Magazine Le Mensuel

Nº 3056 du vendredi 3 juin 2016

Expositions

Les boîtes poétiques. Il était une fois… Frida Debbané

La galerie Aïda Cherfan ouvre ses portes, du 9 au 30 juin, à Frida Debbané qui expose ses créations, boîtes poétiques et bibliothèques. Magazine est entré dans son monde magique.

L’atelier de Frida Debbané c’est sa maison tout entière, chaque coin, chaque recoin, chaque petit détail qui meuble cet intérieur. Là, à sa table de travail, elle passe des heures, plus de 10 heures d’affilée, à créer ses objets artistiques, poétiques avant tout, parce que pour elle, il faut être poète avant que d’être artiste.
Entrer dans l’univers de Frida Debbané c’est laisser à la porte notre petit côté Judas et retrouver la capacité de s’émerveiller. Plonger, les papilles dilatées de joie, au cœur de la magie. La magie, elle y croit encore, elle y croit toujours. Elle y croit beaucoup, sinon, dit-elle, chuchotant presque ses mots, «la vie est trop banale et la réalité n’est pas très jolie». Alors de la magie, oui certainement, dans un mot, dans une image, dans une photo, dans un matériau, dans un assemblage d’objets, dans le travail manuel. La magie qui se dégage de ses boîtes en carton, ses boîtes poétiques, ou de ses boîtes en bois, ses bibliothèques, qu’elle expose à la galerie Aïda Cherfan, du 9 au 30 juin.
Depuis trente ans, Frida Debbané crée. «La création, un bonheur illimité. La création dans tous les domaines, que ce soit un objet, un poème, un enfant. Il y a toujours de la beauté dans la création». Mais la création suppose également tout un travail en amont, tant d’efforts et d’assiduité, malgré les douleurs qui peuvent vous empoigner le corps, qui peuvent user la santé, bloquer les muscles du cou, des mains et des pieds. Frida Debbané ne s’en cache pas, au-delà du plaisir intense que lui procure son travail, la fatigue est parfois plus forte. «C’est handicapant comme tous les travaux manuels». Coller les images sans faire de bulles, assortir le papier, les couleurs, les objets en relief, s’assurer que tout s’accorde, que tout est harmonieux. Une boîte prend des heures et des heures de recherches, de fouille dans les archives… Arrêter, il est impossible de le faire, ou même de déléguer certaines tâches. Elle ne peut pas vivre sans travailler. C’est le malheur qui guette. C’est la magie qui risque de disparaître.
 

Magie, quand tu nous tiens
Frida Debbané se présente comme miniaturiste. «Je fais des miniatures, mais sous forme d’histoires», dit-elle. Chaque boîte, chaque bibliothèque raconte une histoire autour d’un thème: que ce soit autour du papier, des fleurs, de la musique, des arbres, des cordes… Une histoire qu’elle se plaît à raconter ou qu’on se plaît à imaginer, à percevoir dans chaque détail qui compose l’œuvre. Et chaque détail, chaque élément est pensé, repensé, méticuleusement choisi pour s’insérer parfaitement dans l’ensemble tout en s’affirmant tout seul.
Ces éléments, Frida Debbané est toujours à leur recherche, dans les revues, les magazines, dans le quotidien, dans la vie quoi! Des images et des pages de revues qu’elle découpe soigneusement et qu’elle range, encore plus soigneusement, dans des boîtes en carton labellisées, par thèmes, par dossiers: musique, sculpture, nature… Des fournitures en tout genre, tissus, petits personnages, objets divers, eux aussi bien rangés dans une immense armoire qui tonne comme la caverne d’Ali Baba pétrie de richesses qui ne luisent qu’à ses yeux, puisque pour nous, ces objets-là, nous avons en général tendance à les rejeter comme inutiles, ne pouvant servir à quoi que ce soit. Eh bien, ils constituent les archives de Frida Debbané qui revêtent sous ses doigts une vie autre.
Tout a commencé, quand, il y a des années, elle a transformé la vitrine du salon en maison de poupée miniature. Un coin couture, un coin lecture, un coin thé… qui changent au fil des années, des tendances, des humeurs et des envies; un canapé revêtu d’un autre tissu, un nouveau tapis, un nouvel élément du décor… Chez Frida Debbané, tout parle, tout a une histoire. Et dans le coin de cette maison miniature, une petite bibliothèque en bois, carton et papier, qui a enclenché la série des boîtes en bois, ces bibliothèques aux multiples carreaux qui déroulent les différents pans d’une même histoire. Suivies par les boîtes poétiques, qui racontent, elles aussi, tout ce qui la touche. Et c’est encore le monde magique qui refait surface dans la conversation et dans l’œuvre.

 

«Rêver un impossible rêve»
D’ailleurs, dès l’évocation du mot boîte, elle pense aussitôt à la magie, à l’enfance aussi. «Quand j’étais petite, se rappelle-t-elle, mon premier cadeau était une boîte à musique avec une petite ballerine à l’intérieur. Je devais tourner la clé et la petite ballerine se mettait à danser. Depuis, je cherche toujours cette boîte». Magie, enfance, rêves, Frida Debbané ne veut pas que ses créations correspondent à la réalité ou à la vie de tous les jours.
Un peu à l’instar de Tim Burton, cinéaste, écrivain, «un génie du siècle qui crée des personnages extraordinaires». Ou bien des contes de fées de son enfance, de Cendrillon, à Blanche-Neige à Alice au pays des merveilles. «Quand vous faites une œuvre d’art, c’est pour offrir aux gens quelque chose qu’ils n’ont ni l’habitude de voir, ni de lire, ni de réaliser ce que c’est en le regardant. Or, le premier rôle de l’artiste est de faire voir aux gens ce qu’ils ne voient pas». L’artiste travaille pour lui, certes, mais son bonheur réside justement dans ce qu’il est capable d’offrir aux autres, du bonheur, du rêve, de la magie. Autant de sources de joie qui jaillissent des boîtes poétiques dès qu’on soulève le couvercle. La réaction est toujours la même, un petit signe d’émerveillement, gestuel, visuel et sonore, «quand ils voient quelque chose de beau, qu’ils entrent tout de suite dans la magie, comme dans les contes de fées».
Pour Frida Debbané, il est inconcevable qu’il en soit autrement. Même en ce qui concerne son matériau préféré: le papier. «Toucher le papier, écrire sur un beau papier. Le papier, ce sont les lettres, une lettre d’amour, une lettre d’amitié. On prend généralement un grand soin à écrire une lettre. Et ouvrir une enveloppe, c’est comme ouvrir une boîte. J’aime les moments de secret, ces moments où on s’extasie devant quelque chose, comme devant un cadeau».

Nayla Rached

Related

Profiles: Collecting Art in Lebanon. Quand les collectionneurs exposent…

Jean Boghossian. Du feu, la création

Expositions

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.