Magazine Le Mensuel

Nº 3045 du vendredi 18 mars 2016

general

Samir Hammoud: le client des banques n’est plus roi

Un an après sa désignation par le Conseil des ministres, Samir Hammoud fait, pour Magazine, le point de la situation des banques libanaises sur le double plan de la conformité aux standards internationaux de financement du terrorisme et du blanchiment d’argent (Compliance standards) d’une part, et de la politique de «derisk» (amenuisement des risques) et de bonne gouvernance, d’autre part.

Cela fait dix-huit ans que le Liban a entamé un chantier de réformes de supervision de l’activité bancaire afin de combattre l’argent sale. Où en sommes-nous aujourd’hui?
Dans toutes ses composantes, politiques, économiques et financières, le Liban agit dans le respect des conventions internationales de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ainsi que des lois américaines promulguées dans ce sens, compte tenu de la tendance mondiale d’inclusion financière des populations, de la dollarisation de notre économie et de la volonté du pays du Cèdre de combattre la criminalité. De plus, dans un contexte régional de violence, de guerre et de changement de régimes politiques, les crimes du recyclage d’argent sale augmentent. Il faut trouver des canaux légaux pour blanchir l’argent généré par le trafic de drogue, celui des armes et du renversement des hommes des régimes déchus. Il est donc clair que le choix des banques libanaises de respecter les règles internationales de conformité (compliance) est un choix de vie ou de mort. Le principe du client est roi n’est plus de rigueur dans les activités bancaires. Le client doit justifier l’origine de ses fonds et le mouvement de ses comptes bancaires doit être le miroir de son statut financier réel dans sa vie active. Le principe du KYC (Know Your Customer) est appliqué avec beaucoup de vigilance par les cadres bancaires locaux, suscitant parfois le mécontentement de la clientèle qui se trouve contrainte de fournir des informations qu’elle considère appartenant à sa vie privée. Néanmoins, la Commission de contrôle bancaire est satisfaite de «cette politique ultraconservatrice» suivie par les établissements de crédit libanais, dans la mesure où le coût d’une sanction d’une infraction aux lois internationales de conformité est largement supérieur à celui de la clôture d’un ou de plusieurs comptes bancaires. Dans la conjoncture actuelle, les banques libanaises ne peuvent prendre aucun risque. Une simple comparaison entre les sanctions et le montant des amendes infligées à certaines banques européennes du fait de l’infraction aux règles de conformité, et ceux imposés aux banques libanaises, met en exergue les difficultés que rencontrent les établissements de crédit européens à se conformer aux normes en référence. Par exemple, les sanctions appliquées au Crédit suisse, au Crédit lyonnais, à la HSBC et à la Commerzbank. Les banques libanaises ont l’obsession de maintenir une supervision étroite sur les fonds qui intègrent leur circuit à l’ombre d’une pression persistante de leurs banques correspondantes de par le monde. L’évolution des opérations bancaires, notamment leur mondialisation, a changé radicalement l’équation de contrôle des banques. Par le passé, la Commission de contrôle de la Banque du Liban (BDL) s’occupait exclusivement de la qualité et de la quantité des actifs des banques, ainsi que de leur profitabilité.

Dans quelle mesure les transferts d’argent cash de la communauté libanaise établie dans le continent africain seraient-ils affectés, vu la loi sur le transport transfrontalier de liquidités?
Le vote de cette loi en octobre 2015 était inéluctable pour le respect des conventions internationales de lutte contre le blanchiment d’argent. Cependant, les membres de la communauté libanaise d’Afrique, où le contrôle de change est en vigueur, sont autorisés à transporter des liquidités à condition de les déclarer et d’en justifier l’origine. Le cas échéant, ces liquidités seraient saisies à l’aéroport avant même leur intégration dans le circuit bancaire. Je peux certifier que le Liban n’est pas un centre de blanchiment d’argent. Ceci ne signifie nullement que le pays du Cèdre est à l’abri à cent pour cent de toutes transactions suspectes. Toutefois, la Commission de contrôle et les banques commerciales sont en état d’alerte permanente pour les identifier et les démanteler.   
   
La Commission de contrôle bancaire a-t-elle des prérogatives de supervision hors des frontières libanaises?
En ce qui concerne les branches des banques libanaises à l’étranger, elles sont soumises de facto à l’autorité de supervision de la commission, la conclusion de certaines opérations a même besoin d’une décision de l’administration de la maison mère. Pour ce qui est des filiales, des équipes sont formées au sein de leur cadre par la Commission de contrôle, et l’échange d’informations est effectif en cas de besoin. La conformité des banques, de leurs branches et de leurs filiales libanaises aux directives de la lutte contre le recyclage de l’argent sale constitue une ligne rouge. De toute façon, la BDL a constamment encouragé les banques locales à s’exporter à l’étranger, vu le volume important de leurs liquidités par rapport aux besoins en crédits du marché domestique.

Qu’en est-il de la circulaire sur l’interdiction d’émission d’actions au porteur?
La proposition de loi sur l’interdiction de l’émission d’actions au porteur n’a pas, en effet, été approuvée lors de l’assemblée générale du Parlement, en novembre dernier, poussant la Banque centrale à émettre une circulaire dans ce sens. Les circulaires de la BDL, rappelle-t-on, sont contraignantes seulement pour les agents du secteur bancaire. Cette réaction de la Banque centrale était évidente puisqu’elle s’inscrit dans le contexte de la lutte contre le blanchiment d’argent et la mise en œuvre du principe «Connaître son client» (KYC). La circulaire a interdit non seulement aux banques d’émettre des actions au porteur, mais elle les empêche également d’ouvrir des comptes à des sociétés formées sur la base d’un actionnariat au porteur. Les actions de cette catégorie se transmettent d’un porteur à l’autre sans que les noms des différents détenteurs ne soient connus. Une niche qui pourrait tenter les fauteurs de troubles….

Liliane Mokbel

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