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Nº 3054 du vendredi 20 mai 2016

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Zulfikar était un proche de Nasrallah. Qui a tué l’énigmatique Badreddine?

Depuis toujours homme de l’ombre, le commandant militaire du Hezbollah, Moustafa Badreddine, a été tué, la semaine dernière, à proximité de l’aéroport de Damas. Les circonstances de sa mort restent floues, alimentant les spéculations. Une fois n’est pas coutume, le Hezbollah a écarté la main d’Israël, accusant les rebelles takfiristes.
 

Qui est derrière la mort de Moustafa Badreddine? Une semaine après l’annonce de sa mort, l’énigme reste presque entière. Le Hezbollah, dont le commandant militaire était l’une des pièces maîtresses, a indiqué dans un communiqué officiel, publié samedi 14 mai, au lendemain des funérailles, que «la mort a été causée par un bombardement d’artillerie mené par des groupes takfiristes présents dans cette région». «L’enquête préliminaire a montré qu’une explosion a ciblé l’une de nos positions près de l’aéroport international de Damas, entraînant le martyre de notre frère. Dans tous les cas, il s’agit d’une seule bataille contre le projet américano-sioniste dans la région, dont les terroristes takfiristes représentent le fer de lance et le front premier dans leur agression contre la nation, contre sa résistance, contre ses moudjahidines, contre ses lieux saints et ses peuples libres et nobles», stipule encore le texte. Malgré ces affirmations du parti de Dieu, l’assassinat de Moustafa Badreddine, alias Zulfikar, n’en finit pas d’alimenter les spéculations.
Car de nombreux éléments, dont une certaine partie de la presse libanaise s’est fait écho, viennent troubler la thèse présentée par le Hezbollah. Dès l’annonce de la mort de Badreddine, jeudi soir, tous les regards se sont évidemment tournés vers l’ennemi traditionnel de la Résistance, Israël. Lors des funérailles organisées à Ghobeyri, vendredi après-midi, les milliers de partisans du Hezbollah, réunis là pour rendre un dernier hommage au martyr, ont scandé des slogans hostiles à l’Etat hébreu, que la main israélienne avait encore frappé. Du côté de Tel-Aviv, aucune réaction officielle. Chacun sait qu’Israël, pourtant spécialiste des assassinats ciblés y compris en dehors de son territoire, ne revendique jamais ce genre d’opérations. Les officiels israéliens ont donc fait profil bas, s’abstenant de commenter publiquement la mort de Badreddine. Seul Yaakov Amidror, un ancien conseiller militaire de Benyamin Netanyahou, a affirmé: «Quel que soit le responsable, la mort du chef militaire de l’organisation est une bonne nouvelle pour Israël», selon RFI. Rappelons que le prédécesseur de Badreddine, 
Imad Moughnié – qui était aussi son beau-frère – avait lui même été tué en 2008, dans la banlieue de Damas par l’explosion d’un repose-tête piégé dans sa jeep. Un attentat sophistiqué que tout le monde avait imputé à Israël, bien que celui-ci démente toute implication.
Dès les premières heures suivant l’annonce de la mort de Moustafa Badreddine, les médias libanais, dont plusieurs réputés proches du Hezbollah, indiquent la responsabilité d’Israël. Le quotidien al-Akhbar avait ainsi affirmé que Zulfikar avait été tué par un missile guidé qui n’était utilisé que par des nations sophistiquées et qui aurait explosé à quelques mètres du chef militaire. La majorité de ses blessures seraient internes, causées par l’onde de choc de l’explosion, et de faibles quantités d’éclats auraient été trouvées dans son corps. Selon le journal, Badreddine venait d’achever une réunion avec d’autres commandants près de l’aéroport de Damas, jeudi soir, quand l’explosion a eu lieu. Selon as-Safir, un grand bombardement aurait eu lieu entre 21h30 et 22h, jeudi soir, peu de temps après l’arrivée du convoi du Hezbollah, dans un endroit situé dans la Ghouta, près de l’aéroport. Le journal avance que Badreddine aurait été tué sur-le-champ, sans doute à cause de la puissance de la détonation qui aurait provoqué une hémorragie interne. Deux ou trois de ses compagnons auraient été blessés.
Même discours du côté de la chaîne al-Mayadeen qui annonce, dans un premier temps, que Badreddine a été tué par une frappe israélienne, avant de se rétracter. Des agences d’informations iraniennes élaborent les mêmes soupçons. Samedi 14 mai, un autre journal, koweïtien celui-là, al-Raï, affirme qu’Israël est responsable de l’assassinat, indiquant qu’un avion de l’armée de l’air israélienne avait tiré le missile qui avait touché Badreddine.
Mais très vite, le communiqué officiel du Hezbollah, qui met en cause des groupes takfiristes en Syrie, vient clore les suspicions. Enfin presque.
