Magazine Le Mensuel

Nº 3050 du vendredi 22 avril 2016

general

Hezbollah vs Moustaqbal. Pourquoi Hariri a durci le ton

A la veille de la relance des rounds du dialogue bilatéral entre le Hezbollah et le Moustaqbal à Aïn el-Tiné, Saad Hariri a affiché une série de positions politiques des plus rigides à l’égard de ses interlocuteurs chiites. Pourquoi a-t-il pris ce tournant?

Alors que Saad Hariri avait déclaré que le Hezbollah préfère «temporiser» en matière de présidentielle, le voilà qui l’accuse aujourd’hui d’entraver cette élection, rejetant l’idée d’une entente sur un panier global, après avoir retiré la présidence du Conseil des débats en cours.
Les observateurs avancent deux explications:
1-L’attachement continu du Hezbollah au général Michel Aoun dans sa course à Baabda, ce qui a constitué un choc pour Hariri qui pensait, au moment d’adopter la candidature de Sleiman Frangié, que le parti chiite ne pouvait refuser une offre aussi alléchante qui porte un de ses alliés de confiance au pouvoir. Le leader du Moustaqbal a l’impression que si le Hezbollah n’est pas très enthousiaste à l’idée de voter pour Frangié, ce n’est pas parce qu’il n’en veut pas, mais plutôt parce qu’il ne veut pas de Hariri à la tête du futur gouvernement, à cette étape en particulier. Or, selon les règles du jeu, l’un ne va pas sans l’autre. Si jamais le Hezbollah se déclare disposé à débattre la question de la présidence du Conseil, sa démarche sera complétée par une série de conditions contraignantes pour Hariri qui devra s’engager, s’il désire revenir au Sérail, à respecter le cahier des charges du Hezbollah. Les concessions que le prétendant à la présidence du Conseil sera appelé à faire sont fondamentales. Il s’agit, par exemple, du remodelage de la loi électorale en faveur du scrutin proportionnel, de la couverture légale de l’arsenal du parti chiite et des prérogatives des institutions principales rattachées à la présidence du Conseil. En adoptant ses dernières positions en date, Hariri veut dire qu’il n’est pas question pour lui de revenir au Sérail encombré par cette surcharge de conditions. Le Hezbollah, selon le message envoyé, doit renoncer à ses exigences ou alors s’attendre à des conditions contraires portant, en premier lieu, sur ses armes.
2- La multiplication des attaques contre le Hezbollah par l’Arabie saoudite. Il existe un décalage évident entre l’escalade des pays du Golfe contre le parti chiite et entre les moyens d’application concrète de leurs décisions sur le terrain au Liban. Les Saoudiens souhaitent des mesures déterminantes qui contraindraient le Hezbollah à renoncer à sa stratégie agressive contre eux, ou du moins qui amèneraient le parti à annoncer la suspension de sa campagne médiatique contre la guerre de l’Arabie au Yémen, et à se retirer de Bahrein et, militairement, de Syrie. Ceci explique les récentes positions adoptées par Hariri, qui peuvent être le prélude à une rupture du dialogue avec le Hezbollah pour contenter l’Arabie.
Comment réagit le Hezbollah au posi-tionnement récent de Hariri?
Le parti chiite considère que l’Arabie est passée à l’étape de l’attaque directe. L’étiquette de terroriste accolée au parti et la suspension de la chaîne al-Manar de l’espace satellitaire arabe sont deux indices d’une grande gravité, à son avis.
Le Hezbollah estime qu’il existe une feuille de route claire, qui semble irréversible, qui ne se limite pas à l’escalade diplomatique, médiatique et économique. Il n’est donc pas prêt à faire marche arrière, mais compte répondre fermement aux attaques saoudiennes.
Face à ce que le Hezbollah considère comme «un état de divagation saoudien» dans la gestion de la bataille sur la scène libanaise, Hariri tente d’exploiter la situation inconfortable, à son avis, du parti chiite en faisant des ouvertures sur Aïn el-Tiné, se posant en secouriste capable de contribuer au règlement de ce qu’il voit comme un désastre. Mais pour endosser ce rôle, il pose ses conditions exigeant du Hezbollah qu’il lui facilite sa mission en faisant des concessions au moins sur le dossier présidentiel et sur la composition du futur cabinet, puisqu’il est difficile qu’il modifie sa position sur le Yémen ou sur le dossier syrien.


L’arme du quorum
Le Hezbollah semble sûr et rassuré, sachant qu’il détient entre ses mains le quorum politique de toute séance consacrée à l’élection d’un chef d’Etat. Il sait bien que Sleiman Frangié tient à la confiance que ses alliés mettent en lui, il ne prendra donc pas la décision d’assurer le quorum en l’absence d’une entente avec le Hezb.
Il est, par ailleurs, impossible que le président Nabih Berry renonce à son alliance stratégique avec le parti de Hassan Nasrallah, conscient de l’incapacité de Saad Hariri à influencer les décisions et la politique de l’Arabie saoudite, et surtout n’étant pas prêt à offrir des prix de consolation à qui que ce soit, surtout qu’il ne se sent pas en position de faiblesse.

Chaouki Achkouti

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