu lieu au cours des derniers mois et ont abouti à de véritables renversements d’alliances, Michel Aoun ne s’est pas attardé sur cette question. Son message fort à ses partisans était, en quelque sorte, de se préparer à une action de protestation musclée et radicale «pour redonner leurs droits aux chrétiens». Les partisans ont, peut-être, été déçus. Ils attendaient de ce discours l’annonce d’un véritable plan d’action pour faire bouger la situation politique, lutter contre la corruption et, au final, aboutir à l’élection d’un président. Mais il est clair que le général Aoun ne pense pas que le moment est venu de lancer un mouvement populaire de protestation. Pour des raisons qu’il n’a pas divulguées à ses auditeurs, «le général» a donc préféré reporter le signal de l’action voulant, sans doute, donner une chance aux négociations politiques jusqu’à la prochaine séance d’élection présidentielle, prévue le 23 mars.
Discussions dans les coulisses
Selon certaines informations, en dépit du ton élevé du discours de Saad Hariri, ce dernier serait en discussion avec des parties libanaises pour trouver un accord, à la fois, avec le Hezbollah et avec son allié Michel Aoun. Pour cette raison, l’heure ne serait donc pas venue de jeter toutes les cartes sur le terrain et de paralyser le pays, comme certains proches du CPL le laissent entendre, puisqu’il y aurait encore des possibilités d’entente. Mais en même temps, Michel Aoun ne peut pas non plus démobiliser ses troupes et laisser retomber leur volonté d’agir. Il a donc préféré rappeler dans son discours les principes de base qui dictent l’attitude du CPL, qui ne cherche pas à remettre en cause l’accord de Taëf, exigeant simplement qu’il soit appliqué à la lettre et dans l’esprit, c’est-à-dire à travers la réalisation d’un véritable partenariat entre les différentes communautés. En d’autres termes, il ne s’agit pas de réduire le nombre des musulmans, mais juste de faire en sorte que les chrétiens ne soient pas choisis par les musulmans…
Michel Aoun est aussi revenu sur la date initiale du 14 mars 1989 lorsqu’il avait lancé la bataille de la fermeture des ports illégaux, dont celle du port de Beyrouth passé sous le contrôle des Forces libanaises. Cette bataille n’avait pas pu être menée jusqu’au bout pour les raisons que tout le monde connaît, mais elle montrait déjà la volonté du général Aoun de privilégier les institutions de l’Etat au détriment des milices. Devant ses auditeurs, Aoun a aussi révélé qu’il a été déçu lorsqu’il est rentré au Liban le 7 mai 2005 après 14 ans d’exil forcé. Il croyait alors qu’une nouvelle page s’ouvrait pour le Liban, mais il s’est heurté aux mêmes manigances et aux mêmes intérêts particuliers. Malgré cette constatation, son message est resté un message d’espoir et, en même temps, une incitation à agir.
Joëlle Seif
Le flambeau à Bassil
«Préparez-vous et retroussez vos manches», a dit Michel Aoun à son auditoire conquis. Il a annoncé ainsi que le moment d’agir ne saurait plus tarder et que la stagnation actuelle ne peut plus se prolonger. Il a donc maintenu ses partisans en haleine et, en parfait tribun, il a «chauffé» la salle et les esprits pour qu’ils soient prêts le moment venu. Aoun a aussi officialisé le fait qu’il a remis au ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, le flambeau du CPL, suscitant une grande émotion chez les personnes présentes. Pour lui, il n’est plus question de se mêler des détails organisationnels. Il préfère se concentrer sur sa dernière grande bataille, celle des droits des chrétiens, dont la présidence n’est qu’un épisode, important certes, au même titre que la véritable parité et la loi électorale.