Beaucoup s’étonnent qu’un «gros» coup comme l’assassinat du chef militaire suprême du Hezbollah, un personnage de premier plan, ne soit pas revendiqué. Des organisations comme l’Etat islamique ou le Front al-Nosra, qui pourraient disposer d’une telle logistique, hésitent rarement à assumer ce type «d’exploits».
Samedi, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) affirme que les groupes constituant l’opposition syrienne démentent toute implication dans la mort de Moustafa Badreddine. Rami Abdel-Rahman indique aussi que des sources au sein de l’armée syrienne ont déclaré qu’aucun projectile n’avait récemment été lancé sur l’aéroport international de Damas. «Il n’y a pas eu de bombardement ces derniers jours. L’opposition syrienne n’a pas de lien avec (sa) mort», déclare l’OSDH.
Devant ces affirmations, la mort de Zulfikar, l’unique pseudonyme sous lequel les combattants du Hezbollah connaissaient le mystérieux Moustafa Badreddine, les questions se multiplient. Comme celle de la date réelle de la mort du martyr. Alors qu’officiellement, le chef militaire est annoncé mort jeudi soir vers 22h30 et son corps rapatrié à Beyrouth aux alentours de minuit, d’autres sources affirment que Badreddine serait mort, en fait, dans la nuit de mardi à mercredi. Ce soir-là, des avions israéliens auraient, en effet, été repérés en train de survoler la Békaa, à proximité de la frontière libano-syrienne. Un missile aurait pu être tiré depuis cette position. La thèse d’un décès de Badreddine mardi serait d’ailleurs étayée par l’attitude de sayyed Hassan Nasrallah qui aurait été vu versant des larmes, lors de la commémoration de la Journée des martyrs et des blessés, jeudi. Peut-être en hommage à son compagnon de la première heure, Zulfikar faisant partie du cercle très fermé du leader du Hezbollah.
Des allégations qui font suite aux rumeurs relayées par la presse israélienne elle-même. Le Jerusalem Post, comme d’autres médias, a par exemple publié dans ses colonnes qu’un convoi d’armes à destination du Hezbollah, ainsi que plusieurs positions stratégiques, auraient été visés par des frappes israéliennes mardi. Toutefois, au Liban, aucune information n’est venue confirmer ce raid.
Selon le site d’informations middleeasteye.net, «l’agence de presse italienne Aki a cité, vendredi, des sources militaires syriennes affirmant que Badreddine avait probablement été tué par une bombe Spice, un système développé par les Israéliens pour convertir des bombes non guidées en des explosifs pouvant être guidés avec précision». Le média reprend aussi les informations du site israélien Debkafiles qui soutient que des sources israéliennes auraient assuré que Badreddine aurait été tué «par des forces syriennes ou iraniennes à la suite d’une dispute concernant la présence du Hezbollah en Syrie». Une affirmation plutôt étonnante quand on sait les excellentes relations entretenues par Zulfikar avec les gradés iraniens. Ce qui fait dire à certains connaisseurs du Hezbollah qu’il s’agit plus de propagande que d’informations réelles.
Une autre hypothèse, relayée cette fois par TV5 Monde, évoque d’autres possibilités quant aux commanditaires de l’assassinat. Le politologue libanais Lokman Slim, spécialiste de la question chiite et du Hezbollah, doute de la version présentée par le parti. «Il me paraît quasi impossible que des acteurs locaux, qu’il s’agisse de takfiristes ou d’autres, soient derrière cet attentat. D’abord, parce qu’ils ne disposent pas des moyens techniques pour mener une telle opération, ensuite parce que la décision de liquider le chef militaire du Hezbollah ne peut être prise qu’à un plus haut niveau (…) Enfin, la région concernée est un périmètre militaire ultrasécurisé, non loin du Mausolée de Zeinab». TV5 Monde avance que «si Israël et les groupes islamistes sont exclus», «la piste d’une responsabilité russe ne serait pas à exclure, selon certains analystes». «Les Russes veulent imposer une politique qui n’est pas nécessairement celle d’une action militaire tous azimuts, contrairement aux Iraniens, souligne Lokman Slim. «Or, pour ces derniers, tout comme pour le Hezbollah et le régime syrien, reprendre Alep constitue un moyen d’imposer un nouveau statu quo militaire et, par conséquent, de nouvelles règles d’engagement diplomatique. Les Russes, quant à eux, n’ont pas les mêmes calculs, ni la même vision restreinte».
La mort du chef militaire suprême du Hezbollah laisse donc de multiples questions en suspens. Comme celle de la réaction du Hezbollah. Si Badreddine a été assassiné par un raid israélien, pourquoi la milice chiite ne l’a-t-elle pas accusé? On le sait, une mort comme celle-ci appelle généralement des représailles de la Résistance. Certains observateurs estiment que pour le Hezbollah, le moment n’est pas propice à une réplique contre Israël, compte tenu de la situation en Syrie, mais aussi des conséquences qui pourraient suivre pour le Liban.

Jenny Saleh
 

Du Fateh au Hezbollah
Les personnages clés du Hezbollah ne sont généralement connus qu’à leur mort. Badreddine ne fait pas exception. Nombre de militants du Hezbollah n’ont connu son nom que lors de son martyre. Moustafa Badreddine reste, pour beaucoup, un homme de l’ombre. Mais aussi, l’un des compagnons de la première heure de Hassan Nasrallah, à l’instar de son prédécesseur et beau-frère, Imad Moughnié.
Très tôt, il s’engage dans les rangs de la Force 17, une unité d’élite du service de sécurité du Fateh, qui était considérée comme la garde rapprochée de Yasser Arafat, et spécialisée dans l’exécution d’opérations ciblées. Badreddine y devient instructeur et forme des jeunes au sabotage. C’est au cours de cette période qu’il rencontre Imad Moughnié. En 1982, l’invasion israélienne lui fait quitter les rangs de la Force 17 et entrer en résistance contre l’occupation israélienne, au sein du tout nouveau Hezbollah. C’est à ce moment qu’il rencontre Hassan Nasrallah, alors membre du Conseil de la Choura. Un peu plus tard, le nom de Badreddine sera associé aux attaques contre les Marines US et le Drakkar français à Beyrouth, en 1983.
Poussé à la clandestinité, en 1983, Badreddine s’envole, muni d’un passeport au nom d’Elias Saab, pour le Koweït. Le 12 décembre de la même année, six explosions secouent Koweït city, visant l’ambassade américaine, la plus grande raffinerie du pays, mais aussi l’usine américaine de fabrication de munitions Raytheon, ou encore, l’ambassade de France.
En 1985, Badreddine est emprisonné au Koweït pour une tentative d’assassinat de l’émir koweïtien, cheikh Jaber. Il s’en échappera à la faveur de l’invasion du Koweït par l’Irak. Direction l’Iran où les Gardiens de la Révolution l’exfiltrent vers Beyrouth.
Badreddine, qui a perdu une jambe lors de combats avec Israël, intègre le cercle très fermé des hommes de confiance de Hassan Nasrallah, devenu secrétaire général du Hezbollah en 1992. Avec Moughnié, ils se partagent peu à peu la direction des opérations du parti. Il deviendra, au fil des ans, un incontournable du mouvement, devenant membre du Conseil de la Choura. Après 2005, il est promu chef de la branche militaire du Hezbollah.

L’assassin de Hariri?
Le nom de Moustafa Badreddine circule, à défaut de photos très rares. Le Tribunal spécial pour le Liban le place, par contumace, dans le box des accusés, l’accusant d’avoir dirigé l’opération de l’assassinat de Rafic Hariri. Mais l’homme demeure insaisissable. 2008 sera une autre année charnière puisqu’il prendra la succession de Moughnié à la tête des opérations extérieures. Homme de terrain, c’est lui qui dirigeait, jusqu’à présent, toutes les opérations du Hezbollah en Syrie. Dans une déclaration prémonitoire, Zulfikar, son nom de guerre, avait dit il y a quelques mois: «Je ne reviendrai pas de Syrie, sauf en martyr ou en portant le drapeau de la victoire». Il est revenu en martyr.

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